Le Vent de la Chine Numéro 16 (2021)

du 26 avril au 10 mai 2021

Editorial : Sommet, contre-sommet et mini-sommet climatiques
Sommet, contre-sommet et mini-sommet climatiques

Depuis le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris, la Chine se montre particulièrement active sur le front climatique, espérant conserver l’initiative.

Invité à un échange virtuel le 16 avril avec le Président français et la Chancelière allemande, le Président Xi Jinping a confirmé sa participation à ce que la Chine a présenté comme un « mini-sommet sur le climat ». Le rendez-vous, prévu depuis plusieurs semaines, n’avait pas encore été officiellement annoncé avant que Pékin ne prenne les devants. En rendant cette réunion publique, la Chine a voulu souligner l’importance de sa relation avec l’Union Européenne en matière climatique, en un pied de nez aux États-Unis qui organisaient un sommet d’envergure sur le même sujet une semaine plus tard. Cela n’a pas empêché Xi Jinping de dénoncer vigoureusement la future taxe carbone de l’Union Européenne qui frapperait les exportations chinoises, en y opposant les vertus du « libre-échange ».

Ce faisant, ce rendez-vous sino-européen à haut niveau a éclipsé la rencontre qui a eu lieu le même jour à Shanghai entre l’émissaire américain pour le climat, John Kerry, et son homologue Xie Zhenhua, sorti de sa retraite en février. Sur le bout des lèvres, les deux premières puissances mondiales se sont engagées à « coopérer » d’ici la COP26, prévue à Glasgow en novembre prochain. Pourtant, Pékin refuse de dissocier le sujet climatique des nombreux autres dossiers qui fâchent, espérant peut-être obtenir ainsi des concessions de la part de Washington.

Quatre jours plus tard, le 20 avril, le forum de Boao, « Davos chinois », a pris des allures de « contre-sommet » climatique. Dans son discours, le Président Xi s’est à nouveau présenté comme le porte-parole des « pays en voie de développement » et a souligné « la nécessité de respecter le principe des responsabilités communes, mais différenciées » – une manière de renvoyer la balle dans le camp des pays « développés » qui lui réclament plus d’efforts. « Une demande peu réaliste », commentait Le Yucheng, vice-ministre des Affaires étrangères. « La Chine est encore à l’école primaire alors que les États-Unis et l’Europe sont déjà au lycée. Il n’est pas juste de nous demander d’obtenir le baccalauréat en même temps », jugeait celui qui est pressenti pour remplacer l’actuel ministre Wang Yi qui va sur ses 68 ans.

Décidément friand des effets d’annonces, Xi Jinping a confirmé publiquement sa participation au sommet sur le climat organisé le 22 avril par l’administration de Joe Biden, la veille de l’évènement.

Alors que de nombreux observateurs nourrissaient l’espoir que la Chine dévoile à l’occasion des objectifs climatiques plus ambitieux ou renonce à financer des projets de centrales à charbon à l’étranger (comme l’a fait la Corée du Sud), Xi Jinping s’est contenté d’annoncer que son pays atteindrait le pic de sa consommation de charbon en 2025, avant qu’elle ne commence à décroître sous le 15ème plan quinquennal (2026-2030). Le même jour, l’administration nationale de l’énergie (NEA) a révélé l’objectif de réduire la part du charbon dans le mix énergétique chinois de 56,8% à 56% cette année, reflétant l’approche prudente privilégiée par Pékin, en proie à des luttes internes au sujet de l’avenir de la filière houillère dans le pays.

Diplomatiquement, Pékin ne voulait surtout pas donner l’impression de céder face aux pressions américaines. Si la Chine a de nouvelles annonces à faire, elle le fera plutôt à l’occasion d’un sommet international, comme celui de l’ONU en septembre dernier durant lequel Xi Jinping avait surpris le monde entier en s’engageant à faire baisser les émissions chinoises de CO2 « avant » 2030 et à atteindre la neutralité carbone « d’ici » 2060

Malgré le manque de nouvelles ambitions, c’est la première fois que Pékin divulgue un calendrier plus précis depuis la promesse de Xi Jinping. « Ces objectifs sont déjà particulièrement lourds », se sont justifiés certains hauts cadres. De fait, la Chine devra investir 15 000 milliards de $ durant les trois prochaines décennies et fermer près de 600 centrales à charbon (364 GW) dans les dix prochaines années pour espérer atteindre la neutralité carbone d’ici 2060. C’est donc une véritable révolution économique qui attend le pays. Mais en tant que leader dans les énergies renouvelables, la Chine est bien placée pour relever le défi.


Automobile : Coup de frein pour Tesla
Coup de frein pour Tesla

L’histoire de Tesla en Chine avait démarré sur les chapeaux de roues. Premier groupe automobile étranger à avoir obtenu l’autorisation de produire dans le pays sans partenaire chinois, la firme californienne a commencé la construction de son usine à Shanghai début 2019, attirée par les généreuses exemptions fiscales et les crédits à taux préférentiels offerts par la municipalité. Le public chinois étant particulièrement réceptif au génie visionnaire de son fondateur, Elon Musk, Tesla a réalisé l’an dernier 6,7 milliards de $ de ventes en Chine, faisant du pays son second marché après les Etats-Unis. Cependant, l’état de grâce de l’entreprise de Palo Alto pourrait bien prendre fin plus tôt que prévu.

L’affaire a débuté le 19 avril par un esclandre d’une cliente de Tesla au Salon de l’Auto à Shanghai. Prénommée Zhang, la femme est montée sur le toit d’une Tesla Model 3 (cf photo), puis s’est mise à crier qu’elle avait failli perdre la vie à cause du système de freinage supposément défectueux de son véhicule électrique. En litige avec Tesla depuis février, Mme Zhang réclamait le remboursement de sa Tesla Model 3 (actuellement vendue au prix de 249 000 yuans), sans pouvoir trouver un accord avec la firme. Rapidement interpellée par des agents de sécurité, elle a ensuite passé cinq jours en détention pour « trouble à l’ordre public ».

Cependant, la vidéo de l’incident a fait le tour des réseaux sociaux, les internautes sympathisant en grande majorité avec la cliente mécontente : « pauvre femme, je comprends son désespoir, la plupart des consommateurs n’ont aucun moyen efficace de défendre leurs droits », écrivait l’un d’entre eux. Surfant sur la tendance nationaliste (guócháo, 国潮), le t-shirt de Mme Zhang, portant l’inscription « les freins ne fonctionnent pas » et le logo de Tesla, a fait un carton sur Taobao.

Malgré la polémique, Tesla a initialement campé sur ses positions : « nous ne ferons jamais de compromis sur des demandes déraisonnables », a commenté Grace Tao, la vice-présidente du groupe en Chine, qui est allée jusqu’à suggérer que la cliente ait été incitée à protester par des « forces extérieures ».

Suite à cette déclaration, l’Association des Consommateurs Chinois (CCA), l’Agence Nationale de Régulation des Marchés (SAMR), la Commission Centrale d’Inspection Disciplinaire (CCID) et la Commission Centrale des Affaires Politiques et Légales, sont montées au créneau, appuyées par les médias officiels. « La popularité de Tesla en Chine s’explique par la confiance que les clients portent à la compagnie, mais l’arrogance, sans parler du manque de respect pour le marché et les consommateurs chinois, n’est pas une réponse appropriée », a déclaré l’une des agences sur son compte WeChat. Le message est clair : il est inacceptable pour Tesla de mordre la main qui le nourrit.

Sous le feu de la critique, Tesla n’a pas tardé à faire volte-face. La firme a présenté ses excuses et promis de faire de son mieux pour satisfaire sa cliente. Surtout, elle a accepté de partager avec les régulateurs les données enregistrées par le véhicule 30 minutes avant l’accident – une première.

Avec le recul, il aurait été facile pour Tesla de se prémunir d’un tel scandale en trouvant un terrain d’entente avec sa cliente avant le Salon de l’auto de Shanghai, évènement très médiatisé. Surtout que cette controverse tombe au bien mauvais moment pour Tesla…

En effet, le mois dernier, les véhicules de la marque américaine ont été interdits d’accès aux bases militaires chinoises, Pékin craignant que les caméras embarquées ne servent à des fins d’espionnage. Des suspicions balayées par Elon Musk en personne, avant que Tesla ne promette de stocker toutes ses données sur le territoire chinois.

Plus généralement, c’est une crise de confiance qui se profile pour la firme en Chine, alimentée par des plaintes visant ses pratiques commerciales « trompeuses », mais aussi les défaillances techniques de ses véhicules, faisant écho à celles déposées par des clients américains. Impassible face à la critique, Tesla nie toute responsabilité et a la fâcheuse habitude de rejeter la faute sur les conducteurs.

Dans ce contexte, on peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé la CCTV à ne pas dénoncer Tesla dans son dernier gala « 315 » à l’occasion de la journée des droits des consommateurs, les firmes étrangères constituant une cible de choix pour le programme télévisé. De la même manière, le constructeur américain est miraculeusement sorti indemne de la guerre commerciale entre Washington et Pékin.

Cette relative immunité est le reflet de l’intérêt stratégique que les autorités chinoises portent à la filière électrique. À l’inverse, Tesla ne serait probablement pas le leader mondial sans le marché chinois. Mais un revirement n’est pas à exclure à l’avenir, alors qu’une myriade de concurrents chinois, tels que NIO, Xpeng, BYD, Geely, se tiennent prêts à capitaliser sur le moindre faux pas du champion américain.


Politique : Le chant du cygne de Wen Jiabao
Le chant du cygne de Wen Jiabao

Même les anciens Premiers ministres n’échappent pas à la censure dans la Chine de Xi Jinping. L’ex n°2 du pays de 2003 à 2013, Wen Jiabao, a vu l’hommage consacré à sa mère, décédée en décembre dernier, supprimé des réseaux sociaux après avoir été partagé des centaines de milliers de fois.

Wen « xi » attendait-il ? Probablement, puisque l’ex-Premier ministre a choisi de publier son essai dans un journal hebdomadaire méconnu, le « Macao Herald », l’ex-colonie portugaise ayant su conserver une presse un peu plus libre qu’ailleurs en Chine continentale. D’ailleurs, avant sa censure, aucun média officiel n’y avait fait allusion, ni Xinhua, ni le Quotidien du Peuple, ni la CCTV… Étant donné le statut de Wen Jiabao, la consigne de faire disparaître le texte a donc dû être donnée en haut lieu.

Publié en quatre parties à l’occasion de la fête de Qingming (la Toussaint chinoise), l’essai de Wen Jiabao, 78 ans, relate les épreuves qu’a dû traverser sa mère Yang Zhiyun, mais aussi son grand sens de l’intégrité. « Un jour, j’ai trouvé un centime et je l’ai mis dans ma poche. Lorsque ma mère l’a découvert, elle m’a battu avec un balai jusqu’à casser le manche. À partir de ce moment-là, j’ai appris que je ne pouvais pas prendre ce qui n’était pas à moi, même pas un centime », se rappelle l’ancien Premier ministre. « Même après ma promotion au sein du gouvernement en 1985, ma mère n’a jamais rien réclamé de la part du Parti, et n’a jamais usé de son nom pour obtenir une quelconque faveur ». Ce passage semble répondre indirectement à la polémique causée par les révélations fracassantes du New York Times en 2012, affirmant que la famille de Wen Jiabao aurait amassé une fortune estimée à 2,7 milliards de $, dont 120 millions de $ investis au nom de Yang Zhiyun dans le géant de l’assurance et des services financiers Ping An. Cette clarification pourrait également signaler que l’un des proches de Wen serait sur le point de chuter pour « corruption ».

Wen Jiabao consacre ensuite un long passage aux persécutions dont son père, enseignant dans une école de Tianjin, a été victime pendant la Révolution Culturelle. « Après avoir reçu plusieurs coups de poing, le visage de mon père était si boursouflé qu’il n’y voyait plus rien. En désignant son torse, mon père lança alors à ses tortionnaires : «frappez plutôt ici» raconte Wen. On retrouve là une marque de fabrique de l’ancien Premier ministre, un des rares dirigeants à évoquer publiquement les tourments de la Révolution Culturelle. Ce faisant, l’ex-Premier passe outre les consignes de Xi Jinping qui veut promouvoir sa version de l’histoire du Parti l’année du centenaire du PCC, avertissant contre tout « nihilisme historique ».

Wen poursuit en révélant l’inquiétude de sa mère lorsqu’il était à Zhongnanhai. « Pour quelqu’un comme moi, issu d’un milieu modeste, c’est par accident que je suis devenu dirigeant. J’ai obéi aux ordres avec la plus grande prudence, alors que je marchais sur des œufs, et me suis parfois trouvé au bord du gouffre », confesse-t-il. Ce rappel de ses origines modestes lui permet de s’opposer subtilement à celles des fils de leaders révolutionnaires, tels que Xi Jinping et Bo Xilai, rival (déchu) de Wen.

Dans le dernier paragraphe, Wen Jiabao dévoile sa vision de la Chine, suggérant que le modèle actuel ne répond pas exactement à ses attentes : « la Chine devrait être un pays remplit d’équité et de justice, où il y a un respect éternel pour le peuple, l’humanité et la nature humaine, et où il souffle un vent de jeunesse, de liberté et de travail assidu ».

Selon de nombreux observateurs, cette critique voilée ne méritait probablement pas d’être censurée. Mais dans le climat politique actuel, rien que d’oser prendre la parole (ou la plume) est considéré comme un acte de défiance, surtout de la part d’un ancien leader, l’appareil attendant d’eux qu’ils se retirent silencieusement de la vie publique. Cette censure impitoyable signifie que même les opinions modérées n’ont plus leur place aujourd’hui. Une intransigeance qui peut s’expliquer par le profond sentiment d’insécurité de Xi Jinping, l’année du 100ème anniversaire du Parti, mais aussi à la veille du XXème Congrès où il doit sécuriser un troisième mandat. Le Président ne veut donc prendre aucun risque.

Ce n’est pas la première fois que Wen Jiabao, connu pour ses vues réformistes, est victime de la censure. Lorsqu’il était encore en exercice en 2010, le Premier ministre avait déclaré lors d’une interview à CNN que la liberté d’expression était « essentielle » et que le désir de liberté et de démocratie du peuple chinois était « inévitable ». Après être devenue virale, la vidéo a disparu de l’internet chinois…

Avant de tirer sa révérence en 2012, l’ancien bras droit du Premier Secrétaire réformiste Zhao Ziyang avait enfoncé le clou : lors de la conférence de presse de clôture du Parlement, Wen Jiabao s’était lancé dans une longue tirade affirmant que « ce n’est pas uniquement le système économique qui doit être réformé, mais aussi le système politique. Sans quoi, la tragédie de la Révolution Culturelle pourrait bien se reproduire ». Une inquiétude partagée par son autre mentor, Hu Yaobang, dont le décès a déclenché les évènements du printemps de Pékin en 1989.

Durant ses deux mandats, l’ancien Premier ministre, parfois surnommé « Papi Wen », s’était rendu populaire par sa présence systématique sur le terrain en cas de catastrophe (accidents, inondations, tremblements de terre…), se bâtissant une image « d’homme du peuple ». Le contraste est frappant aujourd’hui, alors que le Président Xi a attendu de longues semaines avant de se rendre à Wuhan, lorsque la situation était déjà sous contrôle.

Et c’est dans cette brèche que s’engouffre aujourd’hui Li Keqiang, qui vit dans l’ombre du Premier Secrétaire omnipotent. Marchant sur les traces de son prédécesseur, l’actuel Premier ministre, qui devrait voir son second mandat prendre fin l’an prochain, s’est récemment montré désireux de se présenter comme un leader proche du peuple : en janvier 2020, Li Keqiang était le premier à se déplacer à Wuhan les jours qui ont suivi le début de l’épidémie, il a révélé en mai 2020 que la Chine était loin d’avoir éradiqué la pauvreté, il ne cesse de défendre l’emploi et les petits métiers comme ceux des vendeurs ambulants, il a enfilé ses bottes l’été dernier lors des fortes inondations dans le centre du pays, et multiplie les visites en campagne auprès des paysans. Comme quoi, l’opposition n’est pas forcément là où on l’attend…


Architecture - Urbanisme : La Chine aimerait dire adieu à ses bâtiments « étranges »
La Chine aimerait dire adieu à ses bâtiments « étranges »

Sept ans après la critique formulée par Xi Jinping à l’encontre des architectures « étranges et disproportionnées », la tutelle de l’économie (NDRC) a jugé nécessaire d’administrer une piqure de rappel.

En une directive publiée mi-avril, la NDRC a déclaré que la construction de bâtiments « hideux » doit être « absolument interdite ». Les gouvernements locaux doivent s’assurer que les édifices sont « adaptés, économes, verts et plaisants à regarder ». Autre indication : les tours de plus de 500 mètres seront « strictement limitées ». Sur les sept gratte-ciel au monde dépassant cette hauteur, cinq sont situés en Chine (la Shanghai Tower, la Ping An Tower à Shenzhen, le CTF Finance Center à Canton, le CTF Finance Center à Tianjin, et la CITIC Tower à Pékin).

La nouvelle consigne architecturale a été relativement bien accueillie par les internautes, tant sur le plan esthétique qu’économique. « La plupart des bâtiments mettent des années à être construits, et ils représentent un énorme gâchis de l’argent du contribuable », écrit l’un d’entre eux. Il n’en fallait pas plus pour faire vibrer la fibre nationaliste chez certains : « la Chine a longtemps été considérée comme le terrain de jeu des architectes étrangers », déplore un autre, convaincu que « l’effet visuel désordonné » de certaines villes chinoises est une « invention de l’Occident ». De fait, plusieurs architectes internationaux de renom tels Zaha Hadid ou Paul Andreu ont été sollicités pour « réveiller » la physionomie uniforme des mégalopoles chinoises, tout en libérant la créativité des architectes chinois, tel que Ma Yansong

Au contraire, plusieurs internautes s’insurgent de la subjectivité du règlement, qui pourrait nuire à l’inventivité des concepteurs. « Qui est apte à juger la beauté d’un bâtiment ? Ce que je trouve hideux peut être considéré comme novateur par quelqu’un d’autre », écrit un utilisateur de Weibo.

Ce n’est pas la première fois que l’État tente de contrôler le paysage architectural des villes chinoises : l’an dernier, le ministère du Logement et du Développement Urbain-Rural a décrété que « le plagiat » de bâtiments était « strictement interdit ». Il faisait référence aux répliques de quartiers de style Renaissance et aux copies de monuments occidentaux, tels que le Capitole ou la Tour Eiffel. Dans la même idée, depuis 2016, les ponts, les routes, et surtout les complexes résidentiels, ne peuvent plus être baptisés avec des noms étrangers comme Park Avenue, Palm Springs ou Versailles. Ces appellations, censées souligner la sophistication des lieux et de ses habitants, portent atteinte à la « dignité nationale » et aux « valeurs socialistes ». Désormais, tous les aspects du bâti doivent être en phase avec les « caractéristiques chinoises ».

Mais ce n’est pas un succès à tous les coups ! L’an dernier, l’Etat a été contraint d’ordonner la « rectification » à Jingzhou (Hubei) d’une immense statue (58 mètres de haut, 1200 tonnes) représentant le « saint guerrier » Guan Yu, général de l’époque des Trois Royaumes érigé en modèle de vertu par le confucianisme. Pour déplacer le colosse 8 km plus loin, les autorités locales devront débourser 155 millions de yuans – c’est presque autant que le coût de sa construction.

Dans le même esprit, le Grand Théâtre Sunac de Canton a été élu l’édifice « le plus laid » du pays par les internautes en 2020. Conçu par un cabinet londonien, le théâtre semble avoir été victime d’une trop forte « sinisation », avec son revêtement rouge décoré de nuages et de Phoenix dorés (cf photo)…

Alors, comment expliquer ce bourgeonnement d’ouvrages de « mauvais goût » dans le pays ? Les experts s’accordent sur le fait que la course à la croissance économique des gouvernements locaux les a incités à faire preuve d’extravagance architecturale. En effet, en donnant « carte blanche » aux urbanistes, les cadres espèrent attirer les curieux, désireux de se prendre en photo devant une construction hors du commun, et donc stimuler les revenus touristiques. C’est un moyen pour eux d’accroître leurs chances de promotion en se faisant remarquer de leurs supérieurs hiérarchiques. Ainsi, tant que la composante architecturale ne sera pas prise en compte dans l’évaluation des cadres, il est probable que toute directive venue de Pékin soit vouée à l’échec.


Petit Peuple : Suzhou (Jiangsu) – Un mariage compliqué (2ème partie)
Suzhou (Jiangsu) – Un mariage compliqué (2ème partie)

Préparé depuis près d’un an, le mariage de Song Caifu et de Xia Lanfen était prévu pour ce matin du 31 mars 2021.

La première étape, chez les Xia, verrait l’ « enlèvement » de la promise : à neuf heures du matin, le fiancé et son clan sonnaient pour emmener Lanfen, en un rituel d’appropriation. C’était pour les parents Song l’occasion de voir enfin l’imminente jeune épouse. Aussi insolite qu’il puisse y paraître, ils ne la connaissaient pas : depuis le feu vert à leurs fiançailles en juin 2020, Caifu passait prendre Lanfen chez elle, mais l’inverse ne s’était jamais produit : en cette ville provinciale, si la demoiselle avait visité un jeune homme sans être d’abord passée par la case mariage, la demoiselle aurait risqué les cancans.

Aussi madame Song avait hâte de découvrir cette fille qu’elle n’avait jusqu’alors connue que par les bribes parcimonieuses de récit de son fils et l’enquête de moralité commanditée au détective. Avec son mari, elle fut présentée à Lanfen au salon, chaque couple de parents assis sur deux canapés alignés, et les jeunes se prosternant devant eux pour leur servir du thé. Mais alors que Lanfen versait le breuvage dans des tasses en « coquille d’œuf », madame Song découvrit sur elle un détail qui la frappa. Sur le dos de la main gracile et pâle se détachait un dessin plus foncé représentant vaguement une île. Or cette tache violacée, comme le thé de Pu’er que lui servait la fille, lui rappelait violemment le souvenir d’un vieux drame. 22 ans en arrière, leur fillette d’un an avait disparu, kidnappée suite à une négligence de la nounou. Or la petite avait porté au poignet gauche la même tache de naissance… Pour cette mère, la découverte suscita une émotion indescriptible. D’une petite voix, elle demanda en aparté à Mme Xia si par hasard, la gamine n’aurait pas été adoptée. Et pour le coup, ce fut au tour de cette femme de pâlir soudain, tout en bredouillant que oui. Car cela avait été jusqu’alors un secret absolu, auquel Lanfen même n’avait jamais été associée – trop petite, à un an lors de l’entrée dans sa nouvelle famille, elle ne s’était jamais doutée de rien.

En dépit de tous leurs efforts depuis le mariage en 1995, les Xia n’avaient jamais pu avoir d’enfant. Après avoir épuisé tous leurs moyens, ils s’étaient résolus  à adopter. L’enfant avait été achetée à un réseau de passeurs qui l’avaient présentée comme résultat d’un abandon par une famille pauvre du Sichuan. La profession d’avocat du mari, et ses contacts au Parti, leur avaient facilité la tâche, pour donner un peu de légalité à cette enfant d’origine incertaine. Mais alors, s’il en était bien ainsi, Caifu et Lanfen étaient frères et sœurs biologiques, et de par la loi ne pouvaient plus s’unir – un fort discrédit moral, et de sérieux soucis judiciaires frappent en Chine les mariages consanguins !

Hébétée, madame Song demanda à s’asseoir, et but un verre d’eau, le temps de reprendre ses esprits. Caifu le fiancé n’osait plus prendre dans ses bras sa fiancée qui pleurait à chaudes larmes : l’interdit planant soudain sur cette fête faisait peser une pression noire, annihilant toute pensée. De plus, les deux familles allaient perdre la face, et le malheur suivait au malheur : à la catastrophe de l’union interdite, allait succéder le scandale à Suzhou pour les mois à venir, confirmant le proverbe : « une vague à peine apaisée, une autre déferle » (一波未平,一波又起 – wèi píng, yòu ).

Prise dans la tourmente, madame Song restait dans sa torpeur, tandis que son mari debout réfléchissait à toute allure. Quand soudain son visage s’éclaira d’un espoir, tandis qu’il s’écriait, plus à la cantonade qu’à sa femme : « mais enfin, c’est l’émotion qui nous rend stupides… Caifu, nous aussi on l’a adopté, après avoir si longtemps cherché à retrouver notre petite et avoir vainement tenté de concevoir un autre enfant… À lui aussi, nous avons dissimulé son origine ». « Mais alors, s’écria Caifu, on peut quand même se marier ? »« Mais oui », confirmèrent les quatre parents soulagés, tandis que pérorait le maître du Fengshui, juste arrivé : « cet incident est un signe des Dieux, retrouvailles qui soldent un douloureux passé. Ce don du ciel vous promet une vie commune sous protection divine. Vous avez une chance très rare » !

Dès lors, la fête pouvait commencer. Fiancés, parents et témoins allaient à présent partir pour le bureau des mariages enregistrer l’union. Puis ils se dirigeraient vers la villa des Song pour recevoir les dizaines d’invités, le maître de la cérémonie confucéenne, le prêtre bouddhiste et les préposés à la réception des cadeaux. Les copains des deux jeunes allaient leur faire subir la série de « Nao », forme de sévices taquins, course en sac ou bien échange en coulisse de leurs tenues de mariage, histoire de  leur faire enterrer leur vie de célibataire et les « punir » de l’abandon de leur bande de copains. Et puis suivrait le banquet aux 15 plats consacrés. Parmi les invités figurerait un journaliste, notant l’incroyable aventure qui dès le lendemain allait faire le tour du pays !  


Podcast : 14ème épisode des «Chroniques d’Eric» : « Sous la Covid-19, le SRAS »
14ème épisode des «Chroniques d’Eric» : « Sous la Covid-19, le SRAS »
Venez écouter le 14ème épisode des « Chroniques d’Eric », journaliste en Chine de 1987 à 2019 et fondateur du Vent de la Chine.
 
« En novembre 2002 en Chine,  le SRAS, virus animal, franchissait les barrières biologiques et infectait l’homme, causant une pandémie courte mais violente. Plus tard, en 2019 éclatait une seconde épidémie virale, celle de la Covid-19. Aujourd’hui, je vous propose une fresque de mes notes et de mes souvenirs, ainsi qu’une réflexion sur la manière dont tout cela a été géré. C’est un débat tout sauf anodin : entre ces 17 ans et ces deux catastrophes, le bilan des victimes est déjà multiplié par 1000. Nous, pays du monde, pouvons-nous nous permettre de faire l’impasse sur une alliance complète avec la Chine, contre une  troisième explosion qui poursuivrait la même courbe dévastatrice exponentielle ?  »
 
Suivez dès à présent les « Chroniques d’Eric » via le flux RSS ou sur Apple Podcast !
 
 


Rendez-vous : Semaines du 26 avril au 23 mai
Semaines du 26 avril au 23 mai

27- 30 avril, Shanghai : BAKERY CHINA, Salon international de la boulangerie et de la pâtisserie

5- 8 mai, Shanghai : CHINA INTERNATIONAL BICYCLE FAIR, Salon international du vélo 

6- 9 mai, Shanghai : CHINA GLASS, Salon chinois des techniques industrielles du verre

7-10 mai, Haikou (Hainan) : CHINA INTERNATIONAL CONSUMER PRODUCTS EXPO, première exposition internationale des produits de consommation à Haikou.

10-12 mai, Canton : ASIAN FLOWER INDUSTRY EXPO, Salon asiatique de l’industrie des fleurs

10-12 mai, Pékin : CISILE, Salon chinois international des instruments scientifiques et des équipements de laboratoire

12-15 mai, Shanghai : BIOFACH CHINA, Salon mondial des produits bio

12-15 mai, Shanghai : CHINA BEAUTY EXPO, Salon asiatique international de la beauté

12-15 mai, Canton : PHARMCHINA, Salon international de l’industrie pharmaceutique

13-16 mai, Shanghai : CMEF – CHINA MEDICAL EQUIPMENT FAIR, Salon chinois international des équipements médicaux

14-16 mai, Canton : CPF – INTERNATIONAL PET FAIR, Salon chinois international des animaux de compagnie

17-19 mai, Pékin : CIHIE – CHINA INTERNATIONAL HEALTHCARE INDUSTRY EXHIBITION, Salon international dédié à la santé, la naturopathie, la nutrition et à l’alimentation santé, aux cosmétiques naturels et aux boissons de santé, aux produits sans sucre

17-19 mai, Pékin : NGV CHINA, Salon international du gaz naturel et des équipements pour stations-service

17-19 mai, Pékin : SBW EXPO, Salon professionnel dédié à l’eau potable et à l’eau de source en bouteille

18-20 mai, Nanchang : CAHE – CHINA ANIMAL HUSBANDRY EXHIBITION, Rencontre internationale pour les professionnels de l’élevage en Chine

18-20 mai, Shanghai : SIAL CHINA, Salon international de l’alimentation, des boissons, vins et spiritueux

21-23 mai, Yantai : YANTAI EQUIPMENT MANUFACTURING INDUSTRY EXHIBITION, Salon des équipements pour l’industrie manufacturière