Editorial : Les grandes manoeuvres financières

[1] Que la Banque de l’Agriculture aille en bourse de Shanghai et de Hong Kong (15-16/07), traduit la volonté publique de doter le monde rural d’une finance à la hauteur de ses besoins.

Mais assainir la Banque de l’Agriculture est digne des travaux d’Hercule, pour une maison qui 5 ans plus tôt avait 50% de prêts insolvables. Pour se ranger, comme ses 3 grandes soeurs publiques avant elle, elle a dû passer par une série de remèdes de cheval, subir une recapitalisation de 139MM$ réduisant sa dette à 2,91% (déc.09), fermer 60% de ses agences pour ne garder que les 23624 les plus rentables. Elle a laissé l’étranger entrer en son capital, StanChart (Londres) pour 0,5MM$, espérant devenir son partenaire privilégié en Afrique), la QIA (Qatar), pour 2,8MM de pétrodollars… Avec l’entrée en bourse, la Banque de l’Agriculture pèserait 150MM$, 4ème mondiale en capitalisation (derrière ICBC – Industrial & Commercial Bank of China-, CCB – China Construction Bank – et HSBC) avec 320M de clients – plus que la population des USA.

Bilan: minutieusement préparée par l’Etat, l’entrée en bourse de la Banque de l’Agriculture atteint le succès attendu, engrangeant 23,2MM$, record historique. Mais on note l’écart entre l’appétit des fonds d’investissement et des banques alléchés par le potentiel de croissance, et l’anémie des porteurs privés qui doutent de la réalité de son désendettement.

[2] Pour l’Etat et 150 firmes (y compris étrangères) attendant leur tour d’entrer en bourse, cette émission de titres a servi de thermomètre, sur l’appétit du marché. De septembre 2008 à juin 2009, toute nouvelle entrée était bannie pour ne pas éreinter plus une place en pleine tourmente. Mais depuis, c’est le feu vert, la ruée vers l’or : en 2010, Shanghai et Shenzhen attendent 300 valeurs fraîches, pour réoccuper la 1ère place mondiale des cotations.

[3] L’économie poursuit sa décrue, à un rythme qui déçoit l’Occident et Pékin, mais pour des raisons inverses. L’Ouest craint une rechute de sa propre croissance, mais à -10% au 1er trimestre, Pékin trouve insuffisante la baisse de son immobilier. Au 1er semestre, les ventes dans Shanghai ont baissé de 34%, et en mai dans Pékin, les prix ont baissé de 21%. Dans l’automobile, les ventes n’ont monté en juin « que » de 10,9% contre 25% en mai. Derrière ces évolutions, se lit le plan de calmer le jeu, sans rien casser! De 9,1% en début d’année, la croissance pourrait se stabiliser à 7,5% en fin.

[4] Le capital local tente de s’exporter. Des 100aines de millionnaires placent dans New York 500.000$, seuil de délivrance de la carte verte; à Athlone (Irlande), ils mettent 60M$ dans une Chinatown; au Pirée (Grèce), la Cosco met 4,2MM$ dans une concession du port pour 35 ans. Le placement est risqué, car la population grecque vit mal cette perte de souveraineté, et ce marché des transports maritimes vers l’Europe ne devrait pas connaître d’expansion avant des années…

[5] Pour Michael Pettis, Professeur d’économie à l’université de Beida, les nations d’Europe, d’Amérique ou d’Asie tendent à faire porter sur les ménages le désendettement de l’Etat: par la taxation, par un taux d’intérêt trop bas, ou par une « restructuration » de la dette. Partout, les mêmes politiques donnent les mêmes effets : baisse de consommation, hausse de l’épargne, rupture de la croissance. Concernant la Chine où les banques sont en «mauvais état», l’unique issue «dans quelques années», serait une réforme politique assortie de la privatisation de l’immense patrimoine public : pour désendetter l’Etat, ou promouvoir le marché intérieur, au choix (mais pour Pettis, les deux reviennent au même).

Ce pari d’une réforme démocratique inévitable peut paraître optimiste. Mais il porte des analogies avec le XII. Plan en gestation, qui parle d’enrichir les foyers en brisant les privilèges des nantis, villes, milliardaires, grandes entreprises d’Etat : les grands esprits se rencontrent… sur une formule qui semble la seule prévention possible d’un effondrement économique, social, et politique !

 

 

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