Qu’est-ce qui se passe entre Inde et Chine ? Depuis l’été, les récriminations ne tarissent pas dans la presse indienne. Journaux et TV font état de clashes aux frontières et de violation de l’espace aérien indien. Or, tels incidents semblent entièrement imaginaires puisque outre Pékin, également la diplomatie et l’armée indienne les démentent. Ce qui n’éteint pas pour autant le climat d’énervement.
Ce qui se passe? D’abord, la crise. Depuis la réconciliation solennelle de 1998 mettant fin à 36 ans de guerre froide, les échanges n’avaient cessé de remonter à des taux de +20 à 30%, boostés par la demande chinoise en minerais, pour atteindre 51,8MM$ l’an passé (+34%). Mais depuis, de janvier à juillet, ce commerce a reculé de 30%. Il n’en faut pas plus, côté indien, pour observer son déficit légèrement grandissant vis-à-vis de la Chine (6,14MM$ au 1er semestre), et d’en chercher les causes dans un protectionnisme chinois, comme le suggère l’ambassadeur indien en personne, S. Jaishankar : «que notre industrie soit compétitive partout sauf en Chine, cela ne tient pas debout». Et de déplorer les restrictions sur les services, en Chine, le permis d’exporter trois fruits et légumes, sur les 17 réclamés depuis 10 ans. Les groupes chinois, de leur côté, déplorent en Inde les critères tatillons des administrations et le monopole des marchés publics.
D’autres problèmes politiques existent. Certains cadres militaires vieux, mais influents, n’ont jamais digéré la défaite militaire contre la Chine en 1962. 13 réunions d’experts sur le tracé de la ligne de contrôle frontalier, n’ont pas réussi à s’entendre. La Chine revendique 90.000km² de la province de l’Arunachal Pradesh, au sud du Tibet, patrie de la ville de Tawang et de monastères tibétains. Elle bloque un prêt de 60M$ de l’Asian Development Bank (ADB) dans la zone, prétextant que la région est disputée. Aujourd’hui, Delhi et le Dalai Lama discutent d’une visite de ce dernier dans l’Arunachal, qui indispose Pékin. La presse indienne croit que la Chine maintient 50.000 hommes au Tibet, non loin de la frontière. L’armée indienne en a récemment redéployé 30.000. De même, en août, par manque de confiance, Delhi a formellement renoncé à son projet de rouvrir la route Stillwell (qui avait fonctionné quelques années après 1944, 1800km de jungle entre Assam, Birmanie et Yunnan) : elle aurait pu acheminer, à bien moins cher, jusqu’à 20% du trafic sino-indien…
Pourtant, les choses pourraient changer. Le ministère chinois des affaires étrangères déclare le 16/9 que le moment « serait bon pour régler le différend frontalier », et que l’Inde « n’est pas un ennemi ». La Chine, disent des sources indiennes, commence à rechercher son aide, afin de maîtriser son problème ouighour. Elle réfléchit aussi au saut qualitatif sans précédent dont bénéficieraient les relations sino-indiennes, si elle-même renonçait à ses revendications, et retournait les arpents de neiges saisis en 1962… Un rêve d’alliance privilégiée, entre deux nations de 2,5 milliards d’âmes…
Sommaire N° 30