Petit Peuple : Train 201 : la nana—intérim

Mars 2007,19h: parti de Pékin (Ouest) 10h 11 minutes avant, le train T-201 entre en gare de Wuchang. Shi Rong, beau ténébreux, est si concentré sur son portable qu’il ne voit pas entrer la femme d’affaires moderne, blouson de cuir et lunettes noires, qui note l’inquiétude, la déception du jeune en train de démarcher pour des emplois, d’un ton battu d’avance, convaincu qu’on lui dira non…

Après un dernier échec, il sort. Son sac est tombé : la femme a saisi, parcouru la liasse de courriers qui s’en est échappé. Quand il retourne, elle sait tout de lui : nom, âge, études d’histoire, chômeur de longue durée.

21h : installés face à face sur leur couchette, la femme rompt la première le silence :

– excuse… 

– oui, je peux t’aider ? 

– je suis en train de prendre froid – peux tu me donner ta couverture ?

Il la tend instantanément. 

– mais, et toi ? 

– non, pas de souci 

Et c’est là qu’elle sort l’offre extraordinaire :

– je ne veux pas que tu attrapes la grippe à cause de moi : viens avec moi, sous les couvertures.

De surprise, il crie: « ah, non, ça ne se fait pas ». Mais elle gouaille : « Ecoute, je ne suis pas une tigresse, je ne vais pas te bouffer… Si c’est pour la morale, t’as qu’à me prendre pour ta nana-intérim».

Subjugué, Shi Rong finit par se glisser à ses côtés. Mais impossible de dormir-on n’est pas de bois. Après10 minutes, l’incroyable fille reprend la parole: « et si l’on se présentait? Moi, c’est Li Jiaxing. J’ai fait 4 ans d’études d’histoire, puis pendant 10 mois, j’ai ramé pour trouver du boulot dans plusieurs villes ».

Stupéfait, Shi Rong ne peut s’empêcher de commenter – « Inouï—tout comme moi ! »

Elle lui raconte comment à l’époque, elle buvait l’eau aux WC, faute de pouvoir acheter des bouteilles. «Mais la chance a tourné. On m’a proposé de faire dessinatrice de jouets dans une boite à Dongguan. J’y connaissais rien, mais je voulais m’en sortir. J’ai emprunté des livres, potassé. Et ça a marché : je dirige le bureau de design des produits! Alors écoute moi: de la veine, y ‘en a pour toi aussi. Te décourage pas, ça va venir »

Et du coup, ce jeune trop silencieux, l’air un peu menaçant, comme ruminant un coup, finit par se dégeler. Ils passent ainsi la nuit à somnoler, bavarder…Du coup, Shi Rong se rend même compte qu’il vient de rire : pour la première fois en un an !

6h25, gare de Canton, Jiaxing descend. Ils ont échangé leurs numéros de portable et se sont promis de se recontacter. Ce qui va arriver plus vite, en fait, que Shi Rong n’attendait. Car quand il se rallonge, il sent une masse sous l’oreiller : c’est une liasse de 20 billets de 100¥. Et par contre son couteau, qu’il avait caché là, a disparu… Il fonce au portillon : déjà fermé. Par la vitre sur le quai, il voit Jiaxing qui jubile, le poignard en main. Par téléphone, il l’appelle :

– pourquoi t’as laissé ce fric ? 

– et toi, pourquoi t’avais caché ce couteau ?

C’est là qu’il avoue: «Ouais c’est vrai j’ai pensé te dérober. On était seuls, t’avais l’air nantie, ça m’aurait fait tenir quelques mois».

« Et moi, répond-elle, je l’avais senti. C’est pour ça que je t’ai attiré au lit : à la fois pour t’aider, et pour sauver ma peau, tout en t’évitant de faire une connerie…»

Lui, couvert de honte, bat sa couple. Mais elle coupe court: «laisse tomber. Tout le monde peut perdre les pédales. Le tout, c’est de s’aider».

Et tandis que s’ébranle le train, vers Hainan, elle arbore un sourire moqueur (comme pour en cacher la gentillesse), qui dit 乐善好施 lè shàn hào shī – « la joie du bienfait – c’est un choix dans ma vie» !

 

 

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