Pour croquer du verre, il faut être fou, non ? A moins d’avoir une idée là-derrière, comme y trouver le secret de s’arracher à la médiocrité ? C’est peut-être ce qui arriva à Cui Jibin, vannier de son état, qui décida un jour de 2006, d’ajouter à sa diète cet ingrédient douteux.
A Caoxian (Shandong), Cui est un homme à qui rien n’arrive. En ce microcosme, la routine règne en maître : tout le monde s’ennuie.
Jusqu’au jour où arrive l’appel de la folie : au moment de la pause, sur la place publique, un compère-vannier lance la galéjade : il a vu à la télé un gars qui bouffait du verre.
Alors, pris d’une inexplicable inspiration, un Cui en mal d’esbroufe s’entend dire, stupéfait, le mot qui change le cours de sa vie : « Boff ! c’est rien, çà, chte l’fais quand tu veux ». « Chiche », fait l’autre. Incapable de reculer, Cui le défie de trouver du verre : manque de chance, l’autre lui sort une ampoule électrique, suite à quoi un Cui nettement moins fier se défile et perd la face.
Mais foi de Cui, on n’en restera pas là ! Chez lui, il mâche une petite ampoule, fait glisser les tessons entre ses molaires, de la pointe de la langue, les brise précautionneusement, salive, mâchouille, mordille, avale un grand coup : le verre est en son corps, ni sang ni douleur : l’étape est passée… Voilà Cui membre de l’exclusive chapelle des avaleurs de verre !
Le lendemain sur la place, il fait montre de son savoir-faire tout neuf, réitère l’exploit. C’est la gloire. Désormais, le village se divise en 2 clans, l’un qui le prend pour un Dieu, l’autre pour un fou. Pour préserver cette notoriété toute fraîche, il lui suffit de se donner en spectacle devant les visiteurs qui viennent en bus entiers, de loin constater l’exploit : voilà Cui devenu 刮目相看«gua mu xiang kan » – celui qui, par ses prouesses, force le regard.
Mais il n’est pas d’Eden qui dure: dès son 1er exploit, les copains l’ont cafardé à leurs femmes, qui l’ont sans retard répété à son épouse. Histoire de rétablir au village, l’harmonie menacée par son acte excentrique. Comme tous l’espéraient, elle lui fait une scène, moins pour cause de santé que pour celle de convenance : « chez les gens bien, on fait pas ce genre de chose !»
Cui ne l’entend pas de cette oreille. Après avoir goûté à sa magie envoûtante, comment retourner à la grisaille du conformisme ? Il ne laissera pas s’envoler la voie qu’il s’est trouvée pour s’arracher à l’insignifiance!
Son épouse ne supporte pas de le voir croquer ses éclats de verre ? Il se cache dès lors au bord de la rivière, avec sa cour d’admirateurs, et prétend voir depuis, son appétit s’améliorer!
Attiré par sa notoriété, un journaliste vient de la ville, l’interviewe, l’entraîne vers l’hôpital – qui l’examine, et conclut comme prévisible, à une santé à peu près normale, mis à part une paroi stomacale un peu enflammée, et la psychologie d’un hâbleur, en mal de notoriété.
C’est l’instant que Cui choisit pour renouer avec les réalités : 3 ans de frime, ça suffit. Sa moitié, il faut le dire, lui a posé un ultimatum : l’arrêt de son « cirque », ou le divorce. Fine mouche, le vannier -qui durant ces ans, a beaucoup appris sur le show biz- choisit la TV pour faire son grand acte de contrition, maquillé, sous les projecteurs et caméras. Le serment de Cui plait au public : Il a du bagout et passe bien. Les producteurs sentent en lui une bête de chaîne : sa fortune est faite – à lui désormais, de savoir la garder, par sa verve campagnarde. Et Cui, ému, d’observer le chemin parcouru depuis l’époque, 36 mois plus tôt, où il tressait mélancoliquement ses paniers, parmi ses compagnons d’infortune !
Sommaire N° 32