Petit Peuple : Chongqing, Changsha : Dehua né perdant, « C » né coiffé

Sous l’angle de ses noms patronymiques, la société chinoise fait pauvre. Elle n’en a que quelques dizaines, les fameux laobaixing100 vieux noms»), titre de cette rubrique. En revanche, ses prénoms pullulent comme les vagues de la mer. Comme chez nous, ce prénom chinois caresse l’ambition irréaliste d’inspirer le destin de son porteur. La différence tient à la prétention du pouvoir d’intervenir: le clan et l’Etat se disputent le contrôle du nom. Bien sûr, il est des parents (de plus en plus) pour prénommer leur fils comme ils l’entendent : selon le proverbe, «l’ordre de l’Etat est sapé par le désordre de la base» (上有政策下有对策, shang you zhengce xia you duice).

Les porteurs de noms marginaux sont de deux sortes: ceux l’ayant choisi, et ceux l’ayant subi. Invariablement, face à la masse conformiste, les seconds se retrouvent laminés, sans moyens de défense. Tandis que les autres, revendiquant leur différence, font trembler l’ordre établi, et gagnent leur pari !

[1] Natif de Chongqing, agent commercial à Shenzhen, Liu Dehua (23 ans) est au bout du rouleau, brimé par le monde à cause de son nom. Il est homonyme d’un célèbre chanteur de charme. Loin d’avoir été voulu, pourtant, ce patronyme lui vient d’un malheureux concours de circonstance, d’un destin inclément. Traditionaliste invétérée, sa mère était d’avis que tout enfant devait refléter, à travers son nom, celui de son époque. Aussi Dehua aurait dû s’appeler Jianhua («  construction de la Chine »). Mais à la mairie, le greffier mauvais en orthographe (ou bien fan du chanteur) avait noté un autre caractère : le jeune Dehua s’appellerait désormais « vertu de la Chine », à l’instar du maestro.

Durant sa jeunesse, ses parents firent semblant de rien. Mais au moment d’aller en fac, le tabellion vérifiant ses papiers se montra intraitable. La loi, c’était la loi. En matière d’identité, on ne faisait pas n’importe quoi ! A plusieurs reprises, Liu tenta de rétablir son nom. Mais toujours, ses professeurs, l’avisèrent de ne pas se lancer dans une bataille perdue d’avance: peu combatif, Liu lâcha pied. C’était pourtant un mauvais conseil, il le découvrit vite. Dans l’esprit des gens, il n’y avait qu’un Liu Dehua, tout autre ne pouvait être qu’un usurpateur.

Aussi, une fois dans son négoce, il vit vite ses clients tourner les talons à l’annonce de son nom trop douteux. Et ses éphémères amies, avant de le plaquer, n’ont qu’un conseil : « change donc de nom ».

[2] Pour Zhao «C», c’est le contraire. 22 ans plus tôt à Changsha (Jiangxi), son père a choisi ce prénom de rupture, «C» comme China, se prononçant comme le 西 «xi» de l’Occident. En cette trouvaille syncrétique, l’Est et l’Ouest se trouvaient réunis en un seul être ! Bien sûr, « C » aussi, 18 ans plus tard, dut affronter le petit esprit d’un commissariat refusant de valider son identité : très clair, le règlement, bannissait les noms claniques féodaux, alphabétiques ou mathématiques !

D’abord désarçonné, « C » comprit vite qu’avec son prénom, c’était son âme-même que l’Etat contestait : le droit du choix de sa propre affirmation au monde. Mais son père était avocat, et l’un et l’autre obstinés : ensemble, ils attaquèrent l’Etat, affirmant la préséance du code civil, qui établit le droit des citoyens à choisir leur nom, sur le règlement.

Le 6/06, contre toute attente, la Cour leur donna raison: « C » garderait son nom, l’Etat était invité à revoir sa copie… Le juge ne s’est peut être pas rendu compte de la portée révolutionnaire de son verdict. Car le nom, en définitif, se révèle comme ce qu’il est : moins la prière propitiatoire pour la chance d’avenir, que le lien entre individu, famille et autorité, celui qui définit les droits et devoirs de chacun dans la pyramide sociale. En dénonçant le règlement, la justice dynamite ce lien, au risque de faire sombrer cette société autoritaire mais structurée, dans une jungle de demain !

 

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