Petit Peuple : Xi’an : le défi d’honneur de pépé Jiang

A Xi’an (Shaanxi), en sa boutique, avec sa loupe et sa calotte, Jiang Zhaolin était maître d’un royaume chatoyant de timbres de tous lieux et de tous temps. Prétexte à de géniales séances quotidiennes de thé avec ses compères, et débats sur l’univers, tel que décrit par ses petits carrés de papier festonnés et tamponnés.

Ce bonheur simple dura jusqu’en juin 2002. Zhaolin se mit à ressentir fatigue et envie de sucré: le diabète cognait à sa porte, épuisant ses forces et ses reins. Quand, six mois plus tard, il sentit sa vue le quitter, ce fut le signal qu’il était temps,  à 61 ans, d’afficher à son enseigne, «commerce à remettre».

La survie matérielle du philatéliste ne posait aucun problème – il avait sa retraite, et son échoppe ouverte en 1997, était sans but lucratif. Jiang restait donc avec un seul souci, mais de taille: comment retrouver les 18 clients à demeure? Car sa réputation d’esthète, expert et amoureux des timbres, s’étendait au-delà de la ville, et ils se comptaient par 100aines au fil de sa carrière, les amateurs qui lui avaient laissé leurs trésors aux fins de vente ou d’échange. En valeur, il en restait pour 500² – un pactole, en Chine du centre. Et si cette culture confucéenne conserve encore une règle de fer, c’est bien celle de payer ses dettes, avant le grand départ !

C’est alors qu’à Xi’an, émue par l’angoisse du vieil artiste, se leva une vague inouïe de solidarité.Contribuèrent les philatélistes, sigillographes et numismates, retraités voire receleurs, prostituées et pickpockets: tout ce que la rue comptait de faune, honorable ou non, se trouva unie dans le défi d’honneur de pépé-Jiang. Dès la mi 2005, après deux ans, elle avait localisé tous les clients, sauf un, Wang Xiang, le plus coriace.

Le pensionné avait gardé en tête son état-civil -étudiant en économie, son visage carré, sa coupe en brosse, son rocailleux accent de Fufeng, un bled perdu dans le Shaanxi, où il devait travailler pour une minoterie.

Fufeng se trouvait aussi être le bercail de Xi Xuliang, autre fada de timbres : rien que pour alpaguer le prêteur égaré, Xi y retourna souvent et la passa au peigne fin, sans oublier la plan-que la plus plausible —le marché aux timbres. Durant deux ans, il fit chou blanc. Jusqu’au 1/05 où le temps d’une réplique, finit la quête de papy Jiang et de tous ses alliés : « j’ai ton oiseau », lui dit un intermédiaire – « il repasse après-demain » !

Onze jours plus tard, derrière un bol de thé dans la mansarde de Jiang Zhaolin, après avoir récupéré ses 30 planches de valeur, Wang s’expliqua: son diplôme engrangé, il était retourné au pays, changeant au passage de téléphone portable -devenant injoignable. Ayant convolé, s’étant empressé de faire un héritier à sa dulcinée, ses timbres en dépôt lui étaient complètement sortis de la tête !

Face à lui sur sa couche, loin de lui en vouloir des cinq ans de tracas endurés, Jiang rayonnait: « le Dieu du ciel l’observait », savait-il, (苍天有眼 cang tian you yan), et l’avait distingué, en l’aidant à faire son devoir !

 

 

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