Lycéenne à Canton, Liu Lian partage un passe-temps fort en vogue, qui lui fait dévorer sa vie avant l’heure, via internet. La toile connaissait le faux-argent, le sexe frelaté. Voilà qu’elle développe le faux mariage. Liu Lian en est à sa 2de union virtuelle, enregistrée par le site!
Tout débuta en 2004.Gauche et discrète, elle n’avait d’yeux que pour Wei, 1er de la classe, si doué qu’elle n’osait lui parler. Par les copines, elle sut qu’il s’adonnait au «Voyage à l’Ouest » en rêve, jeu de rôle en ligne, et apprit son pseudo : elle s’y mit à son tour, et l’impression utopique de liberté illimitée lui permit de briser la glace avec Wei, de devenir son amie, puis «épouse». Quittant l’écran, ils se retrouvèrent souvent dans un parc, au bord de l’étang. Ce retour au monde réel l’aurait sauvée, si les adultes ne s’en étaient mêlé : quand profs et parents découvrirent leur liaison, «fi», firent-ils, «si jeunes!», et mirent tout en oeuvre, la loi, les ordres et la délation des camarades, pour détruire leur relation – ce qui advint : ils « divorcèrent ».
Dès lors, Liu Lian avait compris : le monde en « www@ » était clair et beau, moins décevant que le réel, non pollué par la morale et les interdits : « à corps perdu », elle passa ses jours à tapoter son clavier, chevauchant motos ailées ou ULM diaprés, errant dans ces villes fausses, où père-la-morale, mère crieuse et surveillants rabat-joie passaient à la trappe, remplacés par les magiciens et héros aux visages des acteurs les plus célèbres, où l’on se recomposait une personnalité que l’on aime. Elle y pêcha son 2d homme, Po, 18 ans, de Hohhot (en Mongolie). Bientôt, ils ne purent se passer l’un de l’autre. Pour la fête nationale en 2006, elle resta avec lui 7 jours sur écran, ensemble à 4000km de distance, sales faute de se laver, affamés faute de se nourrir, sans voir les oedèmes qui gonflaient leurs jambes faute de les dégourdir…
La veille de leur mariage sur écran, son fiancé candide l’informa avoir plusieurs filles, et pas que virtuelles… Perdue, Liu l’épousa tout de même – mais depuis lors, ne croit plus à rien. Quelle différence entre bien et mal, vrai et faux, homme et femme, solide et virtuel, le loin ou le près ?
Dans cette démarche aliénante, Qi Qi, de Shenzhen, va plus loin encore : il s’est déjà marié trois fois, tout en ne divorçant qu’une, et dans un de ses 2 couples, il joue la femme, se retrouvant ainsi à la fois bigame et androgyne, à 11 ans!
Po, Qi Qi, Wei ou Liu, tous ces cas sont banals : à Shenzhen, ils seraient 24% de leur âge, ces ados mariés en ligne et 14% en seraient à leur 2de union. C’est la 4ème dimension de la jeunesse chinoise, celle d’une vie par procuration et par la technologie. En bouddhisme, on appelle çà « rêvasser dans la bulle d’ombre » (meng huan pao ying, 梦幻泡影).
Mais le risque est lourd, d’un avenir où les chinois des villes vivraient dans leurs caves, échangeraient par leurs ondes, désertant les échanges réels. Ils laisseraient la place publique à l’Etat, sa propagande, ses mégaphones, sacrifiant par obéissance, leur existence à celle de la grande machine !
Sommaire N° 18