Editorial : Les divergences, déjà !

Il n’est pas dans la tradition du VDLC de produire coup sur coup deux numéros spéciaux sur un même thème. Cette fois, cependant, vu l’intérêt manifesté par la signature (lundi 16 novembre 1999) de l’accord bilatéral sino-américain pour l’accession de la Chine à l’organisation mondiale du commerce (OMC), et la masse énorme de précisions, opinions et rectifications factuelles intervenues depuis lors, un nouveau numéro « à thème » semble incontournable.

1° bénéfices chinois attendus : tels que calculés par un institut chinois, les avantages prévus pour la Chine, de l’entrée à l’OMC, sont considérables :

d’ici 2005, à l’issue de la phase de  » pré admission « , l’effet OMC sur la consommation des ménages, sera de + 0,58%, sur les investissements de + 1,75%, sur les exportations de + 26,9%, sur les importations de + 25,8%, sur le revenu urbain de + 4,56%, et le rural, de + 2,05%.

Ces derniers chiffres sont là pour suggérer qu’une fois de plus, le paysan paie la note, pour un choix économique qui profitera avant tout aux villes. En 2005, frappés par la concurrence étrangère, 9,6 millions de paysans fuiront leur terre, en plus des 10 millions de départs  » normaux « !  Globalement cependant, pour la Chine, le solde serait très bon.

Prenez le secteur textile par exemple, jusqu’alors en pleine crise, coincé entre les quotas des pays riches, et son marché intérieur saturé : à Shaoxing (Zhejiang), le groupe Zongheng investit pour produire, à l’horizon 2005, 120M m² de tissu. Cinq ans plus tard, l’export, aujourd’hui de 10%, sera passée à 30%, grâce l’abolition des quotas américains et européens.

En même temps, Zongheng pourra acheter sa fibre synthétique moins chère et meilleure à Taiwan, en Corée et au Japon. Zongheng espère l’entrée à l’OMC d’ici mars. En face, la fédération textile américaine déplore la mort désormais inéluctable d’environ 120 à 150 0000 emplois, suite à cette signature.

2° les divergences montent. Que les différences d’interprétation surgissent, sur le texte signé, est la moindre des choses. Ce qui est plus étonnant, est la rapidité à laquelle ces différends s’accumulent. Ceci, en l’absence de ce  » pavé  » de 500 pages techniques non publié, en cours de révision juridique et linguistique, dont dépendent sous 20 ans des centaines de millions d’emplois, à créer et à sacrifier.

Symptomatiquement, ce que Zhang Hanlin, Vice Président d’un centre de recherche chinois sur l’OMC, déplore le plus amèrement, n’est pas la série d' » erreurs  » publiées par la presse, mais le fait tout court d’avoir donné à l’extérieur la teneur de l’accord, avant que la Chine n’ait achevé la totalité de ses négociations avec les 134 pays membres.

En effet – et c’est certainement une des raisons de C. Barshefsky pour avoir dévoilé la substance de  » son  » accord – cette publicité et ce débat inspirent aux autorités chinoises la crainte d’avoir trop à s’expliquer, trop tôt, sur ce que les mots veulent dire. En cas de désaccord, les blocs commerciaux, Europe ou Canada, ne manqueraient pas de reporter leur signature à la publication de « clarifications »!

En matière d’internet, par exemple, selon Monsieur Zhang, la Chine fera comme d’autres membres de l’OMC, qui ont placé des restrictions au pourcentage de propriété consenti aux étrangers. D’autre part, le fait que les Etats-Unis aient obtenu le droit de financer des Joint ventures à 49%, puis à 50% en Chine après deux ans (services internet) et trois ans (service de « bipeur« ), ne signifie nullement la liberté absolue : ces parts ne pourront pas être détenues simultanément, et les 50% ne signifieront aucun contrôle de l’entreprise ni de sa gestion.

En matière de Banque, rien de plus faux que de croire qu’après cinq ans, l’étranger disposerait d’un accès total.

En fait de textile, la clause de sauvegarde contre les surchauffes d’import, ne serait pas celle de l’OMC, mais celle (prolongée) de l’accord bilatéral textile de 1997.

Enfin, certaines exportations que l’on disait garanties par quotas ou par principe, (céréales, audio-vidéo) ne le sont pas : la Chine en importera  » selon ses besoins  » – c’est à dire, comme avant l’OMC!

De même, en matière de distribution de nombreux produits agricoles, c’est Long Yongtu en personne, le vice ministre du MOFTEC (Ministère de ) qui le précise, contrairement à de nombreux commentaires, l’Etat chinois garde la mainmise du commerce du grain, du coton, de l’huile, du sucre et des engrais.

 

Voici, dans l’état actuel de nos connaissances, un résumé (incomplet) de l’accord :

1. tarifs douaniers : les tarifs douaniers sont amputés de 23% en moyenne (nouveau taux moyen 9,4%, et 7,1% pour les produits prioritaires) et l’annulation de toutes taxes sur les produits de haute technologie (informatique, télécommunications).

2. agriculture : baisse des tarifs douaniers de 17% en moyenne d’ici 2004 (14,5% pour les produits prioritaires). Toutefois un système de contingents en augmentation est établi pour le blé, coton, maïs, riz et orge, bénéficiant d’un taux préférentiel de 1 à 3%, mais d’un taux élevé en cas de dépassement. Droit à l’import et à la distribution des produits agricoles, sans passer par le Ministère de l’Agriculture (avec quelques exceptions stratégiques : céréales, coton, sucre, huile et engrais) et abolition des subventions à l’export.

3. textile : l’accord bilatéral multifibres de 1997 reste en vigueur jusqu’en 2008, assorti de mesures anti-dumping renforcées pendant 12 ans. Les quotas d’imports américains sur les textiles chinois ne disparaîtront qu’en 2005, et les Etats-Unis conserveront jusqu’en 2009 le droit de fixer des quotas sur certains produits, afin de protéger leur industrie (laquelle dénonce, dans le passé, des fraudes chinoises d’étiquetage frauduleux, permettant de contourner les quotas, pour un préjudice de 4MMUSD/an) !

4. automobile : d’ici 2006, 25% de taxes douanières pour les véhicules (au lieu des 80% à 100% actuels) et 10% pour les pièces (y compris les CKD, voitures en kit).

Abolition des quotas d’ici 2005. Les groupes automobiles obtiennent le droit de financer des crédits à l’achat de leurs véhicules. Secteur protégé par l’Etat, peu profitable (10 entreprises fournissent 90% de la production nationale et 50% des firmes sont déficitaires) l’automobile sera le plus sévèrement touchée par la concurrence du Japon, à deux jours de bateau : le montage de véhicules aux pièces à 100% importées, serait une option  – 120 usines seraient condamnées.

5. services et distribution : ce domaine promet d’être profondément bouleversé. Après un délai de trois ans, les firmes étrangères qui devaient passer par des circuits chinois pour la commercialisation et la distribution de leurs produits pourront monter leurs propres réseaux pour leurs produits fabriqués sur place, ou importés.

Tous les secteurs de la distribution sont concernés : commerce de gros, transport, maintenance et service après-vente, ainsi que les services en aval: sous trois à quatre ans, Pékin s’engage à lever les limitations aux investissements et autorise les filiales à 100% en matière de location, leasing, stockage, publicité, fret, contrôle technique, emballage. Même ouverture, même délai pour le secteur hôtelier.

6. banque : Sous réserve de la restriction énoncée plus haut, et de l’autre rumeur d’un quota de banques étrangères par ville, sous deux ans, les banques étrangères pourraient effectuer des opérations en Renminbi auprès du monde chinois industriel et des affaires, puis d’ici cinq ans avec des particuliers, pour accéder finalement au même statut que les groupes nationaux.

Les Joint ventures de trading à investissement minoritaire peuvent gérer des portefeuilles sous les mêmes conditions que les groupes chinois. Au fond, on a du mal à voir, vu le flou sur le droit réel des banques étrangères d’ici 2005, l’impact qu’elles auront sur le secteur national, en pleine crise et en train de résorber, par  » structures de défaisance  » interposées,  pour des dizaines (centaines?) de MMUSD de prêts industriels irrécupérables.

7. assurances : ici encore, on voit bifurquer les interprétations. Selon la partie américaine, les groupes étrangers dans le secteur  » tous risques  » pourront s’installer dès l’accession à l’OMC à Shanghai ou Canton (seules villes ouvertes actuellement), puis rayonner de plus en plus large pour couvrir toute la Chine d’ici 2005.

La CIRC (China Insurance Regulatory Commission, chien de garde des assurances) reste bien plus évasive, déclarant que la sortie hors de Shanghai Canton resterait  » à débattre  » (sic)…

Mais Dean O’Hare, Président de  Chubb (titulaire d’une licence tous risques, et attendant le feu vert) affecte ignorer l’inquiétude : « tout critère de test économique ou de quota national est exclu par l’OMC, et je ne pense pas qu’ils vont traîner les pieds »…

Toujours de source américaine, les assurances étrangères pourraient d’ici cinq ans pénétrer les secteurs « maladies »,  » collectivités « ,  » fonds de pension « , créer des Joint ventures à 51% en  » assurance-vie  » (50% pour les autres) avec libre choix du partenaire, et même créer leurs filiales à 100% sous deux ans. Il s’agit d’un marché immense, avec 200M d’employés urbains salariés, futurs propriétaires d’appartements et de voitures, et de moins en moins couverts par la sécurité sociale en pleine réforme.

8. professions libérales : une plus large liberté d’implantation est annoncée pour les médecins, auditeurs aux comptes, avocats, consultants, architectes, urbanistes. Participation majoritaire admise, sauf pour les juristes de droit chinois.

9. audiovisuel : droit de distribution pour la vidéo, l’audio (participation à 49% en Joint venture) et droit d’exploitation pour le cinéma (Joint venture à 100%). Achat de 50 films par an d’ici trois ans (40 dès l’accession), avec partage de bénéfices pour 20 d’entre eux.

10. marchés publics : l’Etat s’engage à laisser ses firmes publiques libres de leurs commandes, sur base commerciale. Les fournisseurs a pourront participer « à armes égales » à des appels d’offre.

11. aéronautique : l’accession à l’OMC n’ouvrira pas le marché intérieur chinois, mais permettra une explosion du nombre des liaisons avec l’étranger: pour les USA, de 27 à 64 par semaine (accord d’avril). Le gouvernement devrait aussi lever l’embargo sur le kérosène étranger, 50% moins cher que le chinois.

Ce qu’ils ont dit : (quelques opinions entendues ou lues, côté chinois, qui suggèrent que face à cet accord, chinois et étrangers partagent la même ignorance et perplexité):

Des paysans du Hebei, montés à la ville :  » déjà qu’on a du mal à vendre aujourd’hui notre maïs…Si le grain d’ailleurs vient se vendre ici, le nôtre ne vaudra plus rien «  (sic)

Wang Shan, politologue : ils (le pouvoir) ne se sont pas assez préparés aux pressions que l’OMC va exercer sur le peuple… Ils n’ont vu que les investissements, les exportations et les marchés du monde. Mais les américains croient que l’OMC va apporter aussi des grands changements sociaux »…

Ren Wanding, vétéran de la dissidence : « l’ouverture économique induira l’ouverture politique »

Chan Yinmiao, charpentier au chômage et riziculteur occasionnel : « Ouais! Plus le marché s’ouvre, et plus cela nous donne de chance de faire des affaires! »

 

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