
Alors que la guerre des prix des véhicules électriques s’intensifie en Chine, les régulateurs tirent la sonnette d’alarme avec des appels à mettre fin à cette concurrence destructrice, connue familièrement sous le nom d’« involution » (内卷 nèijuǎn).
Ce phénomène est incarné par les baisses de prix spectaculaires (jusqu’à -34% sur 22 modèles, annoncées le 23 mai par le leader du marché, BYD). Naturellement, ses concurrents se sont précipités pour égaler ces réductions, alimentant ainsi une course insoutenable vers le bas qui dure depuis déjà trois ans.
Ce cycle infernal qui plonge le marché automobile chinois dans la déflation, n’a rien pour plaire aux autorités. « Il n’y a pas de gagnants dans une guerre des prix, encore moins d’avenir », a déclaré un porte-parole du ministère chinois de l’Industrie et des Technologies de l’information (MIIT), en une rare réprimande publique.
« Un certain constructeur automobile a pris l’initiative de lancer des réductions de prix significatives et de nombreuses entreprises ont emboîté le pas, déclenchant une nouvelle vague de « guerre des prix », a déploré l’association chinoise des constructeurs automobiles (CAAM) dans un communiqué daté du 30 mai, avertissant d’une pression supplémentaire sur les marges des constructeurs.
Même les clients potentiels, initialement les premiers bénéficiaires de cette guerre des prix, se mettent à douter sur les réseaux sociaux : pourquoi devraient-ils acheter une voiture maintenant alors qu’elle pourrait être moins chère la semaine prochaine ?
C’est dans ce contexte tendu que plusieurs fabricants chinois de véhicules électriques ont été convoqués par le MIIT. Lors de cette réunion à huis clos, ils ont été appelés à « s’autoréguler » et à ne pas « vendre à des prix inférieurs au coût de production ». Le problème des véhicules à kilométrage zéro vendus par des concessionnaires sur le marché de l’occasion, a également été évoqué. Ce tour de passe-passe, dénoncé publiquement par le président de Great Wall Motor, Wei Jianjun, qui semble à nouveau pointer du doigt… BYD, permet aux constructeurs de gonfler artificiellement leurs ventes et de vider leurs stocks.
Suite à ce rappel à l’ordre, 17 constructeurs (dont BYD) ont promis de payer leurs fournisseurs sous 60 jours, alors que les délais peuvent souvent dépasser les 250 jours. Jusqu’à présent, les constructeurs avaient pour habitude de retarder les paiements afin de pouvoir utiliser ces fonds pour financer leur guerre des prix. Cependant, cette pratique a causé d’importants problèmes de trésorerie pour les fournisseurs, qui ont vu leurs marges fondre à leur tour… L’année dernière, BYD aurait déjà prié ses fournisseurs de réduire leurs prix de 10%, causant un certain mécontentement au sein de l’industrie.
Si cette promesse collective des principaux constructeurs automobiles représente le premier résultat concret des efforts entrepris par les autorités chinoises pour réglementer l’industrie automobile, le doute subsiste sur la capacité de certains à honorer leur promesse, étant donné leurs difficultés financières. Pour rappel, seuls 3 constructeurs sur la cinquantaine en activité dégagent des bénéfices (BYD, Li Auto, rival direct de Tesla, et Seres, mieux connu pour sa marque Aito).
Cette guerre des prix, si elle perdure, pourrait poser plusieurs problèmes aux constructeurs. Tout d’abord, ils pourraient être contraints de réduire leurs investissements dans la recherche et le développement, ce qui pourrait nuire à leur capacité d’innovation et donc in fine, à leur compétitivité. Ensuite, en tirant sans cesse les prix vers le bas, ils pourraient avoir du mal à maintenir la qualité de production, ce qui risque de compromettre la sécurité de leurs véhicules. Enfin, des réductions incessantes pourraient nuire à leur image de marque, en Chine mais aussi à l’international, au moment où les modèles de BYD, Geely, Zeekr et Xpeng commencent à peine à se faire une place sur les marchés étrangers.
Même si l’Etat semble déterminé à calmer le jeu, les constructeurs, eux, sont plus pessimistes. Dans une interview donnée fin mai, le PDG et cofondateur de la startup EV Xpeng, He Xiaopeng, a affirmé que « la guerre des prix n’a pas encore atteint son apogée » et que « la concurrence deviendra plus intense dans les cinq prochaines années ». « Ce n’est qu’un avant-goût de ce qui va arriver », a-t-il ajouté. Le dirigeant fait allusion à une inéluctable concentration du marché, impliquant la disparition de dizaines d’acteurs. Dans 10 ans, seuls 7 constructeurs sur les 50 présents sur le marché aujourd’hui, existeront encore, prédit He Xiaopeng.
Si Pékin semble voir ce scénario d’un bon œil, les gouvernements locaux ont, eux, beaucoup à perdre à voir leur poulain qu’ils ont subventionné pendant des années, disparaître… Toutefois, ces derniers auront beau freiner des quatre fers (ou plutôt des quatre roues), ils ne feront que retarder l’inéluctable, la consolidation du marché représentant la voie idéale vers des bénéfices industriels durables, des salaires plus élevés pour les travailleurs, une consommation intérieure plus importante et des relations commerciales plus sereines avec les partenaires étrangers.
Sommaire N° 19 (2025)