
À Pékin, les changements de personnel les plus significatifs se font souvent sans un mot. Le 30 septembre, veille des vacances nationales, la nomination de Liu Haixing à la tête du Département des relations internationales du Parti communiste chinois (PCC) a été « officialisée » par la simple mise à jour de la photo de son directeur sur le site internet : en un clic, le profil de Liu Jianchao, disparu de la scène publique depuis plus de deux mois, a été remplacé par celui de Liu Haixing, diplomate francophone bien connu des capitales européennes.
Ce changement vient confirmer les rumeurs qui circulaient depuis l’été, selon lesquelles Liu Jianchao, un temps pressenti pour devenir le prochain ministre des affaires étrangères, serait tombé en disgrâce. Sa disparition soudaine, fin juillet, avait suscité une vague de spéculations à Pékin comme à l’international : ce diplomate respecté, connu pour ses positions mesurées et ses liens avec l’étranger, semblait pourtant promis à un avenir politique plus large.
Aucune explication officielle n’a été donnée. Officieusement, plusieurs sources évoquent une enquête interne pour « violations de discipline », un euphémisme souvent employé pour désigner une mise à l’écart politique. Cette affaire rappelle celle de Qin Gang, limogé en 2023 après quelques mois seulement à la tête du ministère des affaires étrangères, probablement à cause d’une relation extraconjugale utilisée contre lui par ses rivaux.
Dans ce contexte, il fallait rapidement désigner un successeur jugé fiable et loyal. Le choix s’est porté sur Liu Haixing, 62 ans, diplomate de carrière, pour diriger le Département international du Parti, une structure à la fois étatique et partisane, chargée de superviser les relations entre le PCC et les formations politiques étrangères. Ce département, souvent perçu comme une vitrine parallèle du ministère des affaires étrangères (MAE), joue un rôle d’influence discret mais stratégique dans la diplomatie du Parti.
Formé en France dans les années 1980, Liu Haixing a consacré l’essentiel de sa carrière aux affaires européennes. Il a servi à plusieurs reprises à l’ambassade de Chine à Paris avant de diriger le département européen du ministère. Ces sept dernières années, il avait pris de l’importance au sein de la Commission de la sécurité nationale, un organe directement rattaché à Xi Jinping, chargé de coordonner la politique étrangère, la défense et le renseignement. Cette position lui a permis de démontrer sa fiabilité politique et son sens de la discipline.
Liu Haixing se distingue aussi par son absence d’affiliation marquée à l’une ou l’autre des factions du MAE, un atout dans un appareil où les rivalités internes peuvent être fatales. Il n’est ni un protégé de Yang Jiechi, ex-ministre et ancien conseiller d’État, ni de Wang Yi, actuel chef de la diplomatie, pourtant censé avoir pris sa retraite depuis quatre ans. Son ascension s’explique plutôt par sa proximité avec la « clique des traducteurs », ces anciens interprètes devenus hauts diplomates, réputés pour leur prudence et leur culture linguistique. Longtemps considérés comme les artisans d’une diplomatie mesurée et nuancée, ces profils ont peu à peu été éclipsés par une génération de jeunes cadres plus agressifs, les fameux « loups guerriers ».
Reste à savoir si Liu Haixing pourrait, à terme, succéder à Wang Yi. Pour Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius, ses chances demeurent faibles. Certes, Liu est déjà membre du 20ᵉ Comité central, ce qui renforce sa visibilité au sein de l’appareil, mais il ne représente pas l’un des grands pôles d’intérêt de la diplomatie chinoise, centrée avant tout sur les États-Unis. De plus, il ne fait partie ni du premier cercle de Xi Jinping, ni de ceux de Yang Jiechi ou de Wang Yi. Sur le papier, il manque donc d’appuis pour prétendre à la direction du MAE, d’autant que le Département international du Parti n’a jamais été un tremplin naturel vers ce poste.
Avec Liu Jianchao sous le coup d’une enquête disciplinaire, la liste des successeurs potentiels à Wang Yi s’est considérablement réduite. Restent quelques noms : Ma Zhaoxu, vice-ministre exécutif du MAE, technocrate chevronné mais sans éclat ; Xie Feng, ambassadeur à Washington depuis 2023, apprécié pour sa ténacité mais sans base politique solide à Pékin ; et, plus marginalement, Hua Chunying, porte-parole emblématique du ministère, dont la notoriété internationale ne suffit pas à compenser un handicap encore bien réel dans les hautes sphères du Parti : celui d’être une femme.
La question de la succession de Wang Yi pourrait revenir sur la table à l’occasion du 4ᵉ Plenum du Comité central, prévu du 20 au 23 octobre, traditionnellement consacré aux ajustements de personnel et aux promotions internes. Mais il paraît peu probable que Wang, vétéran de la diplomatie chinoise, devenu indispensable aux yeux de Xi Jinping, soit écarté à un moment aussi sensible : les négociations sino-américaines battent leur plein, et une rencontre entre Xi Jinping et Donald Trump pourrait avoir lieu en marge du sommet de l’APEC, en Corée du Sud, les 31 octobre et 1ᵉʳ novembre. Affaire à suivre !
Sommaire N° 32-33 (2025)