Diplomatie : Miroir des contradictions entre Pékin et Tokyo

Miroir des contradictions entre Pékin et Tokyo

Emotion à Shenzhen, le 18 septembre : à environ 200 mètres de l’école japonaise, un écolier japonais âgé de 10 ans a été mortellement frappé au couteau par un Chinois de 44 ans (le jeune garçon est mort de ses blessures le jour d’après). La date n’est pas anodine puisque c’est le 18 septembre 1931 qu’a eu lieu l’incident de Mukden (aujourd’hui Shenyang), que la Chine considère comme marquant le début de l’invasion japonaise de la Mandchourie, aujourd’hui au nord-est de la Chine. Connaissant le tropisme chinois pour la construction sociale du trauma mémoriel, le ministre japonais des Affaires étrangères Kamikawa Yoko avait demandé à Pékin de renforcer la sécurité autour des écoles japonaises à l’approche de la date anniversaire.

Il y avait de quoi être inquiet : le 24 juin dernier, à l’arrêt d’un bus scolaire d’une école japonaise dans la ville de Suzhou, une autre attaque au couteau s’était conclue par la mort d’une ressortissante chinoise qui tentait d’arrêter l’agresseur qui visait une mère japonaise et son enfant.

Interrogé à ce sujet, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, a nié tout lien entre les deux affaires, affirmant que « des cas similaires peuvent se produire dans n’importe quel pays ». Pourtant, l’incident n’est pas tout à fait isolé. En août dernier, des assaillants ont jeté des œufs sur une école japonaise à Suzhou, tandis qu’à Qingdao, une autre école a été ciblée par des pierres après que le Japon ait commencé à rejeter de l’eau radioactive de la centrale nucléaire de Fukushima, une mesure à laquelle la Chine s’était fermement opposée. Pékin avait qualifié cette fuite de « problème majeur de sécurité nucléaire ayant des implications transfrontalières » et annoncé une interdiction générale de tous les produits aquatiques en provenance du Japon pour « protéger la sécurité alimentaire et la santé publique » de son pays. Le Japon avait à son tour critiqué la Chine pour avoir diffusé des « affirmations scientifiquement infondées », après que l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’organisme de surveillance nucléaire de l’ONU, ait déclaré que le plan répondait aux normes internationales et aurait un impact « négligeable » sur les personnes et l’environnement.

Sur ce point, l’actualité des événements se télescopent. En effet, deux jours après l’attaque au couteau de Shenzhen, la Chine et le Japon ont conclu le 20 septembre un accord sur le sujet sensible des eaux usées de Fukushima. Il stipule que le Japon doit établir une surveillance à long terme et permettre aux parties prenantes de procéder à des échantillonnages et à une surveillance indépendante.

Si l’accord ouvre la voie à la levée de l’interdiction générale des fruits de mer japonais imposée par Pékin, le retour à la normale pourrait être plus long que prévu. En effet, selon Mao Ning, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, le consensus atteint par les deux pays « ne signifie pas que la Chine reprendra immédiatement les importations de produits aquatiques japonais ».

En réalité, si Pékin avait officiellement fortement réagi à la libération des eaux usées de Fukushima en août 2023, cela n’a pas empêché les pécheurs chinois de pêcher illégalement dans cette zone pour le marché chinois, comme le révélait une enquête du journal japonais Asahi Shimbun.

Un autre incident cette même semaine est venu compliquer un peu plus les relations entre Pékin et Tokyo : le 18 septembre, le porte-avions Liaoning a effectué « une mission d’entraînement de routine » dans le Pacifique occidental. Le ministère japonais de la Défense a déclaré que le porte-avions et les deux destroyers qui l’accompagnaient avaient navigué entre les îles Yonaguni et Iriomote, des eaux sous le contrôle du Japon.

Le ministère chinois de la Défense a réagi en rejetant les accusations de Tokyo et en affirmant que les navires participaient à un exercice d’entraînement conforme aux lois internationales : « Les parties concernées n’ont pas besoin de surinterpréter cela ». Le secrétaire général adjoint du cabinet japonais, Hiroshi Moriya, ne l’entend pas de cette oreille et a déclaré que Tokyo avait fait part de ses graves préoccupations à Pékin, qualifiant l’incident de « totalement inacceptable ».

On se rappelle que le 26 août, un avion de reconnaissance Shaanxi Y-9 de l’Armée Populaire de Libération avait déjà violé l’espace aérien au-dessus des eaux territoriales japonaises au large des îles Danjo dans la préfecture de Nagasaki et que le 31 août, un navire de reconnaissance de la marine de l’APL est entré dans les eaux territoriales japonaises au sud-ouest de l’île de Kuchinoerabujima, dans le détroit de Tokara.

Dans le cas de ce dernier incident, si la Chine reconnaît que son navire de reconnaissance a traversé cette zone, Pékin la considère comme un « détroit international où la libre navigation est autorisée », alors que le Japon soutient qu’il ne s’agit « pas d’un détroit international où la libre navigation est autorisée » : « comme il s’agit de nos eaux territoriales, seul le passage inoffensif est autorisé » (ce à quoi contrevient le passage d’un navire militaire). La difficulté est que Pékin désigne certaines eaux comme internationales quand elles mordent sur l’espace maritime des autres pays mais qu’elle considère comme territoriales des eaux, comme celles du détroit de Taïwan, que tout le monde à part la Chine considèrent comme internationales.

De façon générale, ces trois événements révèlent toute la complexité des rapports entre la Chine et le Japon.

D’une part, les attaques contre des ressortissants japonais soulignent un climat particulièrement hostile et un sentiment nationaliste exacerbé, dérapant parfois hors contrôle. Même si de nombreux internautes chinois se montrent touchés par ce drame touchant un enfant (dont la mère était Chinoise), d’autres au contraire avancent que la solution serait d’interdire les écoles japonaises en Chine ou choisissent d’en faire un avertissement. « Dépêchez-vous de retourner dans vos îles », peut-on lire sur Weibo.

D’autre part, le besoin d’exercice de puissance de l’APL et de déploiement coordonné de toutes ses composantes militaires, rend toujours plus probable la survenue d’un accident évoluant vers un conflit.

Le fait est que les relations économiques entre la Chine et le Japon restent extrêmement fortes : en 2023, les échanges commerciaux ont atteint 266,4 milliards de $ (+12,5 % par rapport à 2007), faisant des deux voisins les principaux partenaires commerciaux bilatéraux. La Chine était également la destination principale des exportations japonaises en 2023.

A vrai dire, aujourd’hui, la balle est dans le camp chinois : la Chine compte-t-elle intensifier sa pression militaire et sa propagande nationaliste, au risque de détruire son économie dépendante des exports ?

Par Jean-Yves Heurtebise

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