
De la même manière que Pékin consacre son premier « document central » de l’année au monde rural et agricole, la diplomatie chinoise réserve toujours son premier voyage de l’année aux pays africains.
Ainsi, en ce début 2025, ce sont la Namibie, la République du Congo, le Tchad et le Nigeria qui ont constitué les destinations de ce désormais traditionnel périple qui a duré une semaine.
Wang Yi, ministre des Affaires étrangères (MAE), est un habitué du continent puisque c’est sa dixième tournée depuis sa prise de poste en 2013. C’est déjà dans quatre pays africains (Égypte, Tunisie, Togo et Côte d’Ivoire) qu’il avait inauguré l’année 2024.
Cette tradition a débuté en 1991, soit bien avant le début de l’engagement chinois envers l’Afrique au début des années 2000, et n’a souffert d’aucune interruption depuis 35 ans, même durant la pandémie de Covid-19.
Une régularité digne d’une montre suisse, qui démontre à la fois une volonté de maintenir un contact permanent avec le continent et qui permet surtout à la Chine de se présenter comme « ami digne de confiance des frères et sœurs africains », des mots de Wang Yi. Un narratif qu’il est difficile de contester dès lors que ses engagements financiers, ses investissements, ses infrastructures et ses ventes d’armes n’ont cessé d’augmenter les deux dernières décennies. « Nous croyons fermement que l’Afrique n’a jamais été un « continent oublié », mais plutôt une source de vitalité et une terre pleine de potentiel de développement », a affirmé le 13 janvier en conférence de presse, Guo Jiakun, le porte-parole du MAE.
Officiellement, le principal objectif de cette tournée diplomatique était le suivi du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), dont Denis Sassou Nguesso, le président congolais, vient de prendre la coprésidence pour un sommet à domicile en 2027. Lors de la dernière édition, organisée à Pékin l’an passé, la Chine avait promis au continent pour 50 milliards de $ de prêts, d’aide financière et d’investissements sur trois ans. Il paraissait donc logique que le Congo-Brazzaville fasse l’objet d’une étape du voyage de Wang Yi. Quid des trois autres pays sur la liste ?
Chaque année, experts et analystes avancent toutes sortes de théories pour tenter d’expliquer qui sont les « heureux élus ». La faute à un appareil politique et une diplomatie chinoise qui entretiennent le culte du secret et donnent souvent l’impression de ne rien laisser au hasard. Ainsi, le choix des pays visités n’est généralement rendu public qu’un jour ou deux avant le début du voyage, et les facteurs utilisés pour décider quels pays figureront sur l’itinéraire sont rarement clairs.
A regarder de plus près les statistiques des 35 dernières années, le MAE semble accorder une importance considérable à la diversité géographique. L’année dernière, par exemple, Wang Yi a visité deux pays d’Afrique du Nord, l’Égypte et la Tunisie, alors que cette année, l’Afrique centrale et l’Afrique australe sont toutes deux à l’ordre du jour.
Le choix du Tchad est toutefois remarquable, car c’est la deuxième année consécutive que Wang Yi se rend dans un pays francophone d’Afrique de l’Ouest, après le Togo et la Côte d’Ivoire l’année dernière.
A N’Djaména (cf. photo), sa priorité était de renforcer les liens entre la Chine et le Sahel, suite au désengagement des forces militaires françaises dans la région… Mais preuve que Wang Yi exerce un métier à risque, il a échappé de peu (à quelques heures près) à une attaque au palais présidentiel tchadien qui a fait 20 morts, dont 18 assaillants.
L’inclusion du Tchad dans l’itinéraire est également notable car elle souligne l’importance que Pékin accorde depuis longtemps à la « diplomatie des petits États », ce qui constitue un point de différenciation majeur par rapport aux États-Unis et à l’Europe, qui ont tendance à privilégier l’engagement avec des pays africains plus grands pour des visites de haut niveau. Les visites annuelles des ministres chinois des affaires étrangères, en revanche, présentent toujours un équilibre entre petits et grands pays, comme le Tchad et le Nigeria, par exemple.
Enfin, le fait que la visite de Wang Yi intervienne moins de deux semaines avant le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, n’aura échappé à personne. Nul sur le continent n’a oublié l’attitude méprisante de l’ex-président américain à l’égard des nations africaines, allant jusqu’à les qualifier de « shithole countries » en 2018. Le désintérêt de Trump pour l’Afrique s’était ressenti dans le nombre de déplacements effectué par son secrétaire d’Etat d’alors, Mike Pompeo, vers le continent : seulement 6 visites officielles entre 2018 et 2021, contre 14 pour son successeur, Anthony Blinken.
Si l’administration Biden s’est efforcée de réparer les dommages causés par 4 années de négligence sous Trump, notamment en organisant en 2022 un sommet USA-Afrique promettant des financements équivalents à ceux consentis par la Chine et d’accroître leurs voyages diplomatiques de haut niveau, on peut prédire à la perspective du retour de Trump, que ces efforts auront été vains. Vu sous cet angle, la constance de la diplomatie chinoise ne peut qu’être bien accueillie.
Sommaire N° 1-2 (2025)