Pour Pékin face à la Libye, la chute de Kadhafi sonne l’heure de vérité.
Qu’on ne s’y trompe pas : l’homme l’exaspérait par ses hâbleries et erreurs tactiques permanentes. Mais un allié est un allié, à Pékin plus qu’ailleurs… Face à ces sept mois de guerre civile, la Chine a fait le grand écart entre les sensibilités opposées au sommet de l’appareil.
En février 2011, avec une maîtrise technique admirée, elle évacuait ses 35.000 ressortissants, perdant sans sourciller 3MM$ de biens pillés sur ses chantiers. En mars, sans plaisir, elle acceptait la résolution 1970 du Conseil de Sécurité, ouvrant la voie aux frappes de l’OTAN (Organisation du Traité Atlantique Nord) qui détruiraient l’armée libyenne, au nom de la protection des civils. Depuis, elle accuse l’OTAN de jouer au gendarme du monde, et en guise d’information, sa presse muselée copia-colla le plus souvent les communiqués du fantasque colonel.
Juin, rebondissement: elle reçoit à Pékin Abdul Jalil, leader du CNT (rebelle), envoie un émissaire à Benghazi. Le 25/08, sans aller jusqu’à reconnaître le CNT (Conseil National de Transition), elle tend la main : «avec quiconque au pouvoir, elle développera des relations, sur base d’égalité et de profits mutuels».
La valse hésitation reflète les divisions entre passé maoïste et réforme «Deng’ienne» au sein du PCC, qui est :
[1] hostile à la démocratie qu’il croit ingérable et brouillonne,
[2] «anti-hégémonique», à savoir en lutte avec l’Ouest pour l’influence sur le Tiers monde et les émergents),
[3] conservateur farouche (méfiant de tout renouveau), mais aussi
[4] pragmatique, (dépendant pour 52% de l’import pour son pétrole, dont le cours fusa durant cette guerre à 115$/baril). Tout ceci contribua à mettre au pilori la «Révolution du jasmin» qui embrase le monde arabe.
Par contre, à mesure de l’avancée des rebelles, tout bascule. Désormais, les contrats chinois déjà engrangés en Libye (20 à 30MM$) sont vulnérables et les perspectives sont désastreuses pour tout contrat futur de reconstruction du pays. Depuis juin, les rebelles soufflent le chaud et le froid, alternant les promesses de respecter les contrats chinois et russes, les menaces de les abroger et les promesses de récompenser les «pays alliés».
La part du lion, disent les initiés, ira aux Emirats (les ports), Qatar (du gaz), aux groupes américains, britanniques et français (hydrocarbures) – Total a versé un acompte de 7M$ sur un contrat gazier de la NGOGC (Northern Global Oil and Gas Co), « avec l’appui de l’Elysée ».
Face à la pente à remonter, Pékin compte ses atouts : sa position à l’ONU, son savoir-faire low cost, sa richesse en crédits pour se refaire une image. Mais dans les autres conflits déjà ouverts ou qui couvent au Moyen Orient, elle y a encore plus à perdre.
Finalement, l’affaire libyenne éclaire l’obsolescence de la diplomatie chinoise de « non ingérence », soit de soutien de régimes oppresseurs. Dès que les populations commencent à s’exprimer, cette position dessert ses ambitions d’export et d’échanges mondiaux. Pour garder son image, elle va devoir considérer les pays, moins selon l’intérêt des maîtres, que de celui des habitants—ce qui sera un défi majeur de Xi Jinping, prochain patron du pays, passé octobre 2012… Dès le 25/08 à Pékin, Sarkozy croyait voir s’effilocher le soutien au despote B. al-Assad —la Chine commençant à retenir, pour la Syrie, la leçon de la Libye…
Sommaire N° 27