Petit Peuple : Changxing : Lou Boyu, citoyen serviable

Quand vint l’été 1992 à Changxing (Zhejiang), Lou Boyu, agent des postes dut affronter le plus fort défi de sa vie : à 60 ans, c’était la retraite. A ce rendez-vous inévitable, la solution n’est pas plus facile en Chine qu’ailleurs: lire jusqu’à la nausée, sortir le chien, tuer le temps tout en feignant d’avoir quelque chose à faire…

A notre pensionné, il fallut 10 ans pour tomber -par hasard- sur la mission qui allait lui rendre sa raison d’être et le rendre célèbre. Passant dans sa rue pour la centième fois, il vit une bouche d’égout à l’air libre, son couvercle de fonte ayant été dérobé. La scène était banale mais cette fois, elle fit «tilt». Qu’après 60 ans de révolution, la mairie tolère tel laisser-aller lui fit trouver l’incident odieux. Avec l’appareil-photo qu’il avait en poche, il saisit la scène et alla tout droit au journal local. Là, il embêta tant les huissiers qu’ils allèrent déranger un journaliste. En soi, c’était déjà une victoire éclatante sur la grisaille de son existence. Mais le triomphe survint le lendemain, quand « son » article parut, avec photo du délit et de lui en Zorro, tandis que trois petits jours après, la mairie échaudée avait fait remplacer le rond de fonte. Dans tout le quartier, le rentier était le héros du jour…

Dès le lendemain, sa résolution était prise: renouveler l’exploit. Il se mit à hanter les rues en quête de la petite bête. Ces nappes du restaurant séchant sur la pelouse publique. Ce lampadaire brisé du carrefour. La poubelle publique renversée derrière le stade, l »épave sans plaque, ou la crotte du pékinois de Mme Zhang… Depuis ce jour d’illumination, rien n’échappe plus au pensionné qui en 8 ans a pris 20.000 clichés et usé trois appareils argentiques, avant de passer aujourd’hui au numérique.

Depuis, il s’est professionnalisé. Ses photos sont classées, ses inspections codifiées en routes et en fréquence. Depuis sa mise en chasse, il estime avoir crapahuté un tour de la Terre.

Enfin, il connaît -et est connu -de l’instance responsable pour chacun de ses petits bobos: China Telecom pour les fils tél. emmêlés par les tempêtes, la voirie pour ces affichettes anarchiques qui prolifèrent sur les pylônes ou parapets, parcs et forêts pour les lopins squattés dans les jardins publics.

Et si le sous-fifre ne bouge pas sous 3 jours, c’est le journaliste qu’il va voir, toujours à l’écoute de ses bonnes « stories » — gratuites en plus. En huit ans, de la sorte, Lou a dénoncé 4000 abus, dont 97% résolus.

Son hyperactivité n’est pas toujours appréciée. En 2007, une usine chimique déversait ses effluents dans la rivière. Sachant qu’il s’en prenait à forte partie, Lou bétonna son affaire, prenant sept jours pour filmer rizières et jardins brûlés, les poissons ventre en l’air, les boutons aux fronts des mômes. Alors qu’il était en pleine tâche, un contremaître l’aborda, le menaçant de le jeter dans le cloaque. Mais la menace ne fit que rire le vieillard, à qui la mort ne faisait ni chaud ni froid. Trois jours après, il était devant le maire, trois mois après, la boite fermait. Sur ce haut fait, les riverains lui offrirent la plaquette de son surnom en ville désormais : «citoyen serviable ».

D’autres tentent la corruption. Tel ce supermarché qui le soir rejetait en rue les déchets du jour. Comme Lou filmait, un chef de service l’aborda, tentant de lui glisser en main une poignée de bons de réduction. Mais le vieux gouailla de mépris : «la ‘rouille‘, çà marche pas avec moi». Voulant lui signifier ainsi qu’au bakchich, il était « inoxydable ».

Par ces méthodes, Lou a fait école. Depuis, autour de lui, les gens reprennent foi en leur force d’améliorer la vie. Des inconnus l’abordent pour lui passer des cas. Des jeunes rêvent de devenir, comme lui, la mémoire de Changxing, symbole de la capacité à 坚持不懈 jiānchí bú xiè, « insister et ne jamais renoncer » !

 

 

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