Le Vent de la Chine Numéro 27

du 31 au 6 septembre 2003

Editorial : Six pays au chevet de Pyongyang, malade indocile!

Chargé d’énigmes – bien dans l’atmosphère de ce mystérieux pays- le Sommet international pour la Corée du Nord (27-29/08, Pékin) semble un échec : Kim Yong Il le négociateur stalinien refusa de signer le Communiqué final, et brandit la menace que Pyongyang se déclare puissance nucléaire et procède à un test. Malgré les apparences, le sommet cache les progrès réels accomplis, et -peut-être- un tournant dans l’histoire!

Enigmes :

Pourquoi Kim Jong-il, le leader stalinien accepta-il de rompre son silence de quatre mois (cf  VdlC  n°13) ? Pourquoi Chine, US et Corée du Nord jusqu’alors contents de garder leur débat à huis clos, l’ouvrirent-ils à Russie, Japon et Corée du Sud?

Progrès :

• Pyongyang retourna au tapis vert, poussé par la faim. Suite à l’annonce (oct. 2002) de la reprise de son programme atomique, Pyongyang a vu fermer le robinet de l’aide alimentaire mondiale : la santé en Corée est faible, et le prochain hiver n’est plus loin.

• L’élargissement du débat est dû à G.W. Bush: enlisé dans l’ornière irakienne et devant bientôt entrer en campagne électorale, il est désormais disposé à partager les responsabilités de gendarme du monde !  

• Un délégué avait observé que vu les méfiances, le succès serait  acquis si les Nord Coréens ne claquaient pas la porte : ce fut le cas.

• Au contraire, les six pays convinrent de reprendre le débat d’ici oct.

• Pour contraindre Pyongyang à abandonner la voie hostile, ses  partenaires renforcèrent leur unité. Russie, Corée du Sud et Japon entamèrent (18/8) d’historiques manoeuvres navales, et Chine et Japon en annoncèrent d’autres. Sous l’égide des US (Proliferation Security Initiative), 10 pays convinrent de traquer les bâtiments coréens soupçonnés de contrebande

Mais le rôle le plus net fut tenu par Pékin qui, sortant de 20 ans de non-interventionnisme (dogme de Deng Xiaoping), avertit Pyongyang de ne plus compter sur elle pour la soutenir dans son errance : depuis avril, trois émissaires de Hu Jintao se sont succédés à Pyongyang pour y dire que Pékin ne la soutiendrait plus, sauf dans la voie du développement pacifique. Et pour forcer le loup hors du bois, l’oléoduc vers la Corée était coupé – avec pour conséquence immédiate, l’incapacité de la Corée à se chauffer—la Chine assure 80% des imports coréens en vivres et fioule… 

Ainsi, après 20 ans d’aveuglement, la Chine et ses voisins sont alliés face au risque coréen : base d’un règlement enfin possible!

Mais demeurent, pour assurer l’avenir, deux incertitudes :

• L’unité tiendra t’elle face aux rivalités de l’influence et de la reconstruction future?

• Les US fourniront-ils enfin le traité de non-agression traumatiquement réclamé par Kim Jong-Il, qui en a besoin face à son oligarchie militaire? Sans ce “papier” plus symbolique qu’autre chose, sans doute, pas de paix possible!


A la loupe : L’auto, rêve et cauchemar des autorités !

De janvier à juin 2003, les ventes d’auto ont bondi de 85% contre 50% en 2002 – effet de mode, d’enrichissement et de SRAS (rejet du transport en commun). La Chine est désormais assurée de dépasser le Japon d’ici 2010 comme producteur n°2 mondial!

Mais cette envolée ne cache pas les embûches. Le 23/08, Shanghai a battu son record d’enchères des immatriculations: 4,639$ la plaque la moins chère (4500 étaient en vente, pour 9000 candidats). D’autre part, le crédit double chaque année, touchant 40% du M de voitures vendues (jan-juil.). Mais comme en téléphone portable, le mauvais acheteur chasse le bon. Ce prêt hier estimé infaillible, cause beaucoup de pertes : pas facile de courir après un fraudeur motorisé! Or, les assurances étant garantes des prêts, les banques se retournent contre elles: Ping An et la PICC, deux des grands assureurs se retirent de ce risque non rentable!

Une autre incertitude est la guerre des prix: -20% en moyenne en 2002. Les marges de profit, pour l’instant, le permettent—seul constructeur ayant dit ses chiffres, DPAC à Wuhan fait 12,2% de profit, trois fois plus qu’en Europe. Mais les choses vont changer : en 2006, l’automobile chinoise aura digéré 10MM$ d’investissement pour produire 4,5M d’unités/an  pour un marché de  3,5M. L’export prendra t’il le relais, alors que selon GM, la production locale coûte actuellement 20 à 30% de plus qu’aux US? Le spectre de la surproduction guette, avivé par les 95 groupes chinois marginaux encore vivants, et les «francs tireurs», investisseurs parachutés sans technologie mais avec financements et appuis politiques. Aussi, pour ce professionnel étranger en Chine, pas de doute : « il y aura de la casse ! »

 


Joint-venture : Pas de Syndicat pour Wal-Mart?

— Vieille dispute en Chine : la loi du Travail stipule que toute entreprise doit avoir son syndicat, surtout (selon les derniers amendements) dès que 3 employés le demandent. Tout défaut de l’employeur l’expose théoriquement à des “sanctions”.Armé de ce levier, l’ACFTU, Fédé Nationale des syndicats (section “distribution”) invite Wal Mart à souffrir la création d’une section en son 1er supermarché à Pékin, ouvert en juillet – le n°1 mondial en compte 23 à travers le pays. Face à la pression, les patrons étrangers sont mitigés. Dans Pékin, seuls 40% de leurs firmes (soit 2000) ont obtempéré -la plupart ont constaté une pratique syndicale bénigne, limitée à l’usine et non à la  direction, et ne s’ingérant pas dans les choix de la firme. Les autres redoutent l’entrée d’une 2de structure politique dans l’entreprise, se superposant à la cellule du Parti. Mais l’ACFTU, monolithe public, de 131M de membres en perte de vitesse, doit se refaire une santé dans le privé pour survivre et semble compter sur Wal Mart pour créer un précédent! 

— Du vent dans les voiles de l’économie mondiale, une fois la “bulle” US assainie. Les semi-conducteurs redémarrent, notamment en Chine: 18% de croissance et 27MM$ de ventes attendues en 2003 par l’analyste Gartner, sur un marché mondial de 173MM$. N°1 chinois, SMIC commande 1MM$ d’équipements pour sa 4. usine, à Pékin, pour produire des “gaufres” SRAM de silicone de 300mm. Elle ouvrira -si le marché le permet- début 2004. Derrière cette expansion du shanghaien : Toshiba, qui garantit l’achat de 10.000 et 15.000 gaufres/mois, et fournit la technologie. SMIC table aussi sur une entrée en bourse de HK et NY, pour 750M$, début 2004. Intel pour sa part investit 375M$ dans sa 2nde usine chinoise, à Chengdu (Sichuan), d’assemblage et test de microprocesseurs—la seconde est à Shanghai : 675 personnes d’ici 2005 pour la 1ère phase. Intel assure cet investissement, aussi, pour maintenir son avance en Chine sur l’américain AMD, son rival qui occupe 10% du marché.

NB: les semi-conducteurs ne sont pas rentables en Chine, de nombreuses lignes nouvelles sont gelées. Le  projet SMIC découlerait de l’exigence de Pékin de ne pas se laisser distancer.

— Après avoir inondé jusqu’à ’02 le marché des métaux à prix cassés, la Chine contribue à la reprise des cours, en limitant son flux d’exportation : cette “sagesse” est due à la demande intérieure, qui aspire toute la production. Pour le zinc, la hausse des besoins en jan-juil (24,5%) atteint 1,07Mt, que la production de 0,8 Mt ne parvient pas à satisfaire : l’export en est réduit de 46%.

Au contraire, la Chine renforce ses imports de métaux : le n°1 mondial BHP Billiton en tire une hausse de 15% de ses ventes, à 17,5MM$ au 1er sem. Un autre australien, WMC quadruple (26/9) son  contrat de décembre 2002 : 120.000t de nickel non-raffiné seront  livrés en 6 ans,  au n°1 chinois Jinchuan (qui assure 88% de la production locale, avec 60.000t /an). Ce deal de +- 650M$ entrera en vigueur en 2005, à l’issue d’un contrat exclusif avec le géant nippon Sumimoto -que Jinchuan supplante, au passage!

 

 


A la loupe : Banques : trop de crédit nuit…

Paradoxe des banques publiques : quoique techniquement ruinées, elles ploient sous l’épargne (+21%, et 1277MM$ au 1er sem.) et les capitaux étrangers. Ceci résultant de l’absence de concurrence. Elles prêtent donc à tout va : 228MM$ au 1er semestre, autant que durant toute l’an 2002. Ceci peut les aider à résorber plus vite les mauvais prêts (jusqu’à 40% du capital).  Mais cette facilité n’incite pas à la rigueur : les banques commencent, selon Ma Kai, patron de la SDRC, à soutenir des projets à basse technologie dans les secteurs à la mode -auto, alu, fer (+130%), ciment, immobilier… Ceci va faire flamber guerre des prix, dette nationale et inflation (+0,6% au 1er semestre)… Or, structurellement, la courbe de l’investissement national est beaucoup plus aigue que celle de la consommation! Face à cette dérive, l’Etat tente deux correctifs :

[1] le renforcement de la banque alternative. Cinq banques privées sont en train de recevoir leur licence : avec 24 à 60M$ de capital, entre Xi’an (Great Wall), Shenyang (Ruifeng), Canton (Nanhua, Minhua) et Jiangsu (Jiangying). Deux banques «semi publiques» retournent en bourse. Huaxia (6000 jobs, 199 agences, 24,5MM$ de capital dont les 2/3 prêtés), émet 1MM de parts «A», pour  600M$. China Merchants va collecter 1,2MM$ en obligation convertible, pour chinois et étrangers.

[2] après avoir tronqué les prêts aux promoteurs (cf VdlC n°23), la BPdC fait de même pour les banques : elles devront (21/9) hausser à 7%  leurs réserves en RMB (+1%). 18 à 24MM$ seront gelés, donnant une douche froide à l’économie.

NB : Seules 5 banques chinoises petites ou moyennes sont en bourse, dont Huaxia et China Merchants. Pour ces dernières, émettre des titres en bourse permet de concilier l’obligation de réserve, et leur croissance par une politique agressive de prêts. Tandis qu’à l’Etat, l’opération montrera si le temps est mûr, pour lancer les quatre Soeurs (banques publiques) dans l’aventure boursière !

 


Argent : Clone chinois pour Microsoft Office ?

— En 2002, presque tous les 200M$ payés par l’Etat en logiciels légaux, tombèrent dans l’escarcelle de Microsoft. Faisant ses comptes, Pékin estime sa note à 940M$ d’ici 2006. Avec tel marché, le pouvoir tente le pari d’imposer à l’administration un clone du géant de Seattle: la suite WPS Office de Kingsoft, concepteur local qui a vendu 50.000 copies à l’Etat en 2002 et vient d’équiper 15 ministères. Prix public : 157$/pièce, mais l’Etat paie beaucoup moins. Dès septembre, 2000 lycées et écoles à Shanghai vont acheter 100 copies/site en moyenne. Mais il y a loin de la coupe informatique aux lèvres patriotiques: les tentatives pour remplacer le gestionnaire Windows par Red Flag, version locale du produit gratuit Linux, n’ont pas porté fruit et les analystes prédisent que pour les logiciels centraux (pour serveurs et bases de données), la Chine ne pourra pas -encore- faire l’impasse sur l’étranger. D’ailleurs, Microsoft restera présent partout : la suite WPS fonctionne  avec Windows -payé ou non. Mais même ainsi, la Chine se prépare une base technique, et une clientèle immense et jeune, afin de pianoter “chinois” à l’avenir, voire exporter à travers le monde une concurrence aux produits signés Bill Gates!

China Life vient (28/6) de boucler sa restructuration (cf VdlC n°19), regroupant dans une société nouvelle ses actifs les plus sémillants (les contrats conclus depuis 1999), afin de séduire la bourse de HK et NY. Le groupe détient 36MM$ de capital, 48% du marché national et frise les 2/3 du marché “vie”. Avec le démantèlement du système de santé et de retraite socialiste, l’assurance chinoise croît de 33%/an depuis ‘2000, et 45% dans le secteur “vie” cette  année (prévision HSBC). Les résultats de China Life en 2002 sont assez brillants (15MM$ de primes, 98M$ de profits, +8%) pour lui permettre de réviser son objectif boursier de 2MM$ à 3MM$. Avec cette apparition en bourse (probable) début sept, CL va battre de vitesse (c’était inattendu) la vénérable PICC, n°1 du “non-vie”, qui  prépare une souscription pour 720M$ en octobre, et Ping An, qui veut à engranger 2,6MM$ d’ici début ’04.

NB : Face à ces géants nationaux émergents et protégés, la concurrence étrangère récolte les miettes : le britannique Prudential devient (27/8) le premier étranger licencié pour vendre à Pékin, en JV avec CITIC, ses produits “vie” .

 


Pol : Cure pour le tampon administratif

— Un des jardins secrets de la corruption en Chine est le tampon, que vend impunément le fonctionnaire à l’entrepreneur. Cette mine d’or du rond de cuir va t’elle disparaître au 1/07/2004, avec l’entrée en vigueur de la loi des licences?

Lourde de 83 articles, 8 chapitres, plus un décret du Président Hu, elle va tailler dans le gras des 3000 types de permis et franchises pratiqués au Céleste Empire, légiférant impérialement sur tout type d’activité humaine en ville et à la campagne. Dans le même souci, plus classiquement, la 纪律检查 jilüqiancha, Commission Centrale de vérification de la discipline vient de lancer 45 agents au Hunan et au Guizhou, afin d’en éplucher les bilans des leaders : d’ici 2007, ils auront dû vérifier les 31 provinces et régions du pays. Enfin, l’Administration Nationale d’Audit, pour le 1er semestre, annonce son palmarès : 44.000 entités publiques inspectées, 466 fraudes détectées pour 128M$. Encore, de l’avis du Directeur Li Jinhua, ce n’est que le sommet de l’iceberg : faute de moyens et de savoir-faire, ses hommes ne grattent qu’à la surface des chiffres !

Rappel : selon Hu Angang, économiste de renom, la corruption atteindrait 13% du PIB soit 130 MM$/an, dont seuls 10% des cas sont détectés, et 1% punis!

 


Temps fort : Politique : un été en coulisse

Cet été le plus chaud en 50 ans a vu l’adoption d’une grande réforme: la suppression du 县, xian district (niveau de pouvoir entre 市 shi (« préfecture ») et 乡 xiang (village).

But : enrichir les campagnes, en éliminant des M de cadres inutiles. Ces 37.896 circonscriptions avaient déjà reçu l’ordre de trancher 30 à 40% de leurs emplois : avec leurs dépendants, 19M de gens sont concernés. Seuls les districts riches (1/4 d’entre eux entre Centre et Ouest, 80% à la côte) reçoivent un sursis. Mais Pékin agit prudemment, pour éviter toute déstabilisation : seuls 12 xian seront démantelés cette année, le tour des autres viendra en 2004!

En août, le conclave estival de Beidaihe, meeting balnéaire traditionnel des barons du régime fut annulé. Hu Jintao sape le rituel «pour se rapprocher des masses » : motif réel, et reconnu de l’opinion, mais qui n’explique pas tout.

Il se trouve qu’à Pékin, sous la tutelle de Wu Bangguo (Président de l’ANP) se prépare la réforme de la Constitution, sujet du Plenum du CC en oct. Dans ce débat, les conservateurs dominent, et ont imposé le principe d’une révision cosmétique de ce texte, qualifié de «bon outil»: essentiellement, on y renforcerait (un peu) le secteur privé, sans oublier d’enchâsser la théorie des 三个代表 sangedaibao, « Trois représentativités » de Jiang Zemin.

Hu et Wen Jiabao le 1er Ministre, eux, préparent

[1] la privatisation à 49% de la presse du Parti,

[2] la décentralisation, pieux vocable pour une séparation du Parti et de l’Etat .

Pour les  réformistes, supprimer Beidaihe traduit la conscience de leur fragilité dans les instances, et la volonté de ne pas voir leurs projets torpillés par un tir de barrage de la vieille garde !

NB : au CC en octobre, un sujet au moins fera le consensus : le plan de rééquilibrage du Nord-Est industriel,  placé au même niveau d’effort financier que celui consenti à l’Ouest

 


Petit Peuple : Faux-nippon à Changsha

— Heureusement en voie de disparition, des préjugés mutuellement malveillants séparent encore chinois et nippons. Aussi pour l’auditoire du “RV des coeurs”, l’émission-phare de Radio-Hunan (économique), cette nuit du 25 février 2003, le sang ne fit qu’un tour en entendant durant 7 minutes 30 un intervenant japonais agonir les Chinois de noms d’oiseaux ou autres animaux. Certaines des insultes étaient d’autant plus graves, qu’elles dataient de l’invasion de 1937… Après 90 secondes, la censure tambourinait à la porte du studio, d’autres responsables téléphonaient en catastrophe au producteur Zheng Yi, demandant s’il avait perdu la tête… Rien n’y fit! Plus de 200 appels furent ensuite reçus par la police, la priant de punir les coupables. Dès le lendemain, le “Japonais” fut débusqué : surprise, c’ était un chinois. Zheng Yi et Luo Gang l’animateur avaient -semble t’il- monté l’affaire de toute pièce, pour progresser encore à l’audimat, dont  dépend le partage de la manne publicitaire… L’émotion monta au plus haut niveau, d’ où redescendirent les sanctions. Président et vice-Président de Radio Hunan furent blâmés. Directeur et vice-Directeur furent rétrogradés. Producteur et animateurs furent licenciés. Quand au faux-nippon, il purge deux ans en camp.  Comme quoi le “tout se vend”, même en Chine, a ses limites, et 老虎皮裤莫不得 laohu piku mobude : “personne ne peut impunément fesser le tigre”!

 


Rendez-vous : Foire internationale de Xiamen

8-11 sept, Xiamen : Foire internationale (CIFIT)

4-5 sept. Phuket (Thaïlande): réunion des ministres de Finances de l’APEC