Le Vent de la Chine Numéro 19

du 9 au 15 mai 1999

Editorial : L’OTAN sème la tempête

En détruisant dans la nuit de vendredi 7, par trois bombes à fragmentation, l’ambassade de Chine à Belgrade, l’OTAN croyait-elle vraiment avoir à faire à un centre de logistique et d’approvisionnement ? En tout cas, par ce qu’il faut bien qualifier d’acte de guerre contre la Chine (d’autant plus tendancieuse, que la Chine a pris parti, au 1er jour, pour Belgrade, qu’elle représentait diplomatiquement auprès des Etats-Unis), le Pacte Atlantique a déclenché une  bouffée de colère chinoise, du gouvernement comme du peuple.

Il n’a fallu que quelques heures à toutes les universités de Pékin (et de Shanghai, et de huit villes du pays) pour préparer, avec banderoles et porte-voix, des manifestations, très encadrées mais n’en exprimant pas moins une rage sincère dirigée contre l’étranger, surtout contre les Etats-Unis. Mais le soir, calicots enroulés et bus « scolaires » repartis, la rue a pris le relais, avec ses leaders d’occasion et ses débordements fous : « tous à l’ambassade d’Angleterre »…

Ainsi des milliers de citadins poussés par la colère (mais aussi, il faut bien le dire, le beau temps et l’otium du week-end), ont joué à cache-cache avec autant de policiers tentant de faire cordon. Briques et moellons ont volé, brisant carreaux et lampadaires.  A Chengdu (Sichuan), la résidence du consul général américain a été prise d’assaut et détruite. Ce dimanche, dès le matin,  ces manifestations reprenaient de plus belles.

Telle qu’exprimée par le Quotidien du Peuple, la colère du pouvoir n’est pas moins vive : «actes barbares… criminels… hégémoniques … L’OTAN a vis a vis du peuple chinois une dette de sang… La Chine se réserve le droit de réponses futures… ». Autant dire que sous l’angle de toutes coopés entre Chine et Ouest,  et face à un pays socialiste poussé depuis 10 ans dans un patriotisme pointilleux, l’OTAN a commis une faute incroyable, qu’il lui faudra très vite gérer – avec doigté, cette fois !


A la loupe : Le dur combat du Ministre des Industries de l’Information pour son monopole

Wu Jichuan, patron du Ministre des Industries de l’Information (MII), n’a pas démissionné. Mais même démentie,  la rumeur exprime le désarroi des télécoms chinois, face aux attaques sur leur monopole, de l’étranger comme de l’intérieur, de l’OMC comme des techniques nouvelles.

[1] Le ministre était irrité des concessions aux Etats-Unis pour l’entrée à l’OMC (jusqu’ à 45% de parts dans des compagnies de téléphonie). Il a peut-être remporté ici une victoire (à la Pyrrhus?).

[2] En téléphonie internationale par Internet, le MII tente de circonscrire le marché : seules trois compagnies d’Etat, à l’essai pour six mois. Jitong, l’une d’elles, offre le serveur GBN, et le hardware du groupe Clarent. Le MII voudrait (pour sauver ses tarifs hauts en téléphonie conventionnelle) offrir des prix « pas si bas », pour une qualité « pas garantie ». Mais alors, comment empêcher l’utilisateur de téléphoner « au noir », avec son PC et les serveurs américains ?

[3] A Zibo (Shandong), les télécoms locaux ont offert aux porteurs de téléphones GSM, de ne facturer que les appels « sortants » (comme en téléphone fixe) : « interdit ! », tonne le MII, sans pouvoir produire la justification réglementaire de son ukase…

[4] Tandis qu’à Nanhai et Foshan, ont été fermés, après 6 mois, ces bureaux clandestins de télécoms internationaux, fonctionnant sur 45 lignes exclusives, enfreignant leur mandat de service interne à la compagnie locataire. Fraude anecdotique, mais qui, comme la contrebande en Chine, révèle la dysfonction d’un tarif trop élevé pour le milieu ambiant.


Joint-venture : Les privilèges fiscaux sur la sellette

• Avertissement sans frais de l’Administration nationale des taxes : toute firme étrangère disposant d’avantages fiscaux, les perdra, si elle ne peut prouver que 25% de son capital réel, est venu de l’étranger. A travers la Chine, cette mesure frappera des milliers de compagnies, qui cesseront de payer 15% d’impôts allégés sur le revenu, au lieu des 33% de rigueur. Celles n’ayant pas réalisé l’apport de capitaux promis, mais dépassant la barre des 25%, conservent leur privilège à titre provisoire (sic).

Ainsi, le fisc espère enrayer cette pratique, en expansion ces dernières années, de Joint ventures frauduleuses avec partenaire « de paille », hongkongais, macanais ou taiwanais, obtenant allégements d’impôt, crédits export (pour financer la contrebande) ou terrains (objet de spéculation).

• La Banque Mondiale vient de consentir à la Chine deux prêts sur 20 ans, dans le domaine de la santé. 10MUSD vont à la lutte contre le SIDA (dont la progression s’accélère à la limite du contrôlable, avec l’exode rural et la libération des moeurs), et 50M en prévention de la mortalité infantile. Depuis 1984, ce sont 836MUSD de la Banque Mondiale, qui ont été versés, en Chine, pour 10 projets touchant à la santé.

• Les actions en justice de consommateurs sont désormais banales en Chine. Celle qui suit l’est moins, s’agissant d’un acheteur étranger, vis à vis d’un magasin « occidental », le Lufthansa (en gestion chinoise, mitoyenne de l’hôtel Kempinski). M. Fang, hongkongais, avait pensé acquérir, sans regarder à la dépense (1,08 MY), ce qui se faisait de mieux en ginseng, roi de la pharmacopée chinoise : une racine de 260 ans d’âge, venue des monts Changbai (frontière Corée du Nord, Jilin), disait le pedigree.

Hélas, de retour au foyer, lui révéla l’expert : la racine était en bois. Très peu « classe », le Lufthansa refusa de la reprendre, à moins que Fang ne lui signe une décharge « de qualité », qui lui eût permis de la replacer ailleurs : vertueux, l’insulaire refusa, et traîna le peu scrupuleux magasin en justice !

 


A la loupe : Tian An Men : jour ‘J’ moins 30

La Chine franchit des anniversaires difficiles. 80 ans en arrière, le 4 mai 1919, à Pékin, 3000 étudiants manifestaient contre les colonisateurs, et pour « les sciences et la démocratie ». Tant bien que mal, le régime récupère ce pieux souvenir, en adjurant la jeunesse de rester « patriote », et surtout « non contestataire ».

Mardi 4 était aussi « jour J – 30 », des 10 ans du massacre de la place Tian An Men. Depuis longtemps, tout est en place pour prévenir toute  commémoration. Mais ce plan (incluant force, propagande, et le plus vaste programme d’embellissement de Pékin en ce siècle) vient d’être compromis par l’intrusion, dimanche 25 dans Pékin de 10000 adeptes du Falungong.

Comment ces gymnastes-grands-pères ont-ils pu déjouer la police politique la plus dotée de la terre ? Comment ce groupe inconnu jusqu’à hier, peut-il rassembler en deux ans « jusqu’à 100 millions de fidèles ?». En attendant les réponses à ces questions, ont été suspendues les permissions de toutes les polices, aux aguets d’autres incidents. De même, les leaders provinciaux sont avertis (surtout ceux de Tianjin, d’où émanait, majoritairement, la « sortie » du Falungong), qu’ils seront tenus responsables de toute manifestation à Pékin, venue de chez eux. Le Falungong devrait être bientôt dissous.

Au moins 20 dissidents ont été préventivement arrêtés, ainsi que 25 protestants d’une paroisse clandestine. 100 000 membres de la wujing (police armée), stationnée entre Lhassa et Urumqi, auraient été redéployés vers les grandes villes pour y renforcer le maintien de l’ordre. On annonce aussi un durcissement de l’interdit d’écoute des chaînes de télévision étrangères (Star, Phoenix, chaînes taiwanaises) : défense aux chinois d’utiliser paraboles et décodeurs pirates.

Tandis que les radios étrangères BBC, VoA, RFI ont presque « disparu » de l’éther. Tout ceci, « pour 6 à 8 mois » : le temps de laisser passer la vague !

 


Argent : Radioscopie des coopératives de crédit

• Quoique titulaire de 1200MMY de dépôts (13% de l’épargne privée), les 44000 coopératives de crédit rural (CCR) sont en quasi-faillite. Leur autorité de tutelle, la Banque de Développement Asaitique, a puisé dans leurs caisses, et jusqu’en 1996, elles n’ont pas su résister à la course aux taux élevés, en concurrence avec des « banques au noir», celles de la ville et la Poste.

Créées en 1949 par le gouvernement pour encourager l’autofinance ment des compagnies, ces CCR sont à l’aube d’un sérieux décrassage : loi envisagée pour les protéger, exemptions de taxe… Mais pas de « chapeau » national : pas de conscience de la nécessité d’une tête pour la banque des paysans (jusqu’à nouvel ordre, sous contrôle de la Banque Populaire de Chine) !

• Renaissance, à Pudong (Shanghai), dans le futuriste quartier d’affaires de Liujiazui, du marché à terme, concentrant sur un site, les ex-bourses des métaux, matières premières et oléagineux, fermées au début des années 1990 (avec toutes les autres) pour fraude endémique. Fusionnés, deux autres marchés à terme fonctionnent, à Zhengzhou (Henan) et à Dalian (Liaoning). Le Shanghai Futures Exchange a conclu sa journée inaugurale avec un volume de transactions de 1,3MMY

• Le 16 avril, jusqu’à tard le soir, des centaines d’épargnants se pressaient aux guichets de la Bank of Communication de Zhengzhou pour retirer leurs avoirs, provoquant, le lendemain, une baisse générale de la Bourse de Shanghai. La cause de cette panique fut connue une semaine plus tard, avec l’arrestation de deux agents des assurances locales de PingAn, en aveu pour avoir émis une série d’emails anonymes, affirmant qu’un des pontes de Bank of Communication aurait fui avec la caisse. Mais pourquoi une telle démarche de « corbeaux » sur Internet? Discrètement, la presse suggère que la calomnie aurait été distillée d’une autre banque locale, jalouse des trop bons résultats de sa rivale !


Pol : La fronde du Parlement

• China Daily n’a pas eu tort de qualifier d’historique le vote du bureau de l’Assemblée Nationale Populaire jeudi 29 : c’est la deuxième fois dans l’histoire, que le législateur rejette un projet de loi du Gouvernement. Il l’a fait à une voix près (pour cause de quorum non atteint) : manière délicate de dire « non » au pouvoir, sans lui faire perdre la face. Ce texte visait la substitution de toutes taxes « de circulation », perçues localement, par une taxe unique sur le carburant, au profit de l’Etat.

Où les députés ont-ils trouvé la force de faire cet usage exceptionnel de leur prérogative « démocratique parlementaire » (refus d’autant plus net, que le pouvoir avait déjà été contraint de reporter le vote, prévu initialement l’an dernier, puis pour le Plenum de mars 1999) ? Les députés craignent que cette taxe « simple » ne devienne « double »; d’autre part, les péages et taxes locales ne visent pas le riverain, ce qui ne serait pas le cas du nouveau système : l’intérêt des provinces est ici supérieur, et opposé à celui de l’Etat.

• Trois ressortissants de la République Populaire de Chine, entrés à Taiwan pour visite familiale ont été arrêtés, « appareils photos en main » sur le périmètre de la base militaire de Hualien (site de chasseurs bombardiers US F-16), où ils s’étaient introduits « sans permis ».

Pas moins de 12000 agents continentaux, aux estimations du Kuo Ming Tang, opéreraient en Chine nationaliste. Pékin aurait construit, à fins d’entraînement, une réplique exacte de Chingchuankang, première base aérienne de l’île.

• Les premières inondations de l’année viennent d’avoir lieu. Entre le 15 et le 25 avril, sous les pluies diluviennes et les crues de 6 affluents, le Yangtsé a brisé ses digues en deux points – sur 1,2km, à Pengze et 20km à Jiujiang (Jiangxi), et la crue de 6 rivières : 429 maisons détruites, au moins 3 morts. Pire est à l’horizon : 73km de digue, à Jiujiang, mal remis des intempéries de 1998 et (selon la boutade politique de Zhu Rongji), convertis en  tofou, menacent de s’effondrer. C’est la poursuite, attendue, de l’effet el niño suivi de la niña.

NB : réalistes, les paysans de Jiujiang, qui s’étaient relogés l’été dernier aux sommets des digues, y sont restés !

 


Temps fort : OMC : 1ères vagues d’une crise annoncée

Contre le contrat de mariage entre Chine et monde dans l’OMC, les premières attaques pointent, aube d’une vive campagne. Les provinces de l’intérieur lèvent le bouclier, craignant un reflux massif chez elles des industries côtières, refoulées par la concurrence atlantique. Pléthoriques et surannées, les industries automobiles, elles aussi, redoutent de perdre leur marché, ainsi que le paysannat, hanté par le spectre de montagnes de blé, agrumes, et viandes des Etats-Unis, moins chers et meilleurs.

Dans leur fronde, ces secteurs traditionnels trouvent comme alliés des «compagnons» de Zhu Rongji, tels Li Peng, et Li Lanqing. Longtemps muet, un vieil idéologue, Deng Liqun, redonne de la voix, dénonçant au plan interne ce préaccord « traître au pays ». Quant à Jiang Zemin, l’arbitre, lui même confronté aux épiphénomènes croissants de tension sociale, il a défendu son Premier Ministre, mais sans dénier que ses propositions auraient « lésé bon nombre d’intérêts nationaux». Un peu comme l’avait fait Deng Xiaoping en 1988 puis 1989, avec ses dauphins réformistes d’alors, Hu Yaobang et Zhao Ziyang – qui y perdirent leur poste.

Ainsi, une opposition frontale se forme à l’entrée à l’ OMC, nourrie par l’atermoiement de B. Clinton, en avril, lors de la visite de Zhu. Conséquence : Zhu a déjà commencé à revenir sur ses offres aux Etats-Unis, et en tout cas gelé toute négociation réelle, avec Washington comme avec Bruxelles. Ce dont le Commissaire Sir L.Brittan s’est vite aperçu, à Pékin la semaine dernière, déclarant en conclusion de 10 jours de tapis vert : « tous comptes faits, on est loin du compte ». Ce tournant stupéfiant, alors que trois semaines avant, tout était « réglé à 1999% », incite à risquer trois conclusions :

[1] l’accès chinois à l’OMC est compromis pour cette année;

[2] le pouvoir est divisé en profondeur (la crise induite par l’OTAN, n’arrangera rien !);

[3] Zhu Rongji est seul.

 


Petit Peuple : La momie de ‘Lawrence du Gobi’

• Il intrigue les archéologues, ce play-boy momifié découvert en parfait état de conservation après 2000 ans de songe au Lop Nor (Xinjiang). A tout hasard baptisé « le bel homme du castrum », ce Lawrence du Gobi mort à 25 ans, se distingue par son habit raffiné et surtout sa taille, 1,80m : il n’en faut pas plus aux gens du métier pour reconnaître en lui un « occidental », négociant parvenu jusqu’en Chine par la Route de la Soie à l’époque des Han de l’Est.

• Le soir du 30 juillet 1998, les professeurs du lycée de Xinfu (Guangxi, région sudiste notoirement pauvre), voulant rentrer dans leur résidence, se heurtèrent à un mur : celui des maçons, las d’attendre les 400 000Y que leur devait la ville. A grands maux, grands remèdes : les assiégés furent sustentés par un va-et-vient de paniers et poulies.

Ce qui fait que le conflit s’éternise. Entre-temps, le mur de Xinfu a été érigé et détruit quatre fois. Pour les maçons, c’est une histoire en hutou shiwei (« tête de tigre, queue de serpent », c’est à dire eau de boudin) : ils attendent toujours leur paie.

• A Luocheng (Guangxi), la prison a adhéré de trop près aux principes de Deng, de « faire des expériences, viser l’autosuffisance financière » : pendant des années, l46 greffiers et 6 juges, de mèche, faisaient commerce de liberté, selon la bourse du « client ». Tarifs types : 3000Y l’année,  10 000Y le « sursis », 45000Y la « belle ».

Bilan : la prison entière, matons et taulards, s’apprêtent à accueillir une promotion d’un genre jamais vu avant.

 


Rendez-vous : Sommet euro-chinois à Pékin

• 10 – 13 mai,  Pékin : Foire Internationale Ciment/Béton

• 10 – 13 mai, Pékin : Foire Internationale Biotechnologie

• 14 – 16 mai, Pékin : Beat 1999 (Jazz/rock Heineken)

• 11 – 14 mai, Shanghai : Foire Internationale de l’Informatique

• 11 – 14 mai, Shanghai : CERAMEX 1999

• 13 mai, Pékin : Sommet Union Européenne – Chine, à la Présidence, le Chancelier allemand G. Schröder.