
Après des mois d’attente et de tensions, Pékin et Washington sont enfin parvenus à un terrain d’entente sur le sort de TikTok aux États-Unis. L’application de courtes vidéos, extrêmement populaire auprès des jeunes, devait théoriquement disparaître du marché américain dès janvier 2025 en vertu d’une loi adoptée par le Congrès début 2024. Mais Donald Trump, conscient qu’une partie de ses soutiens les plus jeunes sont des adeptes de TikTok, a repoussé l’échéance à quatre reprises.
Le 25 septembre, il a finalement signé un décret ouvrant la voie à la vente des actifs américains de TikTok, affirmant avoir obtenu un accord verbal de Xi Jinping lors d’un entretien téléphonique quelques jours plus tôt. Les grandes lignes du compromis sont désormais connues : les données des 170 millions d’utilisateurs américains seront stockées sur le sol national, et la nouvelle entité TikTok US sera juridiquement distincte de sa maison mère. Mais l’algorithme – cœur technologique et principal point de friction – restera sous le contrôle de Byte Dance, qui le fournira sous licence.
L’exécutif américain insiste sur le fait qu’un consortium d’investisseurs américains, qualifiés de « très sophistiqués » par Trump, détiendra 50 % de la nouvelle entité. Parmi eux figurent Larry Ellison (Oracle), Michael Dell (Dell Technologies) et le magnat des médias, Rupert Murdoch, rejoints par la société d’investissement Silver Lake Partners et le géant de la Silicon Valley Andreessen Horowitz. Autant de figures proches du président américain, ce qui alimente les soupçons d’un accord à coloration politique. Trump lui-même a reconnu qu’il aurait aimé rendre TikTok « 100 % MAGA » – une provocation qui ne rassure guère ses détracteurs…
Depuis la conclusion du deal, Pékin comme Washington s’appliquent chacun à présenter l’accord sous le jour le plus favorable.
Pour la Maison Blanche, l’accord incarne une démonstration de fermeté : la création d’une entité TikTok US à majorité américaine est présentée comme une victoire pour la sécurité nationale.
Pékin, de son côté, met en avant le maintien de l’algorithme sous contrôle chinois comme une concession américaine majeure. Dans ce récit, Washington n’a pas obtenu la rupture nette initialement recherchée, et la Chine a défendu avec succès sa souveraineté technologique tout en évitant l’exclusion d’un de ses champions mondiaux du marché américain. En réalité, cet accord représente probablement le meilleur scénario que Pékin pouvait espérer et explique pourquoi la Chine a accepté le compromis sans sembler demander beaucoup en retour.
Cette symétrie des narratifs masque toutefois des zones grises. L’accord ne répond pas complètement aux inquiétudes américaines : TikTok US disposera certes d’une autonomie juridique et les données seront stockées sur le sol américain, mais ByteDance conservera la main sur les évolutions de l’algorithme. Les mises à jour décidées à Pékin pourraient continuer d’influer sur ce que voient les utilisateurs américains.
Le compromis traduit donc moins un consensus pragmatique qu’un équilibre fragile. Washington et Pékin s’efforcent de le vendre comme une victoire, mais chacun sait que la bataille est loin d’être gagnée : les États-Unis continuent de craindre une influence étrangère insidieuse, tandis que la Chine s’emploie à protéger l’accès global de ses entreprises technologiques.
Ce geste de conciliation s’inscrit néanmoins dans une dynamique plus large. Pékin a donné un signe supplémentaire de pragmatisme le 22 septembre, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, lorsque le Premier ministre Li Qiang a officiellement renoncé au « traitement préférentiel » de la Chine en tant que pays en développement. Un changement symbolique, mais révélateur d’une volonté de s’attirer les bonnes grâces de l’institution comme des États-Unis. À l’approche du sommet de l’APEC prévu fin octobre à Gyeongju (Corée du Sud), où Trump et Xi devraient se rencontrer, « l’accord TikTok » apparaît donc comme un ballon d’essai : un compromis limité, mais porteur d’une désescalade tactique dans une rivalité qui demeure, par essence, stratégique.
Sommaire N° 30-31 (2025)