
Contrairement aux clichés qui réduisent, parfois de manière caricaturale, la Chine à un bloc uniforme et monolithique, le pays de Mao et de Confucius apparaît davantage aux observateurs avisés comme une somme de paradoxes qui coexistent pour former un tout.
Au plan de la politique et de la gouvernance, la Chine se prétend communiste et pourtant le capitalisme y est bien vivace. Ce mélange des genres a permis l’émergence d’une bourgeoisie dominante à côté d’un prolétariat exploité. La Chine est certes gouvernée par un régime de parti unique et pourtant les élites politiques sont à l’écoute de la population. De même, Pékin défend traditionnellement l’idée d’un développement pacifique, mais, parallèlement, modernise son armée à un rythme effréné. Les dirigeants connaissent, eux aussi, leur lot de paradoxes, à l’image de Xi Jinping, dont le propre père a été purgé en 1962, qui se veut pourtant aujourd’hui le gardien du système.
La stabilité, voire la stagnation, du système politique contraste singulièrement avec l’incroyable développement économique qu’a connu le pays. Avant la réémergence de la Chine, on pensait que les économies avancées étaient riches et que les économies émergentes étaient pauvres. Depuis que la Chine est redevenue la seconde économie mondiale, avec près de 20 % du PIB de la planète, la proposition est pour le moins remise en cause. Ainsi, la Chine est un pays pauvre si l’on se réfère au PIB par habitant et pourtant des fortunes considérables se sont faites dans les dernières décennies. Elle est de très loin le premier marché automobile de la planète (plus de 24 millions de voitures par an) et pourtant le taux d’équipement est parmi les plus faibles au monde (les 100 voitures pour 1 000 habitants n’ont été atteints qu’en 2014). Alors que l’on peut penser que le besoin d’exporter d’un pays soit inversement proportionnel à la taille de son marché domestique, la Chine est une nation qui dispose d’un immense marché intérieur mais qui a bâti son développement sur les exportations.
Au plan du développement, la Chine communiste s’est d’abord vue comme appartenant au tiers-monde, puis comme un pays en développement (PVD) – un statut qu’elle continue à défendre sur la scène mondiale. C’est d’ailleurs le seul PVD à avoir un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU ; elle attire à ce titre vers elle les autres PVD. En outre, son statut de PVD lui permet, au plan financier, d’accéder à des prêts moins coûteux, d’imposer des barrières douanières à des produits venant de pays riches, d’être soumis à moins de contraintes dans la lutte contre le réchauffement climatique et de se prévaloir comme leader du groupe des pays en voie de développement. La Chine est pourtant a minima dans le groupe des pays à revenu intermédiaire. Elle est sans ambiguïté redevenue une grande puissance industrielle (la première au monde) et a développé un programme majeur d’investissement à l’étranger, avec les nouvelles routes de la soie (BRI).
Au plan de l’éducation et de la science, les injonctions du gouvernement aux enseignants de s’éloigner des valeurs occidentales contredisent les incitations faites aux étudiants à aller étudier à l’étranger. L’administration chinoise du cyberespace (CAC) limite le temps d’accès aux écrans à ses enfants et en même temps ByteDance s’esbaudit du succès de son application TikTok à l’étranger, l’une des applications les plus addictives au monde.
Au plan technologique, la Chine est à la fois un pays low-tech dans ses campagnes avec ses autobus décatis, ses motoculteurs chargés de paysans, et un pays high-tech avec ses parcs scientifiques et techniques dans les grandes villes. Au sein même des villes, l’archaïsme côtoie la modernité. Les outils modernes de paiement (Alipay, WeChat pay, …) s’entrechoquent avec la survivance de la paperasserie et des sceaux officiels finement gravés.
Au registre sociologique, on peut dire que la Chine, c’est le collectivisme au sein d’un groupe donné (familial ou autre communauté d’intérêt), mais en dehors de cette entité, l’individualisme forcené est de rigueur. Ainsi, la Chine peut donner une image chaotique (à commencer par la circulation automobile à un carrefour) et pourtant elle brille par l’ordre de ses structures policières et militaires ou encore par le parfait alignement des équipes de vendeurs lors de leur briefing matinal à l’entrée des magasins.
Enfin, en matière climatique, la Chine cumule les paradoxes. La Chine est la plus importante consommatrice de ressources fossiles et corrélativement le plus gros émetteur de CO2 au monde, mais c’est aussi le plus grand marché mondial des énergies propres et aussi le premier constructeur de centrales nucléaires. La Chine déploie des capacités en énergies renouvelables de loin les plus importantes au monde, mais elle continue à construire des centrales à charbon. La Chine dispose de règles claires et très sévères en matière de pollution environnementale qui n’ont rien à envier à la réglementation de nombreux pays développés, et pourtant, beaucoup de ses villes figurent parmi les plus polluées au monde… Et en 2024, alors que la Chine – premier émetteur mondial de gaz à effet de serre –, est écrasée par la chaleur, elle ouvre à Shanghai sur près de 100 000 m2 la plus grande piste de ski intérieure au monde (cf photo) ; 30° dehors, -10° dedans… Un exemple parmi tant d’autres du grand paradoxe chinois.
1 Commentaire
severy
19 mai 2025 à 16:10Voilà ce qui s’appelle faire le point. Bravo!