Géopolitique : Les Etats-Unis à l’offensive dans la guerre commerciale contre la Chine au Panama

Les Etats-Unis à l’offensive dans la guerre commerciale contre la Chine au Panama

« Une trahison de tous les Chinois ». C’est par ces mots que le journal hongkongais pro-Pékin Ta Kung Pao, a qualifié la cession par le groupe de Hong Kong, CK Hutchison Holdings, de 90 % de ses activités dans deux ports situés aux extrémités est et ouest du canal de Panama (Cristóbal et Balboa) et de 80 % de celles dans 43 ports dans 23 pays, dont six sur le stratégique canal de Suez, à un consortium dirigé par BlackRock, le géant financier américain. Suite à ce commentaire particulièrement virulent, le cours de l’action Hutchison a chuté de 6,4 % à la bourse de Hong Kong le 14 mars.

Comme le rappelle l’article, le canal de Panama est un goulot d’étranglement maritime international, par lequel transitent 6 % du commerce mondial. La Chine représente 21 % du flux de marchandises, ce qui fait du canal une voie commerciale cruciale entre la Chine, l’Amérique latine et les Caraïbes.

La critique de cette cession et le commentaire d’un média officiel relayé par les bureaux des affaires de Hong-Kong et Macao dirigés par Pékin, offrent un aperçu de la perspective du gouvernement chinois sur ce sujet.

La conscience d’une guerre commerciale est nette et l’on voit que Pékin compte chacun des événements qui surviennent dans le monde comme un point en sa faveur ou défaveur dans la lutte qui l’oppose aux Etats-Unis, lutte au nom de laquelle chacune de ses entreprises qu’elle soit chinoise, hongkongaise ou macanaise, doit agir comme un soldat obéissant et prêt au sacrifice.

Le narratif du Parti communiste consiste à toujours omettre que la Chine cherche à accroître sa sphère mondiale d’influence et à avancer l’idée que la Chine doit simplement « se défendre » contre l’hégémonie américaine.

Selon la Chine, c’est Washington qui pousserait Pékin, à son corps défendant, à répondre, malgré sa répugnance à tout acte agressif et belliqueux du fait de sa nature foncièrement pacifique, à travers une stratégie globale lui permettant de briser son « encerclement ».

Il s’agit bien d’un épisode de géopolitique économique, mettant aux prises des Etats par l’entremise d’entreprises privées, plus ou moins liées à leur pays d’origine.

D’un côté, il y a BlackRock, la plus grande société d’investissement au monde avec 11 500 milliards de $ d’actifs sous gestion en 2024, qui entretient des liens étroits avec Washington, ses dirigeants ayant également été des fonctionnaires du gouvernement américain.

De l’autre, CK Hutchison Holdings Limited, un conglomérat multinational enregistré aux îles Caïmans et basé à Hong Kong. Parmi les plus importantes sociétés (Fortune 500) cotées à la Bourse de Hong Kong, elle est implantée dans 56 pays et emploie plus de 220 000 personnes à travers le monde. Le groupe est dirigé par le milliardaire Li Ka-shing : plusieurs fois réprimandé pour son manque de patriotisme et pour avoir retiré ses investissements de Chine, il possède aussi la nationalité canadienne, ce qui le rend libre de quitter Hong Kong et de ne pas se sentir, en temps normal, trop contraint par Pékin.

Le Panama est depuis le début du deuxième mandat Trump, début 2025, au cœur des discours américains et des tensions avec la Chine. Malgré les déclarations de Trump affirmant que le canal est contrôlé par Pékin, les États-Unis restent le principal utilisateur du canal. Jusqu’à 14 000 navires empruntent chaque année ce passage de 82 km qui relie les océans Atlantique et Pacifique à travers l’Amérique centrale, évitant ainsi un voyage long et coûteux autour de l’Amérique du Sud. Il existe cinq ports à conteneurs autour du canal de Panama. Tous sont exploités par des sociétés étrangères. Trois des principaux ports à conteneurs du canal – Colon, Rodman et Manzanillo – sont exploités par des sociétés basées à Singapour, à Taïwan et aux États-Unis. Mais l’attention s’est principalement portée sur les deux plus grands, Cristóbal et Balboa, situés aux deux extrémités du canal et exploités depuis 1997 par une filiale de CK Hutchison Holdings, basée à Hong Kong. Ce sont eux qui ont été rachetés à 90% par BlackRock.

C’est qu’en effet, d’une part, après que le Panama ait adhéré à l’initiative « Belt & Road » (BRI) en 2017, les entreprises chinoises ont été beaucoup plus actives autour du canal ; d’autre part, la loi chinoise sur la sécurité nationale introduite en 2020 pourrait permettre à la Chine d’exercer une influence sur les entreprises basées à Hong Kong en cas de conflit. Bien entendu, cette éventualité n’est pas évoquée par le Ta Kung Pao qui fait de la Chine la victime d’une Amérique utilisant le commerce à des fins politiques – ce que Pékin, on le sait, ne fait jamais…

Si la cession d’une part majoritaire de ces ports du Panama permet aux Etats-Unis d’échapper à un blocage en temps de guerre, les épines chinoises dans le pied américain restent nombreuses dans la botte panaméenne.

Parmi les projets chinois autour du canal, un important projet de pont suscite l’inquiétude à Washington. Trois ponts traversent actuellement le canal à différents endroits, mais une  entreprise chinoise en construit actuellement un quatrième. Selon le sénateur républicain Ted Cruz, « ce pont partiellement achevé donne à la Chine la possibilité de bloquer le canal sans préavis ». Toutefois, les Etats-Unis exagèrent un peu à dessein cette menace car, de fait, essoufflement de la croissance oblige, les projets BRI sont en net ralentissement : environ 50 % des projets lancés après l’adhésion du Panama à la BRI ont été abandonnés ou suspendus. En 2022, un projet majeur visant à développer un nouveau port sur l’île Margarita, du côté caraïbe du canal, a été annulé. Certes, la Chine a investi 1,4 milliard de $ au Panama en 2023, soit une multiplication par 4 depuis l’adhésion à la BRI en 2017. Cependant, c’est toujours 4 fois moins d’investissement que les Etats-Unis avec 4,5 milliards de $ sur la même période. Si l’on regarde les volumes du fret transitant par chaque pays via le canal de Panama, on voit que les États-Unis arrivent de loin en tête avec 163 millions de tonnes, vient ensuite la Chine avec 46 millions de tonnes.

Autrement dit, contrairement à ce que dit Trump, la Chine était loin d’avoir évincé les Etats-Unis au Panama et de pouvoir contrôler le canal. Mais ce qui est aussi vrai, c’est que la cession de 90% des ports Cristóbal et Balboa à BlackRock, si elle n’est pas catastrophique, est un signal d’alarme pour Pékin de la perte de vitesse des projets BRI et de la brutalité d’une guerre commerciale avec les Etats-Unis qui ne fait que commencer.

Par Jean-Yves Heurtebise

1 Commentaire
  1. severy

    Si jamais l’initiative BRI échoue, il restera à la Chine l’initiative de se pendre dans sa cellule avec sa fameuse ceinture.

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