
On ne parle que d’eux en ce moment : les « six petits dragons » de Hangzhou (杭州六小龙), ces six start-ups évoluant dans des secteurs de pointe tels que l’intelligence artificielle (IA), la robotique, les jeux vidéo et les interfaces cerveau-machine, et qui font la fierté de la capitale provinciale du Zhejiang, la plaçant sur le devant de la scène technologique nationale, voire internationale.
Mais qui sont ces « six petits dragons » ? Le premier à avoir fait parler de lui est Game Science (fondé en 2014), le studio à l’origine du jeu vidéo « Black Myth: Wukong », premier succès majeur chinois à l’international dans la catégorie dite des « AAA » (grosses productions pour PC et consoles). Le second est bien sûr, DeepSeek (juillet 2023), qui, seulement deux ans après sa création, a réussi à lancer un modèle de langage de grande taille (LLM) aux performances rivalisant avec celles du leader en la matière, l’américain OpenAI. La troisième est Unitree Robotics (2016), propulsée sous les feux de la rampe depuis la performance de ses robots humanoïdes lors du Gala du Nouvel An Chinois. La quatrième, DEEP Robotics (2017), est également spécialisée dans le développement de robots quadrupèdes et humanoïdes, tandis que la cinquième BrainCo (2013) est la deuxième entreprise mondiale d’interfaces cerveau-machine à obtenir un financement de plus de 200 millions de $, après Neuralink d’Elon Musk. Enfin, Manycore Tech (2011) est une entreprise spécialisée dans l’intelligence spatiale et possède les plus grandes capacités de données 3D interactives au monde, avec plus de 320 millions de modèles 3D. C’est aussi le premier des « six petits dragons » à déposer le 14 février une demande d’introduction en bourse à Hong Kong.
Le point commun entre ces six start-ups ? Toutes ont vu le jour à Hangzhou. De quoi déclencher un débat à l’échelle nationale, du Guangdong à l’Anhui en passant par le Jiangsu, sur les facteurs derrière ce succès et la manière de dupliquer le « modèle de Hangzhou ».
Autrefois qualifiée par Marco Polo de « paradis sur Terre », Hangzhou a été la capitale du pays sous la dynastie Song du Sud (1127-1279). Longtemps source d’inspiration pour les poètes, les artistes et les érudits, elle est plébiscitée pour son paisible lac de l’Ouest, son thé Long Jing et sa soie. Aujourd’hui, la métropole de 12 millions d’âmes située à 180 km au sud-ouest de Shanghai, est mieux connue pour être la ville natale d’Alibaba, le géant du e-commerce fondé par Jack Ma. Capitalisant sur cette notoriété, Hangzhou agit depuis lors comme un aimant sur les entrepreneurs mais aussi sur les influenceurs qui vendent des produits en live-streaming. Ils seraient plus de 50 000 à exercer en ville. Mais pas question pour Hangzhou de se cantonner à l’économie digitale, qui représente déjà plus d’ un tiers de son PIB. Dans un plan de développement rendu public récemment, la ville annonce donner la priorité à l’IA, « l’économie de basse altitude », la robotique humanoïde et la biologie synthétique.
Ce volontarisme a des retombées très concrètes pour les secteurs concernés. Selon l’un des directeurs de Deep Robotics, Zheng Dongxin, Hangzhou a su cultiver une « atmosphère d’innovation » en développant des zones industrielles dédiées et en offrant des subventions à l’innovation et des allègements fiscaux. Les développeurs du jeu vidéo « Black Myth: Wukong » peuvent également en attester. Ils racontent que les autorités locales, soucieuses de leur faciliter la tâche, les ont aidés à déposer des dossiers pour obtenir différentes aides et des licences d’édition pour leurs jeux. Même son de cloche de la part des fondateurs de BrainCo : alors encore étudiants à Harvard et jeunes entrepreneurs dans leur garage de Boston, ils ont été approchés par une délégation de la métropole chinoise leur promettant des aides au loyer ainsi que d’autres incitations financières s’ils emménageaient à Hangzhou – ce qu’ils ont fait.
Cependant, la ville ne compte pas uniquement sur ces « haigui » (« tortues de mer », surnom donné aux Chinois ayant étudié et travaillé à l’étranger) pour renforcer son statut de pôle technologique. Son autre atout est son université du Zhejiang, connue pour former de nombreux talents dans le secteur de la tech. En septembre 2024, une centaine de ses anciens diplômés occupaient des postes de direction au sein des start-ups chinoises dans l’intelligence artificielle – un chiffre qui la place juste derrière Tsinghua, Beida à Pékin et Jiao Tong à Shanghai. D’ailleurs, trois des « six petits dragons » ont été fondés par des anciens élèves de la Zhejiang University. Ainsi, en favorisant les interactions entre les universités, les start-ups et les investisseurs, Hangzhou a réussi à créer un véritable « écosystème entrepreneurial intégré » qui porte ses fruits aujourd’hui.
Pour le leadership, le statut de Hangzhou en tant que source de « nouvelles forces productives de qualité », concept prôné par le président Xi Jinping, est un développement bienvenu. D’autant que le Zhejiang ne lui est pas exactement étranger, puisqu’il en a eu la direction entre 2002 et 2007. Surtout, l’émergence de ces « six petits dragons » a de quoi rassurer celui qui se questionnait ouvertement l’an dernier sur les raisons de la baisse du nombre de « licornes » (ces start-ups valorisées à plus d’un milliard de $) en Chine (« 我们的独角兽企业新增数下降的主因是什么? »). Il pourra désormais compter sur Hangzhou pour rectifier le tir.
Sommaire N° 7 (2025)