Editorial : Avec Sanae Takaichi, le Japon se replace au centre du jeu entre la Chine et Taïwan

Avec Sanae Takaichi, le Japon se replace au centre du jeu entre la Chine et Taïwan

Le 31 octobre, en marge du sommet de l’APEC en Corée du Sud — où la rencontre entre Xi Jinping et Donald Trump avait accaparé l’attentionla nouvelle Première ministre japonaise, Sanae Takaichi, avait elle aussi rencontré le président chinois. Les deux dirigeants s’étaient quittés en promettant de maintenir des relations « stables et constructives ». Mais l’atmosphère s’est rapidement tendue : il a suffi d’un seul commentaire de Takaichi devant le Parlement japonais pour que la situation dérape.

Interrogée le 7 novembre sur les scénarios pouvant constituer une menace à la « survie nationale » du Japon, la Première ministre a cité le cas d’un blocus naval chinois de Taïwan ou d’opérations visant à empêcher l’arrivée des forces américaines — avant d’ajouter : « Si cela implique l’utilisation de navires de guerre et des actions militaires, la situation pourrait tout à fait devenir une menace pour la survie du Japon : le Japon pourrait alors recourir à la force pour se défendre. »

Géographiquement, c’est une évidence stratégique : le Japon est plus proche de Taïwan que ne l’est la Chine. L’archipel des Ryukyu — d’Okinawa à Yonaguni, situé à seulement 100 km de Taïwan — forme une chaîne à la fois continue et morcelée que Pékin devrait inévitablement franchir pour encercler ou attaquer Taïwan par l’est. Sauf à accepter que des navires de guerre chinois violent sa souveraineté maritime sans réagir, il est impossible d’éviter ce que résumait déjà Shinzo Abe en 2006 : « une crise (“contingency”) taïwanaise serait aussi une crise japonaise ». Il ne s’agit donc ni de provocation ni d’extrémisme, mais d’un simple rappel des réalités géostratégiques.

Pourtant, une partie des médias occidentaux a adopté une lecture largement influencée par le récit chinois, décrivant les propos de Takaichi comme « agressifs » et la réaction chinoise comme une simple réponse. Cette grille de lecture occulte l’essentiel : c’est l’hypothèse d’une action militaire chinoise qui place structurellement le Japon dans une position intenable.

Plutôt que de rassurer Tokyo — en affirmant par exemple qu’aucune attaque contre Taïwan n’est envisagée, ce qui serait la seule position compatible avec le droit international — Pékin a répondu par une surenchère de menaces. Le Global Times a qualifié Takaichi de « pire Première ministre pour avoir détruit la diplomatie pacifique ». Son ancien rédacteur en chef, Hu Xijin, l’a traitée de « sorcière maléfique ».

Le consul général chinois à Osaka, Xue Jian, a franchi un nouveau seuil en la menaçant directement sur X : « Si tu mets ton sale cou là où il ne doit pas être, il sera tranché. » Le ministère chinois des Affaires étrangères a ensuite exigé que Tokyo « retire ses remarques injustifiées », avertissant que les « conséquences » seraient « à la charge du Japon », tout en déconseillant à ses ressortissants de voyager dans l’archipel.

Cette escalade verbale intervient alors que Takaichi a relancé un débat encore plus sensible : la possible révision des « trois principes de non-nucléarisation », établis en 1967 (non-possession, non-production, non-introduction d’armes nucléaires au Japon). Dans son ouvrage Kokuryoku Kenkyu (Étude de la puissance nationale, 2024), elle juge irréaliste d’interdire toute présence d’armes nucléaires américaines si Tokyo dépend de la dissuasion étendue des États-Unis.

Là encore, il s’agit d’une logique stratégique, non d’une provocation : si la sécurité du Japon repose sur le parapluie nucléaire américain, il doit être en mesure d’en accepter les moyens. « En cas de crise majeure, les trois principes pourraient devenir un obstacle à la survie du pays », résume Takaichi.

Alors que la Chine possède plus de 600 ogives nucléaires et la Corée du Nord environ 50, la nucléarisation directe ou indirecte du Japon — tout comme celle, discutée, de la Corée du Sud — pourrait devenir un scénario crédible si les États-Unis poursuivent leur recentrage isolationniste. On n’en est pas là. Mais difficile d’imaginer que la Chine contribue à stabiliser la région lorsque certains de ses diplomates appellent à « couper le cou » de dirigeants asiatiques qui ne partagent pas ses vues. Une diplomatie combattante qui, manifestement, est loin d’être enterrée.

Par Jean-Yves Heurtebise

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