Taiwan : L’incohérente politique taïwanaise de la Chine

L’incohérente politique taïwanaise de la Chine

La politique chinoise à l’égard de Taïwan paraît à bien des égards à la fois répétitive et incohérente sans être pourtant illogique ni dépourvue d’effets (voulus ou involontaires).

En l’espace de quelques mois, la Chine a augmenté sa pression militaire comme jamais auparavant. Afin de montrer son désaccord face à l’élection à la présidence de la République de Chine du candidat DPP, William Lai, un ardent défenseur de l’autonomie stratégique de Taïwan et du maintien du statu quo (seule manière de préserver le développement pacifique de la Chine, de Taïwan et de toute la région), Pékin a procédé à des exercices militaires d’envergure : en mai et en octobre, les différentes composantes de l’Armée Populaire de Libération (APL) et des garde-côtes chinois se sont exercés à procéder au blocage partiel et temporaire de l’île et à l’encercler militairement. En mai, 19 navires de la PLAN, 16 navires des garde-côtes et 49 avions étaient impliqués ; en octobre, 153 avions et 25 bateaux de la marine et des garde-côtes chinois se sont approchés de Taïwan.

Par ces exercices militaires, la Chine entend à la fois faire la démonstration de sa puissance potentielle de feu et pousser Taïwan à l’abdication et la soumission en tenant les Etats-Unis éloignés du centre des combats. Mais du point de vue de Washington et de Taipei, la conclusion est tout autre : il faut savoir se tenir prêt pour continuer à dissuader la Chine d’attaquer. Ainsi, la semaine dernière, les Etats-Unis ont approuvé un projet de vente d’armes à Taïwan de 2 milliards de $, qui comprend la livraison pour la première fois à l’île d’un système de défense antiaérienne avancé, testé au combat en Ukraine.

Il faut se rappeler que les Etats-Unis et Taïwan sont liés par la loi en termes de défense : pour faire pendant aux rétablissements des relations diplomatiques avec Pékin par les États-Unis en 1979, Washington s’est engagé auprès de Taipei à travers le Taïwan Relation Act (TRA). Le TRA est une loi du Congrès américain qui définit les relations officielles substantielles, mais non diplomatiques entre les États-Unis d’Amérique et Taïwan (République de Chine). Le TRA établit dans la loi le principe d’ambiguïté stratégique : il ne garantit ni ne renonce à l’intervention militaire des États-Unis en cas d’attaque de Taïwan par la RPC. Le principe est celui du maintien du statu quo : les Etats-Unis s’opposent à la modification unilatérale des rapports inter-détroits, à la fois contre l’indépendance formelle de Taïwan et contre l’attaque militaire par la Chine. Plus précisément, la loi stipule que « les États-Unis mettront à la disposition de Taïwan les moyens et services de défense  pour lui permettre de maintenir une capacité d’autodéfense suffisante » et « maintiendront la capacité des États-Unis à résister à tout recours à la force ou à d’autres formes de coercition qui mettraient en danger la sécurité ou le système social ou économique de la population de Taïwan ». C’est donc en vertu du TRA de 1979 que Washington peut continuer à fournir des armements à Taïwan, ce que la Chine conteste à chaque fois en les dénonçant comme des provocations justifiant sa propre escalade militaire.

En ce qui concerne cette nouvelle vente, le Pentagone a déclaré qu’elle portait sur des systèmes de missiles et de radars pour un montant de 1,16 milliard de $. La vente du système de missiles concerne trois solutions de défense aérienne à moyenne portée du National Advanced Surface-to-Air Missile System (NASAMS) qui incluent les missiles sol-air avancés AMRAAM Extended Range. Le NASAMS est une nouvelle arme défensive pour Taïwan : l’Australie et l’Indonésie sont les seules autres nations de la région à en être équipés. Selon le Ministre de la défense taïwanais, cela devrait aider les capacités de défense aérienne de Taïwan face aux manœuvres militaires fréquentes de la Chine. Ce à quoi le Ministre de la défense chinois a répondu : « Il ne peut y avoir d’avenir pour l’indépendance de Taïwan. L’avenir de Taïwan réside dans la réunification complète de la mère patrie ». Ce qui se pose en contradiction avec le TRA mettant « hors-la-loi » toute réunification non pacifique.

Le problème est en fait simple : les manœuvres militaires chinoises poussent Taïwan à s’armer pour se défendre ; équipement militaire purement défensif que la Chine interprète comme une agression en puissance contre la mère-patrie à laquelle elle se sent obligée de répondre par la force… Pourtant, il suffirait très simplement que la Chine renonce explicitement à tout usage de la force dans le détroit, qu’elle renonce à violer la souveraineté « régionale » des peuples contre leur gré pour que Taïwan n’éprouve plus le besoin de s’armer et les Etats-Unis la nécessité d’y répondre en fonction de leur propre système juridique.

Au même moment où la Chine menace Taïwan presque quotidiennement, le Global Times fait part d’une nouvelle politique de rapprochement économique entre les deux rives via le Fujian : la province du Fujian a dévoilé le 29 octobre son troisième ensemble de mesures destinées à bénéficier aux résidents de Taïwan, visant à approfondir l’intégration entre le Fujian et Taïwan. Ces 17 mesures sont réparties dans quatre domaines : la coopération financière entre les deux rives, le développement des résidents taïwanais au Fujian, l’extension des services judiciaires et l’amélioration de la commodité de vie et de déplacement des résidents taïwanais dans la province. Un représentant de la succursale du Fujian de la Banque populaire de Chine interrogé par le journal chinois explique ainsi : « Nous avons encouragé plus de 300 institutions financières à offrir des limites de crédit plus élevées, des taux plus bas et des réductions de frais aux résidents et aux entreprises de Taïwan détenant des certificats de crédit ».

La Chine pratique donc la politique archi-prévisible (ce n’est pas étonnant de la part de Pékin) de la carotte et du bâton : le bâton pour les « indépendantistes » et la carotte pour les « prochinois » motivés par l’appât du gain.

Si cette politique peut sembler logique du point de vue de Pékin, elle est en réalité tout à fait inconsistante pour une raison simple : il est naïf de croire que la population taïwanaise puisse être séparée en deux catégories aussi distinctes et étanches. Plus encore, la différence entre les sommes requises pour les sorties de plusieurs centaines d’avions et navires militaires simultanément pendant un ou deux jours et celles dévolues à l’attraction des entrepreneurs taïwanais, est trop importante pour penser que la Chine ambitionne vraiment d’avoir une « politique bâton/carotte » équilibrée.

Par Jean-Yves Heurtebise

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