Taiwan : La démonstration de force chinoise en réponse à l’appel à la coexistence pacifique

La démonstration de force chinoise en réponse à l’appel à la coexistence pacifique

Le 10 octobre, pour le 113ème anniversaire de la République de Chine, le président taïwanais, William Lai, avait appelé à la coexistence pacifique entre les deux rives du détroit, basée sur la reconnaissance tacite d’une différence institutionnelle réelle entre Taïwan et la Chine populaire, formulant « l’espoir que la Chine se joindrait au reste du monde pour apporter des contributions mondiales » à la paix et au développement, ce qui passe par « le maintien de la sécurité régionale pour le bien-être des populations des deux côtés du détroit de Taïwan ».

Une guerre de la Chine contre Taïwan entraînerait des milliers de morts Taïwanais, Chinois, Américains, Japonais, et les effets secondaires pour l’économie seraient dévastateurs. En effet, pendant la pandémie de Covid-19, les perturbations des chaînes d’approvisionnement sont venues bousculer l’économie mondiale tandis que l’invasion par la Russie de l’Ukraine a créé une onde de choc inflationniste qui a abaissé le niveau de vie des Européens. Une guerre engendrée par la Chine pour mettre Taïwan au pas produirait un choc d’une magnitude infiniment supérieure.

La société financière mondiale GTS estimait que la chute à court terme des marchés boursiers pourrait atteindre 34 % après une invasion. Bloomberg calculait en janvier qu’un engagement militaire à propos de Taïwan coûterait environ 10 000 milliards de $ et réduirait le PIB mondial de 10 %. Cette baisse serait presque deux fois plus élevée que celle observée au lendemain de la crise financière mondiale et de la pandémie de Covid. Le PIB de la Chine (qui constitue 16,9% du PIB mondial) subirait un coup dur de 16,7%, contre 40% pour une économie taïwanaise dévastée. Dans le cas non pas d’une guerre mais d’un « simple blocus » maritime et aérien, Bloomberg estimait que l’économie taïwanaise subirait un impact de 12,2%, celle de la Chine continentale de 8,9% et celle des États-Unis de 3,3%.

Pourtant, c’est bien à la perspective d’une confrontation que se prépare la Chine, ce que montre l’accroissement continu de sa pression militaire depuis 2020. Le récent exercice « Épée conjointe-2024B » du 14 octobre en est le dernier exemple. Précédé de manœuvres militaires nommées « Épée conjointe-2024A » réalisées peu après le discours d’investiture du nouveau président taïwanais, William Lai, du Parti Démocrate Progressiste (DPP) du 20 mai, l’exercice « Épée conjointe-2024B » avait sans doute été prévu dès ce moment-là, comme le deuxième volet de pressions sur la présidence de la République de Chine, à mener le jour de la fête nationale du 10 octobre. Le fait que l’administration Biden avait déclaré ne voir « aucune justification à ce qu’une célébration annuelle de routine soit utilisée de cette manière » n’a pas fait dévier d’une ligne le plan pré-écrit, visible dans la condamnation hyperbolique du discours de Lai.

En mai comme en octobre 2024, la marine, l’armée de l’air, la force des missiles (récemment secouée par un important scandale de corruption) et l’armée de terre de l’APL (Armée Populaire de Libération) ont toutes été impliquées, ainsi que les garde-côtes chinois. L’exercice de mai 2024 impliquait un total de 19 navires de la PLAN, 16 navires des garde-côtes et 49 avions (dont 35 ont survolé la ligne médiane du détroit de Taïwan). L’exercice d’octobre 2024 a impliqué 153 avions, un nombre sans précédent de 25 bateaux de la marine et des garde-côtes chinois qui se sont approchés de la zone contiguë de 24 miles (39 km) de Taïwan. Si les exercices de mai 2024 avaient duré deux jours et avaient été annoncés, ceux d’octobre ont duré un seul jour, mais n’ont pas été annoncés.

Les messages que la Chine a fait circuler dans ses médias et ses prises de paroles officielles concernant « Épée conjointe-2024A&B » indiquent le rôle prééminent de la propagande dans l’opération, présentée comme un acte d’amour par les médias officiels (cf capture d’écran) lequel, se faisant contre le consentement de la majorité des Taïwanais, ressemble plutôt à une apologie du viol. Cela s’inscrit dans un contexte plus large de pression psychologique du PCC contre Taïwan en général et le DPP en particulier.

Cependant, si les exercices avaient pour seul but de faire se retourner la population contre le DPP ou de la faire se questionner sur son identité taïwanaise, ces manœuvres auraient déjà dû apparaître comme purement contre-productives : cela fait trois fois de suite que les Taïwanais élisent un président DPP et leur affiliation exclusive à Taïwan n’a cessé de progresser pour atteindre les deux tiers de la population.

Faut-il croire la Chine quand elle affirme que ces exercices sont des messages « pacifiques » destinés à faire trembler les « séparatistes » ou à convertir les foules ? D’une part, la plupart des Taïwanais n’y prêtent même plus attention (ce qui n’est d’ailleurs pas forcément une bonne chose) ; d’autre part, ils renforcent le sentiment général à Taïwan qui désigne la Chine comme principale menace existentielle.

Début octobre, l’Institut de recherche sur la défense nationale et la sécurité (INDSR), un groupe de réflexion du ministère de la Défense taïwanaise, avait effectué un sondage sur la perception des menaces pesant sur l’archipel : les « conditions météorologiques extrêmes » arrivent en tête de liste, avec 66,7 %, puis viennent les « ambitions territoriales » de la Chine (63,9 %) et le risque d’un « développement économique stagnant » (63,3 %).

À la question de savoir s’ils se battraient pour Taïwan si la Chine attaquait militairement Taïwan, 41,6 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles étaient « tout à fait disposées » à le faire, 26,2 % étaient « quelque peu motivées », 11,9 % ont déclaré qu’elles étaient « moins motivées » et 11,7 % ont déclaré qu’elles étaient « très réticentes ». Les personnes interrogées étaient divisées sur la capacité de l’armée taïwanaise à protéger le pays, 47,9 % d’entre elles déclarant qu’elles n’étaient « pas confiantes » ou « pas très confiantes » à ce sujet (en majorité des électeurs du KMT), et 47,5 % déclarant qu’elles étaient « confiantes » ou « très confiantes » (en majorité des électeurs du DPP).

Il serait pourtant erroné de voir ces exercices comme relevant simplement de la propagande et du message politique. Chaque nouvel exercice renforce la capacité opérationnelle des différences facettes de l’APL. Ces manœuvres ont pour véritable but de pouvoir convertir un jour de façon la plus efficace et rapide ce qui demeure un exercice démonstratif en opération militaire proprement dite.

Pour autant, on peut aussi se demander si, de ce point de vue même, ils ne sont pas aussi contre-productifs : si les exercices renforcent la capacité à se tenir prête et apte au combat de l’APL, ils donnent aussi à chaque fois de précieux renseignements sur la manière dont la Chine compte s’y prendre. Des informations qui devraient permettre à Taipei de toujours mieux calibrer sa réponse défensive et se procurer auprès des Etats-Unis les armements nécessaires à sa survie.

En outre, il ne faudrait pas caresser l’illusion qu’un blocus serait à la fois moins dangereux et plus efficace. Il se pourrait qu’un blocus économique échoue en se retournant contre l’économie chinoise elle-même : si la Chine bloquait les exportations d’une île représentant 90 % de la capacité de semi-conducteurs les plus avancés au monde, les États-Unis pourraient probablement s’attirer un large soutien pour prendre des mesures de rétorsion, en étranglant la Chine à divers points des passages maritimes clefs.

La Chine est aussi économiquement vulnérable parce qu’elle dépend fortement des marchés étrangers pour absorber la capacité excédentaire de ses usines. Elle est aussi le plus grand pays importateur de produits alimentaires et 73 % de son pétrole et 42 % de son gaz proviennent de sources étrangères.

En somme, que ce soit par un conflit militaire direct ou un blocus économique de Taïwan, avec pour objectif pour la Chine de détruire la dernière démocratie sinophone, retrouver le territoire impérial légué par les Qing et contrôler le Pacifique, le résultat serait catastrophique

Par Jean-Yves Heurtebise

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1 Commentaire
  1. severy

    C’est aux dirigeants de la Çhine de réaliser que l’invasion de Taïwan est totalement contre-productive. Seule la reconnaissance mutuelle des deux pays mène à une victoire commune avantageuse à 100% pour chacun des partenaires.

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