Economie : Entre censure et propagande, l’impossible récit de l’économie chinoise

Entre censure et propagande, l’impossible récit de l’économie chinoise

Il ne pouvait pas en être autrement. D’ailleurs, il n’en fut jamais autrement sauf durant la période de la pandémie de Covid-19 : la Chine est parvenue à atteindre, grâce à l’excellente supervision de ses dirigeants, ses objectifs de croissance. Certains commentateurs ayant des intérêts économiques dans le pays, ainsi que d’anciens maoïstes et autres thuriféraires du « non-alignement » et de la résistance à « l’Oncle Sam », ne manqueront pas de s’en extasier et d’y voir une manifestation de la résilience de la Chine.

Ces intellectuels ne voudront surtout pas mettre en doute ce rebond fort bienvenu de l’économie chinoise au dernier trimestre de 2024 qui lui permet, – miracle toujours renouvelé – d’atteindre donc les objectifs prévus de 5% de croissance du PIB en 2024.

Voici donc les données officielles publiées par le Bureau national des statistiques le 17 janvier : le PIB de la Chine a atteint 134 910 milliards de RMB (18 800 milliards de $) en 2024, ce qui représente une croissance de 5,0 % en glissement annuel à prix constants. Les données trimestrielles ont montré que la croissance du PIB a atteint 5,4 % au 4ème trimestre, dépassant même les attentes du marché après une croissance de 5,3 % au 1er trimestre, de 4,7 % au 2ème trimestre et de 4,6 % au 3ème trimestre.

Le total des importations et des exportations de biens de la Chine a atteint 4 380 milliards de RMB (610,16 milliards de $), soit une augmentation de 5,0 %. Les exportations se sont élevées à 2 550 milliards de RMB (355,23 milliards de $, en hausse de 7,1 %), tandis que les importations ont totalisé 1 840 milliards de RMB (256,32 milliards de $, en hausse de 2,3 %), maintenant la Chine comme deuxième importateur mondial pour la 16e année consécutive.

Officiellement donc, il n’y a que des motifs de réjouissance. Traduction : les intellectuels post-coloniaux peuvent continuer à critiquer l’Occident pour ses ratés économiques (tout en faisant du capitalisme la source de tous les maux) et les économistes financiers peuvent continuer à exhorter le « grand capital » et les petits porteurs à miser sur le pays et à y investir massivement.

Ces chiffres sont cependant sujets à caution. Certains signes contradictoires semblent pouvoir nuancer, sinon contredire ce narratif.

Le premier signe est d’abord qu’il semble devenir impossible en Chine de mettre en doute le narratif officiel. En septembre 2024, Zhu Hengpeng, un économiste chinois de premier plan, qui travaillait pour un influent groupe de réflexion gouvernemental, a disparu après avoir fait « des remarques désobligeantes sur l’économie chinoise » dans un groupe WeChat.

Plus récemment, début janvier 2025, le président chinois Xi Jinping aurait fait taire l’éminent économiste Gao Shanwen après qu’il ait osé émettre des doutes sur la fiabilité des données officielles du PIB et sur la capacité de Pékin à soutenir la croissance économique. Ce crime de lèse-majesté se serait produit lors d’un événement à Washington le mois dernier où Gao avait déclaré : « nous ne connaissons pas le véritable chiffre de la croissance réelle de la Chine ». Des propos qui pourraient bien refroidir les plus fervents « sinolâtres ». D’autant que Gao ajoutait : « ma propre spéculation est qu’au cours des 2-3 dernières années, le chiffre réel pourrait être en moyenne d’environ 2 %, même si le chiffre officiel est proche de 5 % ». Le problème est qu’il est fort difficile, sinon impossible, de vérifier, infirmer ou confirmer, les chiffres officiels de l’économie chinoise de façon indépendante. D’ailleurs, le FMI et la Banque mondiale, eux-mêmes, ne font que transmettre les chiffres officiels.

On dira : pourquoi croire un économiste chinois qui parle de son pays à l’étranger et vise sûrement à se mettre en valeur ? C’est que, si le doute est permis, il l’est des deux côtés. Gao, économiste en chef de la société d’État SDIC Securities, a fait part de ses propres estimations sur l’avenir de la croissance chinoise : « je pense qu’il serait plus raisonnable de s’attendre à un taux de croissance entre 3 et 4 % dans les 3 à 5 prochaines années, mais nous savons que le chiffre officiel sera toujours d’environ 5 %… ». Faut-il croire dans l’adage qu’il n’y a que la vérité qui blesse ? En tout cas, ces déclarations auraient provoqué la colère du leadership, qui aurait ordonné une enquête sur Gao : l’économiste a été autorisé à conserver son poste mais s’est vu interdire de s’exprimer en public.

Le second questionnement concernant les chiffres du PIB chinois vient d’autres signaux plus faibles mais insistants. Ainsi, mi-décembre, le rendement des obligations souveraines chinoises à 10 ans a continué de chuter. Le rendement des obligations d’État à 30 ans est également tombé sous la barre des 2 %. En outre, diverses sources rapportent que les entreprises ont du mal à garder leurs finances, que les gens ont de graves difficultés à trouver du travail et que les municipalités croulent sous les dettes, peinant même à payer leurs employés. A cela s’ajoute qu’au cours des trois derniers mois de 2024, la consommation des ménages n’a contribué qu’à hauteur de 29 % à l’activité économique chinoise, contre 59 % avant la pandémie. Enfin, selon China Dissent Monitor, il y a eu plus de 900 manifestations en Chine entre juin et septembre 2024, menées par des travailleurs et des propriétaires fonciers, soit 27 % de plus qu’à la même période un an plus tôt : ce qui ne saurait être un signe de bon augure, car on ne se révolte pas si tout va bien.

De tout cela, il ressort une vérité à la fois simple et brutale : donner les chiffres de la croissance chinoise sans les mettre en perspective ou les nuancer, revient ni plus ni moins à faire de la propagande pour le compte d’une puissance étrangère.

Par Jean-Yves Heurtebise

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