Editorial : « Zero tariffs for Africa »

« Zero tariffs for Africa »

Le contraste ne pouvait pas être plus saisissant. D’un côté, il y a les Etats-Unis de Donald Trump qui menacent de taxer lourdement les produits africains (jusqu’à 50%) et d’imposer des restrictions de voyage aux ressortissants de 25 pays d’Afrique. De l’autre, il y a la Chine de Xi Jinping, qui vient d’annoncer lors d’un forum à Changsha (Hunan), l’exemption totale de droits de douane sur les produits de 53 pays africains (sur 54) – exception faite de l’Eswatini (ex-Swaziland), qui continue d’entretenir des relations diplomatiques avec Taïwan.

Cette annonce, qui aurait pû être interprétée comme un pied de nez à la politique américaine, est plutôt le fruit d’une stratégie de long cours de la part de la Chine, qui n’a de cesse de se présenter à ses partenaires africains comme un allié solide. Un statut que Pékin devrait avoir toute latitude de conforter pendant que Donald Trump orchestre le retrait américain.

Annoncée lors du dernier forum Chine-Afrique (FOCAC) en septembre 2024, cette exemption tarifaire concernait initialement les 33 pays africains considérés comme les « moins développés », selon les critères des Nations Unies.

Désormais, la mesure s’étend aussi aux économies à revenu intermédiaire, tels que l’Algérie, l’Afrique du Sud ou l’île Maurice. Les pays moins avancés ne sont pas oubliés : la Chine leur promet, entre autres, un soutien logistique et un accompagnement technique et commercial.

Objectif numéro un ? Stimuler les exportations africaines vers la Chine et ainsi réduire le déficit commercial qu’elle entretient avec le continent noir (62 milliards de $ en 2024) – le déséquilibre de la balance commerciale étant l’un des rares sujets de discorde dans la relation sino-africaine.

En effet, les pays africains exportent principalement vers la Chine des matières premières, des minerais et du pétrole, qui ont une faible valeur ajoutée. En retour, la Chine exporte vers l’Afrique des biens manufacturés. Cette asymétrie sur le type de bien échangé sera difficilement corrigeable sans davantage de transformation dans les pays africains. Et malgré les déclarations de bonne intention répétées par Pékin depuis une décennie, la Chine n’a pas véritablement accompagné la transformation industrielle des économies africaines : moins de 5 % des investissements directs chinois (IDE) en Afrique entre 2018 et 2022 ont concerné le secteur manufacturier. Pourtant, plusieurs exemples, en Ethiopie ou au Sénégal dans le secteur vestimentaire, démontrent que la Chine dispose de tous les atouts nécessaires pour le faire. Mais en a-t-elle la volonté ?

Ainsi, à ce stade, seules les économies africaines déjà industrialisées, comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya, l’Égypte ou le Maroc, pourraient tirer quelques bénéfices de cet accès préférentiel au marché chinois. Il est toutefois difficile d’imaginer comment une voiture sud-africaine pourrait s’imposer face à ses concurrents locaux et convaincre des consommateurs chinois notoirement déprimés par le ralentissement économique. C’est ce qui poussent les experts à dire que l’impact macroéconomique de cette exemption tarifaire risque d’être marginal.

Quoi qu’il en soit, cette mesure fera partie intégrante d’un nouveau pacte économique « Chine-Afrique », dont on ne connaît pas encore le contenu exact, mais qui devrait s’accompagner d’autres mesures pour faciliter les échanges commerciaux et humains*.

A titre de comparaison, les Etats-Unis sous Bill Clinton avaient signé en 2000 l’AGOA**, un accord qui conditionnait la levée des tarifs douaniers au respect des principes démocratiques et de bonne gouvernance. Mais, selon toute vraisemblance, cela ne devrait pas être le cas du pacte proposé par la Chine, qui séduit de longue date ses partenaires africains avec son principe de non-ingérence.

En revanche, « pour se mettre en conformité avec les règles de l’OMC, la Chine pourrait réclamer aux partenaires africains signataires, une baisse graduelle de leurs propres droits de douane », explique Christian-Geraud Neema, chercheur et analyste au Global South Project. C’est ce qui était prévu dans les accords de Cotonou (UE-ACP), signés en 2000 avec l’Union Européenne et qui incluaient l’exemption de tarifs douaniers sur de nombreux produits africains. Cependant, cette provision avait été très mal perçue par de nombreux gouvernements africains qui dépendent encore fortement de leurs droits de douanes pour financer leurs infrastructures et leurs services publics.

Vu sous cet angle, si Pékin ne trouve pas une façon de régler les déséquilibres commerciaux structurels et de mitiger les risques budgétaires, son initiative risque fort de tomber dans les mêmes écueils que ceux des pactes passés Nord-Sud.

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*Pour rappel, aucun des pays africains n’a fait l’objet d’une exemption de visa de 30 jours – « cadeau » dont ont déjà bénéficié bon nombre de pays européens et une poignée de pays asiatiques et d’Amérique Latine.

**Etant donné le peu de considération de Donald Trump pour le continent africain, l’AGOA, expirant en septembre, a peu de chance d’être reconduit.

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