Taiwan : Pékin se campe en Sun Wukong pour « punir » Taïwan

Pékin se campe en Sun Wukong pour « punir » Taïwan

« Tonnerre dans le détroit-2025A ». C’est le nom de code des exercices militaires « surprise » que l’armée chinoise (APL) a mené autour de Taïwan pendant deux jours début avril. Ces manœuvres, qui ont impliqué des forces navales, aériennes et terrestres, constituent, selon le porte-parole de l’APL, un « avertissement sévère contre l’indépendance de Taïwan ». Ces exercices à tir réel à longue portée, présentés comme des « représailles » contre un président « séparatiste » alors que la position taïwanaise sur les relations inter-détroits n’a pas changé depuis des années, marquent une nouvelle escalade.

D’après le ministère de la Défense taïwanais, entre 6 heures du matin le 1er avril et 6 heures du matin le 2 avril, 76 avions de l’APL, 15 navires de la marine chinoise (PLAN) et quatre navires officiels, dont le porte-avions Shandong, ont été détectés opérant autour de Taïwan avec 37 sorties traversant la ligne médiane du détroit de Taïwan et pénétrant dans la zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) du nord, du centre, du sud-ouest et de l’est de l’île. Il s’agit du nombre le plus élevé de navires de guerre détectés en une seule journée depuis près d’un an, et le plus grand nombre d’avions depuis octobre 2024.

Après avoir annoncé que les forces armées chinoises allaient « resserrer » l’étau autour de l’île depuis « plusieurs directions » en simulant « l’assaut de cibles maritimes et terrestres » et le « blocus de zones et voies maritimes clés », le commandement du théâtre oriental de l’APL a annoncé qu’il s’agissait « d’une action légitime et nécessaire » pour préserver « la souveraineté et l’unité nationale de la Chine ».

En réponse, le ministère de la Défense taïwanais a déclaré : « peu importe les efforts de l’APL pour masquer ces actions sous des étiquettes exagérées, elles ne peuvent justifier le caractère intrinsèquement provocateur de tels exercices ». De son côté, le bureau présidentiel de Taïwan souligne que non seulement « les provocations militaires flagrantes de la Chine menacent la paix dans le détroit de Taïwan, mais [qu’elles] compromettent également la sécurité de toute la région, comme en témoignent les exercices menés près de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Japon, de la Corée, des Philippines et de la mer de Chine méridionale ».

Ces exercices interviennent quelques jours après la première visite en Asie du secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth. Lors de son voyage, Hegseth s’est engagé à renforcer l’alliance militaire américaine avec les Philippines afin de « rétablir la dissuasion » face à « l’agression chinoise » dans la région indo-pacifique, et a qualifié le Japon de « partenaire indispensable pour dissuader toute agression militaire de la Chine communiste », notamment à travers le détroit de Taïwan.

La visite de Hegseth pourrait faire partie des raisons ayant motivé ces exercices chinois puisque celle-ci a confirmé que les États-Unis recentraient leur attention sur l’indo-pacifique en matière de sécurité. Ces exercices indiquent aussi que la Chine semble être prête à utiliser la « carte taïwanaise » dans ses négociations commerciales avec les États-Unis.

Contrairement aux deux exercices militaires « Joint Sword-2024 » « A » et « B » menés par la Chine en 2024, ces exercices d’avril 2025 constituent une surprise, d’où la nécessité pour Pékin de renforcer son narratif et de faire de ces exercices militaires un exercice de propagande.

Sur ce point, ces exercices marquent une escalade dans la « mèmisation » du discours public chinois, c’est-à-dire dans l’usage de « mèmes » à des fins de propagande. En effet, Pékin a assorti l’annonce de ces exercices d’une vidéo (cf capture d’écran) intitulée « Maîtriser les démons et vaincre les maux », mettant en scène le roi-singe Sun Wukong, héros principal du célèbre roman La Pérégrination vers l’Ouest. Cette épopée picaresque et fantastique du 16ème siècle fait partie des quatre « livres extraordinaires », incluant Les Trois Royaumes, Au bord de l’eau, et Jin Ping Mei. Il s’agit donc d’un classique connu de tout lecteur sinophone. Mais si le roman et son personnage principal sont dans tous les esprits aujourd’hui, c’est du fait du succès mondial du jeu vidéo Black Myth: Wukong, développé en 2024 par Game Science, un studio fondé en 2014 par d’anciens employés de Tencent. Ce jeu où le joueur incarne un singe armé d’un bâton, avatar de Sun Wukong, s’est vendu à 20 millions d’exemplaires au cours de son premier mois, ce qui en fait l’un des jeux les plus vendus de tous les temps.

L’usage du « mème » du roi-singe pour illustrer un exercice militaire sur Taïwan est révélateur de la volonté de l’armée chinoise de séduire un public jeune, sevré de « mèmes rouges », formant une base nationaliste déterminée.

En habillant sous des traits cartoonesques une invasion qui coûterait la vie à des centaines de milliers de personnes, l’APL fait non seulement de la culture chinoise, classique et contemporaine, la servante de l’armée, mais entend rendre la guerre « ludique » et « fun ».

Toutefois, pour qui connaît la culture chinoise, la comparaison ne manque pas de sel. En effet, dans La Pérégrination vers l’Ouest, Sun Wukong n’est pas seulement un combattant redoutable, c’est aussi un équivalent chinois de Satan, l’ange rebelle s’opposant à Dieu. Condamné à mort pour avoir volé les Rois Dragons, défiant les Rois de l’Enfer pour récupérer son âme, s’auto-proclamant « l’Égal du Ciel » et pillant le Paradis (avant d’être enfin défait par Laozi), Sun Wukong est, selon l’Empereur de Jade lui-même, « impétueux, grossier et impudent ». De ce point de vue, il est vrai que l’analogie entre la Chine de Xi et Sun Wukong fonctionne assez bien…

Par Jean-Yves Heurtebise

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