Adossé au mur de sa maison, construite de ses mains, Ba Nong contemple les feux du soleil couchant sur les pains de sucre verts et les rizières jaunes qui s’étalent devant chez lui. Toute la célébrité possible ne remplacera jamais l’odeur de sa terre natale après la pluie, ni le réconfort prodigué par le spectacle de cette nature vibrante qui s’abandonne à l’obscurité du soir. Dans une semaine, il récoltera le riz et la terre pourra se reposer tandis qu’il partira en tournée avec son groupe de musique baptisé Varihnaz, qui signifie “champs remplis de fleurs de riz parfumées” dans la langue de la minorité ethnique à laquelle Ba Nong appartient, les Zhuang du Guangxi.
Dans ses mains, il tient la guitare offerte par sa mère pour ses vingt ans et chaque soir, dans les derniers rougeoiements du soleil, la même image s’invite dans son esprit, celle de ses parents, le dos courbé et les pieds dans l’eau, repiquant le riz dans une gestuelle transmise de génération en génération. Ses racines à lui plongent dans cette eau boueuse, dans le pépiement des oiseaux et la respiration des montagnes alentour, dans la lente maturation des grains et l’effort de tous ces corps ployés vers la terre. Ses chansons parlent de cela, uniquement de cela, de ce poumon vert dans lequel il a fait sa vie, avec ses grandeurs et ses misères. « Les étoiles brillent dans la nuit, jettent sur la rizière un éclat brillant… Merci ma terre. Offre moi l’arôme des grains de riz mûrs… » Il égrène les accords et chante d’une voix douce. Les deux autres membres du groupe ne vont pas tarder à le rejoindre, ce soir ils répètent leurs derniers morceaux pour la tournée qui s’annonce. « Tu vois Baba, pense-t-il, toi qui n’y croyais pas, c’est possible, les gens aiment notre musique et je n’oublie pas mes racines. »
Depuis qu’il est petit, Ba Nong écrit des chansons et se rêve musicien. Il cède pourtant aux sirènes des grandes villes et tente sa chance à Guangzhou comme graphiste. Ses parents voient sa vie citadine comme une ascension sociale, lui pleure le paradis perdu. Au bout de quelques années, il revient, au grand dam de son père qui rêvait d’autres cieux pour son fils unique et s’inquiète de ses velléités musicales : « Un chanteur qui repique du riz, tu as déjà vu ça ? Atterris mon garçon, on est musicien ou agriculteur, pas les deux et dans ton cas, à tout prendre, je préfère la deuxième option ! » Qu’à cela ne tienne, Ba Nong monte un groupe, se produit sur des scènes locales, un passe-temps comme un autre. Dix ans passent. Ses chansons plaisent, elles ont pour titre « La chanson de la terre », « Nuages à la dérive dans le ciel », « La rivière sans nom », « Le grand rêve », elles parlent du grain qui lève, des pesticides, de la culture ancestrale du riz, de la nostalgie quand on vit loin de sa terre natale. Elles célèbrent un mode de vie plus lent, ancré sur les cycles de la nature. Le groupe finit par se faire repérer pour participer à l’émission de téléréalité « The Big Band ». Les trois amis ne changent rien, détournent une faux en instrument, mêlent les sons d’une guitare électrique à ceux d’une feuille sur laquelle Ba Nong souffle. Mélange de folk, de blues et de rock, leur style simple plaît, les paroles de leurs chansons touchent et le succès arrive.
Son père n’est plus là pour s’étonner, sa mère non plus mais c’est sa voix qui l’accompagne quand, parfois, les sirènes de la célébrité sonnent un peu trop fort. En lui offrant la guitare, sourde aux exclamations du père, elle lui avait chuchoté : « ne fais pas attention à lui, suis la voie de ton cœur mais surtout, surtout, reste simple, exprime ton idéal par une vie simple ( 淡泊明志, dàn bó míng zhì). »
Par Marie-Astrid Prache
NDLR: Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article raconte l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors du commun, inspirée de faits rééls.












Sommaire N° 11 (2025)