« Il y a quelque chose de pourri au royaume de… l’Armée Populaire de Libération (APL) ». Cela fait déjà 12 ans que Xi Jinping mène une grande purge de l’APL, prenant le prétexte de l’anti-corruption pour conserver le pouvoir fermement entre ses mains. Son leadership semblait alors incontesté, jusqu’à aujourd’hui…
Depuis une dizaine de jours, le général He Weidong (何卫东), le n°3 et vice-président de la Commission Militaire Centrale (CMC), n’a plus été vu en public… D’après la rumeur, le général He aurait été arrêté mi-mars, tandis que ses résidences de Pékin et Shanghai auraient été fouillées par les enquêteurs.
Membre du « gang du Fujian » de Xi Jinping et de la « clique du détroit de Taïwan », He Weidong a été vu pour la dernière fois en public lors de la cérémonie de clôture de l’ANP le 11 mars. Depuis, il a manqué le 14 mars un important symposium dédié au 20ème anniversaire de l’entrée en vigueur de la loi anti–sécession (texte qui donne aux autorités chinoises un prétexte légal pour recourir à la force en cas de déclaration d’indépendance de Taïwan).
Il était également absent le 20 mars, lors d’une visite d’inspection de Xi Jinping à une garnison de Kunming (Yunnan). D’ordinaire, le Président de la CMC (c’est-à-dire Xi) est accompagné lors de ses déplacements militaires par l’un de ses deux vice-présidents, à savoir Zhang Youxia et He Weidong. Or, aucun des deux n’était présent à Kunming. Zhang et He seraient-ils simultanément tombés malades, comme le n°3 du Parti, Zhao Leji, déclaré souffrant pendant quelques jours lors de la session du Parlement ? La probabilité est faible…
« Sauvé » de la retraite par Xi Jinping, He Weidong est nommé en 2017 commandant de la « zone de commandement Est », chargé notamment de la sécurité dans le détroit de Taïwan. Cinq ans plus tard, il connaît une ascension fulgurante lors du XXème Congrès, étant promu d’un seul coup au Comité Central (il n’était même pas membre suppléant) et au Politburo en tant que second vice-président de la CMC. Depuis lors, l’homme semblait au-dessus de tout soupçon : pas plus tard qu’en janvier, He réitérait son soutien à Xi et à sa campagne anti-corruption lors d’une réunion de la commission pour l’inspection de la discipline de la CMC.
He Weidong n’est pas le premier haut gradé promu par Xi à avoir des ennuis. D’autres membres du « gang du Fujian », base arrière de Xi Jinping où il a passé 17 ans de sa carrière, auraient également été arrêtés. C’est le cas de l’amiral Miao Hua, autre membre de la CMC, officiellement mis sous enquête en novembre dernier.
Deux hypothèses pourraient expliquer ces récentes mises aux arrêts de proches de Xi au sein de l’APL.
– La première serait celle d’un Xi Jinping en proie à des épisodes de paranoïa « stalinienne », le conduisant à limoger des hommes qu’il aurait lui-même sélectionnés par crainte d’être tenu responsable de ses propres erreurs de gouvernance.
– La seconde serait celle d’intenses luttes de pouvoir au sein de l’APL, menées par des mécontents du leadership de Xi, cherchant à faire tomber ses fidèles. Cette éventualité est nourrie par une série d’articles publiés depuis juillet 2024 par le PLA Daily, le principal organe de propagande de l’APL, rejetant les appels continus de Xi à « l’unité et à la centralisation du contrôle » et prônant au contraire une « prise de décision collective ». C’est encore plus intéressant lorsqu’on sait que le PLA Daily est contrôlé par des factions proches de… Zhang Youxia. Ces tribunes n’auraient bien sûr pas pu être publiées si Xi exerçait un contrôle total sur l’armée.
Autre indice qu’il se trame quelque chose au sommet de l’APL : Dong Jun, nouveau ministre de la Défense suite au limogeage mi-2023 de Li Shangfu, un protégé de Zhang Youxia, n’est toujours pas devenu membre de la CMC ni conseiller d’Etat 15 mois après sa nomination.
Tous ces éléments, assemblés un à un, laissent davantage penser à une contre-attaque des forces anti-Xi qu’à une purge souhaitée par Xi lui-même.
Un épisode qui rappelle celui de la disgrâce de Qin Gang, l’ancien ministre des Affaires étrangères, apparemment orchestrée par des opposants de Xi (et visant ses protégés) au sein de l’appareil diplomatique.
Cette perte de contrôle de Xi sur l’APL, si avérée, ne serait pas sans conséquences. Un Xi qui se sent assiégé pourrait décider de se venger et prendre des décisions dangereuses qui pourraient avoir des conséquences à l’échelle mondiale. A l’inverse, la chute de nombreux hauts gradés pourrait forcer le Parti à revoir ses ambitions à la baisse et à remettre à plus tard une éventuelle invasion de Taïwan, du moins dans un futur proche…
Au final, même si ces rumeurs ne se vérifient pas, ce climat d’instabilité au sommet de l’APL représente une opportunité en or pour quiconque voudrait semer davantage le trouble au sein de l’appareil.












Sommaire N° 10 (2025)