
Zhang Zilong aime l’ambiance de ce petit bar à bières au deuxième étage d’une tour qui donne sur Wuyi Square, le quartier central de Changsha. Les bières sont brassées sur place, des films sont projetés sur le grand écran du fond. Les habitués, des jeunes locaux comme lui, viennent se détendre autour d’assiettes à partager. Ce soir, c’est plein, comme tous les vendredis soir, mais ses amis et lui ont retrouvé leur table, privilège des habitués.
Depuis les révélations de son père il y a plus d’un an, cette bière du premier vendredi de chaque mois demeure, quand tout ce qui faisait sa vie a été chamboulé. Pendant quelques semaines après l’annonce, Zhang Zilong n’a parlé à personne, incapable d’habiter sa nouvelle identité, de saisir les contours de cette nouvelle situation. Sa famille s’est empressée de quitter le petit appartement familial pour une villa luxueuse, manière de confirmer ce que lui avait révélé le père, manière aussi de lui faire comprendre que tous savaient, sauf lui.
Ses amis les plus proches, ceux de l’université, ceux des sorties bière, allaient-ils croire ce qu’il avait à leur révéler ? Lui garderaient-ils leur amitié ?
« 多多益善 ( duōduō yìshàn, abondance de biens ne nuit pas)» avait dit son père en lui tapotant l’épaule après lui avoir révélé être à la tête d’une fortune de plusieurs dizaines de millions de yuan quand son fils le pensait endetté et luttant quotidiennement pour maintenir son entreprise à flot. Depuis l’obtention de son diplôme, plusieurs mois auparavant, Zhang Zilong ne ménageait pas sa peine pour décrocher des entretiens et se faire embaucher. Son idée fixe ? Aider sa famille à rembourser les dettes. Il parlait de ça avec ses amis, et aussi de la difficulté à trouver un emploi, de la pression folle qu’il sentait peser sur ses épaules, des jobs rêvés et la dure réalité du marché du travail avec un taux de chômage des jeunes qui avoisine les 20%. Tous, depuis l’enfance, ont enchaîné les cours particuliers les soirs et les week-ends, étudié sans relâche pour rentrer dans les bonnes écoles publiques, dans les lycées réputés, avoir un bon classement au gaokao (baccalauréat chinois), accéder aux meilleures universités. Étudier, étudier sans relâche et tout ça pour quel résultat ? Des salaires de misère, des journées de travail de 16h, pas de week-ends, des ambitions sérieusement revues à la baisse. Et puis, pour lui, alors qu’il commençait à baisser les bras après de longs mois de recherche infructueuse, le conte de fées : son père lui propose de rentrer dans l’entreprise familiale et lui apprend qu’il est multimillionnaire.
– « Moi aussi j’aimerais bien que mes parents m’annoncent un trésor caché sous un matelas ! » avait réagi l’un du petit groupe lorsqu’un vendredi soir, prenant son courage à deux mains, Zhang Zilong leur avait tout raconté. Un autre ouvrait de grands yeux :
– C’est vraiment sérieux ton histoire ?
– Tu n’avais vraiment aucune idée du succès de Mala Wangzi ? a réagi le troisième.
Zhang senior avait fondé Mala Wangzi ou Mala Prince une vingtaine d’années auparavant, une entreprise qui fabriquait des latiao, ces bâtonnets épicés au blé, spécialité du Hunan, l’un des snacks favoris des Chinois. Comment soupçonner une telle fortune quand le père n’a que le mot « dettes » à la bouche, quand on habite comme tout le monde dans un petit appartement, quand on ne bénéficie d’aucun passe-droit pour rentrer dans le lycée réputé de Changsha, quand on porte les mêmes vêtements que tout le monde ?
Son père avait tout fait pour éviter que son fils ne devienne un fu er dai, ces enfants des nouveaux riches gâtés pourris dont l’indécence fascine les réseaux sociaux et agace le pouvoir. Il souhaitait que Zilong apprenne ce que travailler veut dire. Alors, pendant les vingt premières années de son fils, il lui a tout dissimulé. Et s’il l’a embauché dans l’entreprise familiale, Zilong y est traité comme n’importe quel employé. Pas de passe-droit, pas de favoritisme, l’entreprise ne lui reviendra que s’il démontre avoir les capacités nécessaires pour la diriger.
Maintenant que des inconnus le suivent par milliers sur les réseaux sociaux, que les portes s’ouvrent comme par miracle, que les filles se montrent si empressées, Zilong remercie son père. Ses amis l’ont cru, continuent de partager avec lui leur quotidien et cela n’a pas de prix. Oui, on peut tout acheter avec de l’argent mais difficile de démêler l’authentique de l’intéressé. Avec ses amis, là, autour d’une bière et de latiao bien épicés, il savoure la vraie richesse.
Par Marie-Astrid Prache
NDLR: Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article raconte l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors du commun, inspirée de faits rééls.
2 Commentaires
severy
14 janvier 2025 à 04:03Très bonne histoire bien morale.
Que signifie « démêler l’authentique de l’intéressé »?
Sarah Michel
14 janvier 2025 à 18:01Merci pour votre gentil message. « Démêler l’authentique de l’intéressé », dans ce cas, faire la différence entre les amitiés réelles et celles uniquement motivées par l’argent.