Politique : Le général Zhang Shengmin, un « rescapé » promu à la tête de l’armée chinoise

Le général Zhang Shengmin, un « rescapé » promu à la tête de l’armée chinoise

Le général Zhang Shengmin (张升民), 67 ans, vient d’être nommé vice-président de la Commission militaire centrale (CMC), l’organe suprême du commandement chinois. Cette promotion, annoncée à la clôture du 4 plénum du XXᵉ Comité central du Parti, marque un tournant discret dans la recomposition du haut commandement. Elle entérine la chute du général He Weidong, officiellement limogé pour corruption quelques jours plus tôt, et confirme la place centrale de Zhang Shengmin dans l’équilibre fragile entre loyauté, discipline et survie politique au sein de l’Armée populaire de libération (APL).

Formé dans les années 1990 au sein de la région militaire de Lanzhou (Gansu) — l’une des plus puissantes de la Chine de l’Ouest — Zhang appartient à la « clique de Lanzhou », réseau militaire structuré autour de l’ancien chef d’état-major Fu Quanyou. Ce sésame lui ouvre les portes du Département politique général de l’armée, où il sert plus d’une décennie dans un environnement dominé par les généraux Xu Caihou et Guo Boxiong, tous deux tombés pour corruption peu après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping.

En 2004, Zhang est muté au Second corps d’artillerie — devenu depuis la Force des missiles (PLARF). Il y reste plus de dix ans, aux côtés notamment de Wei Fenghe, futur ministre de la Défense, lui aussi rattrapé par les inspecteurs de l’anti-corruption vingt ans plus tard. Cette période façonne la réputation de Zhang : celle d’un commissaire politique rigoureux, attaché à la discipline et au contrôle idéologique, plus qu’à la modernisation technique ou au commandement opérationnel.

À partir de 2015, sa carrière prend un virage institutionnel. Promu commissaire politique du Département de la formation et de la gestion de la CMC, il rejoint ensuite le Département du soutien logistique, consolidant son image d’homme sûr, capable de maintenir la cohésion d’un appareil miné par les luttes de clans.

Deux ans plus tard, en 2017, il prend la tête de la Commission de discipline militaire de la CMC — un poste stratégique au moment où Xi Jinping engage une purge sans précédent contre la corruption dans l’armée. Zhang devient alors le visage de cette croisade au sein des forces armées, supervisant les enquêtes qui entraînent la chute de nombreux officiers issus, comme lui, du Second corps d’artillerie.

Ironie du sort : alors qu’il incarnait la lutte contre la corruption au sein de l’armée, Zhang a vu exploser sous son mandat plusieurs des plus vastes scandales de ces dernières années, notamment dans la Force des fusées (PLARF) et dans le département du développement des équipements. De nombreux officiers déchus faisaient partie de ses anciens cercles, soulevant des doutes sur sa vigilance — voire sur sa complicité passive. Dans d’autres circonstances, il aurait pu tomber avec eux… Que Zhang ait survécu à cette tempête en dit sans doute plus sur son utilité politique que sur sa pureté morale.

Ce paradoxe — punir ses anciens camarades — alimente le scepticisme. Certains y voient la preuve d’une loyauté absolue envers Xi Jinping ; d’autres, un calcul de survie. Dans les faits, Zhang s’est imposé comme un exécutant discipliné, prêt à sacrifier ses propres réseaux pour préserver sa place dans la hiérarchie.

Son ascension au rang de vice-président de la CMC lors de ce 4ème Plénum, sans toutefois intégrer le Politburo, illustre cette ambivalence. Il devient l’un des deux militaires au sommet du commandement de l’armée, mais reste à ce stade exclu du cœur civil du pouvoir, à différence de son binôme, Zhang Youxia, membre du Politburo depuis 2017 et figure majeure de la « clique du Vietnam » au sein de l’APL. Ce dernier aurait sûrement préféré voir le général Liu Zhenli, autre membre de la CMC, souvent associé à la « clique du Vietnam », s’asseoir à ses côtés.

Mais Xi Jinping, certainement soucieux de préserver un certain équilibre entre factions et de ne pas entièrement confier (ou céder, selon les interprétations) les rênes de l’APL à Zhang Youxia et ses alliés, a choisi une voie médiane.

Zhang Shengmin apparaît dès lors comme un homme de compromis : trop lié aux anciens réseaux pour être considéré comme un pur protégé de Xi, mais trop prudent pour représenter un danger. Il incarne une transition, probablement jusqu’en 2027, dans un système où la loyauté se mesure avant tout à la capacité d’obéir sans faillir. Sa longévité tient à une vertu rare dans l’APL contemporaine : rester utile à tous, sans jamais devenir indispensable à quiconque.

Par Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius

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