Agriculture : Le nouveau visage de la Chine agricole

Le nouveau visage de la Chine agricole

Après le succès du plan industriel « Made In China 2025 », Pékin veut renouveler l’exploit dans le domaine agricole cette fois. Le plan décennal dévoilé avec discrétion en avril vise en effet à transfigurer la production rurale du pays, pour faire de ce dernier à l’horizon 2035 « d’un grand pays à petits fermiers, une nation agricole puissante et forte ».

Les objectifs avaient été détaillés dès février par l’Etat dans le « document central n°1 » qui, chaque année, se consacre au monde paysan. Y figuraient six objectifs : un approvisionnement stable en céréales et autres denrées, la consolidation de la campagne anti-pauvreté, la croissance des industries rurales, le renforcement de l’immobilier, l’amélioration de la gouvernance et l’optimisation de l’allocation des ressources.

De tous ces points, les premiers comptent le plus aux yeux des leaders, à commencer par l’autonomie alimentaire : le pouvoir veut s’assurer de nourrir ce peuple, tant pour résister aux éventuels blocus de puissances étrangères – et l’arrivée aux affaires du belliqueux Trump ne peut que raviver ce souci –, que pour prévenir les émeutes en cas de disette. Aussi cette sécurité alimentaire a été déclarée par Xi Jinping comme une priorité nationale. Même en évitant les famines, le pouvoir fait face à une demande incompressible en viande, en lait et œufs. La population qui s’enrichit exige de manger toujours plus et mieux. Pour satisfaire cette demande, il faut l’aliment du bétail, le maïs, le soja, dont l’an dernier, le pays importait 157 millions de tonnes, le plaçant au 1er rang mondial des importations et faisant la pluie et le beau temps sur les prix internationaux.

Les deux derniers objectifs sont apparus plus récemment. Le souci d’une meilleure gouvernance traduit la prise de conscience d’un manque de formation chez les maires ou secrétaires de village, d’inculture technique, voire d’indiscipline, nuisible à l’enrichissement. Et le souci de mieux allouer les ressources fait directement allusion à la quasi-faillite de milliers de petites caisses et banques rurales ayant dilapidé leur capital dans des placements hasardeux, ce qui les met hors d’état de pouvoir prêter aux paysans. Mais en Chine, plus de 70% des terres arables sont constituées en mini-fermes familiales de quelques « mu » (1 mu = 0,17 ha). Selon des études citées par le SCMP, près de 19% d’entre elles n’ont pas les fonds suffisants pour faire tourner leur exploitation, et 26% n’assument pas la charge de leur dette, les privant de toute chance d’emprunt pour améliorer leur rendement.

Toutes ces contraintes se reflètent dans le « document n°1 » qui affiche à la fois la volonté de « stabiliser » les terres céréalières (trop souvent « grignotées » en périphérie urbaine au profit de la construction immobilière), de renforcer les rendements (la meilleure variable, dans une perspective de hausse des récoltes) et d’améliorer la qualité. Ce dernier point marque un tournant politique par rapport à 30 ans de priorité donnée au seul volume.

Pour atteindre ces résultats, le ministère de l’agriculture et des affaires rurales (MARA) se propose d’encourager les plantations de soja et d’autres oléagineux tels le canola et l’arachide, et de vulgariser l’usage de technologies nouvelles par l’attribution de subventions ciblées. Des gains de productivité sont aussi visés via une meilleure coopération entre provinces. Dans des provinces-greniers telles Henan, Jiangsu, Heilongjiang et Anhui, un prix minimal sera fixé pour le blé et le riz, dans l’espoir de stabiliser d’ici 2030 les terres céréalières ensemencées à 117 millions d’hectares, tandis que les récoltes devraient progresser nationalement de 50 millions de tonnes par an – l’an passé, la récolte avait atteint un nouveau record de 706,5 millions de tonnes de céréales, tandis que celle en soja atteignait 23 millions de tonnes.

Toutefois un problème ancien et pourtant pressant, est celui de la compétitivité. En dépit de lourds efforts des 30 dernières années pour mécaniser et améliorer les techniques aratoires, produire en Chine reste cher, du fait d’un rendement moitié moins élevé qu’aux Etats-Unis. En soja, la Chine aux terroirs acides et moins bien adaptés, atteint 1,6 t/ha contre 3,5 t/ha aux USA. En maïs, elle atteint 6,2 t/ha contre 11 à 12 t/ha aux USA.

Pour faire face, le pouvoir multiplie les initiatives volontaristes. Fin 2024, le MARA a octroyé des certificats de sécurité à 12 types de semences OGM, réalisant ainsi un grand pas vers une production de masse en produits génétiquement modifiés. On peut supposer que Syngenta, le géant helvétique de la bio-agronomie racheté en 2017 pour 43 milliards de $ par le groupe public ChemChina, aura été essentiel dans la mise au point de ces cultivars. Mais en se lançant dans l’agronomie OGM, la Chine prend ici un risque certain, que l’Europe par exemple n’est pas (encore) prête à suivre !

L’autre plan publié en février et s’étalant sur 4 ans est dédié aux technologies agraires. Il fixe 10 objectifs traitant de sujets aussi variés que la promotion de semences nouvelles, la régénérescence des sols souvent pollués, la machinerie agricole, la prévention des pestes, celles des maladies du bétail et du poisson d’aquaculture, l’agriculture « verte » et bas-carbone, l’agroalimentaire et le développement rural.

Une autre corde à l’arc chinois sera dès cette année l’établissement de 500 consortia nationaux d’équipements agricoles dans le but affiché de faire travailler ensemble les centres de R&D, les groupes d’agro-business et les agriculteurs : ce qui est visé ici, est la mise au point de plants résistants à la sécheresse, des tracteurs, semoirs et moissonneuses guidés par GPS et des systèmes d’irrigation économes dotés de capteurs gouvernés par intelligence artificielle – un savoir-faire dans lequel le pays est à présent passé maître.

D’autres projets détaillés par le plan décennal, consistent en la construction de « villages digitaux » et de parcs agronomiques destinés à faire exploser les rendements. Un exemple pourrait être ces fermes à étage et autres « tours à cochons ». Parmi ces 1832 exploitations disséminées sur le territoire chinois, celle de Ezhou (Hubei) compte deux tours de 26 étages, capables à terme de produire 1,2 million de porcs par an (cf photo). A noter que ces établissements, pas plus que les régions superproductrices d’Europe comme la Hollande ou la Bretagne, n’ont su résoudre le problème de la pollution des sols, et que leur rentabilité à terme demeure sujette à caution.

Tous ces plans et initiatives sont mis en place pour faire face à une crise sociétale du monde rural. La Chine conserve 24% de sa population active dans l’agriculture, l’élevage ou les pêcheries, soit 176,6 millions d’humains à la campagne. 90% sont des petits paysans, avec un âge moyen de 53 ans, dont un quart sont sexagénaires. Leur force et leur dynamisme décline, et avec elle, les chances de faire fortement remonter la productivité. D’ici 2050, cette population active rurale ne sera plus que de 3%, notamment à cause de l’exode rural qui se poursuit à rythme accéléré. En 2021, ils étaient 6,91 millions à quitter le village pour la ville, soit 2,4% de plus qu’en 2020. Cela annonce certes des chances de remembrement des mini-fermes en exploitations plus grandes et rentables – le modèle de ferme idéale visée par le MARA est l’exploitation familiale de 5ha. Mais cela promet aussi un déficit en ouvriers agricoles, annonciateur d’une hausse inéluctable des coûts de production des aliments. Face à cette perspective, l’Etat pourra de moins en moins intervenir au plan financier : dès 2030, la dette publique atteindra 150% du PIB, limitant sa capacité à se refinancer.

Comme on le voit, la masse des défis posés à la Chine verte, est compensée par ses innombrables plans, lois et initiatives pour y faire face, et sa foi dans le volontarisme. En tout cas, pas besoin d’être grand clerc pour prédire que d’ici 10 ans, la face du monde rural au Céleste Empire aura changé du tout au tout, et dans un sens qui aura de quoi étonner les puissances agroalimentaires traditionnelles. L’Europe, l’Amérique, l’Australie/Nouvelle Zélande pourraient bien voir leur suprématie dans l’agro-alimentaire remise en cause.

Par Eric Meyer

3 Commentaires
  1. severy

    Comme tout cela est bien écrit. Pas la peine d’être dans la volaille pour avoir une bonne plume.

  2. Nushi

    Lors de voyages j’ai constaté les rivières hyper polluées se.perdre dans les terres cultivées..
    Ce sera primordial de s’en occuper pour que nous mangions les produits de ces terres

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