Monde de l'entreprise : Pékin renforce son arsenal juridique dans sa guerre commerciale avec Washington

Pékin renforce son arsenal juridique dans sa guerre commerciale avec Washington

C’est acté : le 24 mars, le Premier ministre chinois, Li Qiang, a signé un décret visant à renforcer les contre-mesures de la Chine aux sanctions étrangères. Plus exactement, ces nouvelles règles concernent la mise en œuvre de la « loi anti-sanctions étrangères » chinoise.

Ce texte (Anti-Foreign Sanctions Law, AFSL), adopté par le Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale en juin 2021, établit un cadre juridique complet permettant au gouvernement chinois de mettre en œuvre des contre-mesures en cas de sanctions étrangères.

Cette loi fut promulguée à la suite des sanctions imposées par les États-Unis, l’Union Européenne (UE), le Royaume-Uni et le Canada pour manifester leur réprobation face aux multiples violations des droits de l’homme au Xinjiang et à Hong Kong.

En réponse à ces sanctions internationales visant les responsables et entités de la RPC, la loi anti-sanctions étrangères stipule que les individus ou entités impliqués dans l’élaboration ou la mise en œuvre de mesures discriminatoires à l’encontre de citoyens ou d’entités chinois pourraient être à leur tour inscrits sur une liste anti-sanctions par le gouvernement chinois.

L’AFSL de 2021 entendait montrer au reste du monde que la Chine était prête à protéger ses intérêts et préserver la stabilité de son système politique par l’intermédiaire des instruments de la guerre juridique (lawfare). Ce serait une erreur de voir l’AFSL comme un simple mécanisme d’autodéfense permettant à la Chine de contrer les sanctions étrangères. D’une part, parce que ces sanctions étrangères sont fondées sur des principes universels de respect des droits humains fondamentaux ; d’autre part, parce que l’AFSL a une portée beaucoup plus large que la réponse aux sanctions et constitue une véritable contre-attaque qui place sous menace potentielle un large éventail d’entreprises étrangères ; enfin, parce que l’AFSL n’est pas qu’une « nouvelle » loi élaborée en réponses à des sanctions récentes, mais se place dans une continuité juridique de la RPC.

Révisée en 2016 et 2022, la loi sur le commerce extérieur de la République populaire de Chine (RPC) » de 1994 précisait déjà dans son article 7 : « Dans le cas où un pays ou une région adopterait des mesures prohibitives, restrictives ou autres mesures similaires de nature discriminatoire à l’encontre de la RPC dans le domaine commercial, la RPC pourrait, à la lumière des conditions réelles, prendre des contre-mesures à l’encontre du pays ou de la région en question ». En 2020, la loi sur les investissements étrangers préconisait dans son article 40 des réponses proportionnées aux sanctions. L’article 48 de la loi sur le contrôle des exportations étend ce mécanisme aux sanctions à l’export : « Lorsqu’un pays ou une région abuse des mesures de contrôle des exportations pour mettre en danger la sécurité nationale et les intérêts nationaux de la RPC, celle-ci peut, en fonction de la situation réelle, prendre des mesures réciproques contre ce pays ou cette région ». Autrement dit, les restrictions d’une entreprise chinoise à l’export décidées par le pays importateur peuvent être considérées comme une menace pour la sécurité nationale.

Au niveau des data, la loi sur la sécurité des données, adoptée en 2021 en réponse au CLOUD Act de 2018 qui permet aux USA d’obtenir des données stockées par des entreprises basées aux États-Unis en dehors du territoire, précise : « Si une nation ou une région emploie des mesures discriminatoires, restrictives ou similaires contre la RPC dans des domaines tels que l’investissement ou le commerce de données et de technologies pour l’exploitation et le développement des données, la RPC peut employer des mesures égales contre cette nation ou cette région en fonction des circonstances réelles ».

Toutes ces lois manifestent le concept de lawfare mis en évidence de façon directe par le dirigeant chinois Xi Jinping, affirmant : « dans la lutte contre les puissances étrangères, nous devons utiliser la loi comme une arme ».

Sur ce point, il est nécessaire de distinguer la loi chinoise de son « équivalent » européen. Le 6 juin 2018, en réponse aux sanctions extraterritoriales réimposées par les États-Unis à l’Iran, l’UE s’était dotée d’une « loi de blocage » interdisant aux entreprises européennes de se conformer « directement » ou « indirectement » (via des filiales ou des personnes intermédiaires) aux lois énumérées dans l’annexe des sanctions américaines. Alors que la loi de blocage de l’UE se limitait à protéger les personnes physiques et morales contre l’obligation de se conformer à une liste claire de mesures restrictives, l’AFSL légalise un régime de rétorsion et se veut proactive en matière de sanctions.

L’objectif principal de la loi chinoise est de préserver la souveraineté nationale, la sécurité et les intérêts de développement de la Chine en se donnant la possibilité légale de mettre en œuvre ses propres contre-mesures lorsque le gouvernement estime que des « mesures restrictives discriminatoires » imposées par des états étrangers « violent le droit international et les normes fondamentales des relations internationales visant à contenir ou à réprimer notre nation ».

Plus encore, selon l’article 4, toute personne qui « participe directement ou indirectement à l’élaboration, à la prise de décision ou à la mise en œuvre » de sanctions ou d’autres mesures restrictives peut être inscrite sur la liste des contre-mesures de la Chine. Les personnes figurant sur cette liste peuvent se voir refuser l’entrée en Chine ou en être expulsées. Leurs avoirs en Chine peuvent être saisis ou gelés, et il leur sera interdit de commercer avec des entités ou des personnes en Chine.

A tout cela, la nouvelle réglementation de 2025 ajoute le détail des secteurs dans lesquels les personnes et organisations étrangères peuvent être exclues : l’éducation, les sciences et technologies, les services juridiques, la protection de l’environnement, du commerce, de la culture, de la santé, etc. Elle précise également que le gouvernement chinois peut interdire ou restreindre l’importation et l’exportation de biens et technologies connexes par les personnes et organisations placées sous cette liste.

Le durcissement de l’AFSL de ce mois de mars 2025 (avec ces 22 nouvelles dispositions pour renforcer la mise en œuvre de la loi de 2021) est un nouveau facteur de risque pour l’entreprenariat étranger en Chine. En effet, la loi ne se contente pas de contre-mesures à des sanctions ciblées contre des entreprises ou des individus, mais place ces sanctions dans le cadre plus large d’une atteinte au développement du pays pour en faire un cas de sécurité nationale.

Alors que la Chine n’a eu de cesse de dénoncer, à juste titre d’ailleurs, l’extra-territorialité du droit américain, elle continue, sous couvert de réponse à des sanctions externes, de mettre en place un système d’application extraterritoriale de ses lois lui permettant de contrôler individus et entreprises hors des frontières chinoises.

Par Jean-Yves Heurtebise

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