Diplomatie : Ombres et lumières de la nouvelle politique chinoise américaine

Ombres et lumières de la nouvelle politique chinoise américaine

La politique chinoise du nouveau gouvernement des Etats-Unis est décidément difficile à déchiffrer. L’administration Trump ne cesse de souffler le chaud et le froid, multipliant les déclarations à l’emporte-pièce et les plans sur la comète.

A cet égard, la révocation le 13 février de Darren Beattie, sous-secrétaire d’État à la diplomatie publique et aux affaires publiques, nommé juste une semaine plus tôt, le 5 février par le Secrétaire d’État lui-même (l’équivalent de notre ministre des Affaires étrangères), Marco Rubio, est particulièrement édifiante.

Pourquoi parler de cet apparent non-événement de la cuisine capitolesque à la sauce trumpienne ? C’est que le sous-secrétaire d’Etat est le n°3 dans l’ordre hiérarchique du ministère des Affaires étrangères de ce qui demeure encore la principale puissance militaire et géopolitique mondiale. C’est surtout que les raisons probables de sa révocation sont pertinentes pour analyser les différentes facettes de la politique chinoise des Etats-Unis. En effet, dès la prise de poste de Darren Beattie, certains messages laissés sur la toile les années passées sont réapparus et témoignent à la fois de ses alignements politiques mais surtout de sa vision géopolitique.

Au niveau de la politique interne, Darren Beattie semblait le candidat « idéal » pour la nouvelle administration Donald Trump et Elon Musk. Moins pour sa thèse de doctorat sur le philosophe allemand Heidegger que pour ses propos contre les politiques de diversité, égalité et inclusion. Dans un tweet du 5 octobre 2024, Beattie affirmait en effet : « Des hommes blancs compétents doivent être aux commandes si vous voulez que les choses fonctionnent » ; « dorloter les sentiments des femmes et des minorités [conduit à] démoraliser les hommes blancs compétents ». On peut supposer que Beattie s’incluait en toute modestie dans cette dernière catégorie injustement mise en compétition avec des femmes et des non-Blancs (qui ne devraient leur réussite que grâce à la discrimination positive). Le type même de personnalité idoine pour une administration reprochant à l’Afrique du Sud de discriminer les Afrikaners (les descendants des colons néerlandais du pays – rappelons que Musk est issu d’une riche famille britannique sud-africaine).

Darren Beattie avait été une première fois démis de ses fonctions d’auteur de discours de Trump lors de son premier mandat après avoir pris part à une conférence du H. L. Mencken Club, qualifié par le Southern Poverty Law Center de « groupe de haine nationaliste blanc ». C’est donc sans doute pour réparer cette « injustice » qu’il a été nommé sous-secrétaire d’Etat.

Mais ce qui semble avoir précipité sa chute, ce sont plutôt ses prises de position sur la Chine, les Ouïghours et Taïwan qui cadrent mal avec la politique bipartisane des Etats-Unis depuis des décennies. Dans un tweet du 1er mars 2021, Darren Beattie déclarait candidement : « Les Chinois ne sont pas génocidaires. Ils s’opposent simplement à la suprématie ouïghoure et à l’identité ouïghoure. Si les Ouïghours rejettent simplement la suprématie ouïghoure, ils n’auront aucun problème dans la société chinoise ». Rappelons que selon les statistiques officielles du gouvernement chinois lui-même, entre 2015 et 2018, les taux de natalité dans les régions à majorité ouïghoure ont chuté de plus de 60 % alors qu’au cours de la même période, le taux de natalité de l’ensemble du pays a diminué de 9,7 % ; que le taux de natalité y a encore chuté de 24 % en 2019, contre une baisse nationale de 4,2 %. Rappelons aussi qu’en janvier 2021, le Département d’État américain a qualifié les actions de la Chine de « génocidaires », entraînant des juridictions similaires au Canada, au Pays-Bas, etc. Voilà donc un sous-secrétaire d’Etat s’opposant à une décision majeure de son bureau. L’ironie étant qu’un défenseur du suprématisme blanc accuse les Ouïghours de suprématisme. On comprend pourquoi : au Tibet comme au Xinjiang, Pékin n’est-il pas à « l’avant-garde » de ces politiques anti-minoritaires dont la mouvance politique dont il fait partie veut le retour aux Etats-Unis ?

Mais c’est surtout sa position à l’égard de Taïwan qui contredisait le plus toute la politique américaine « d’ambiguïté stratégique » sur le soutien possible de Washington à Taipei en cas d’agression de Pékin. En effet, dans un tweet daté du 25 mai 2024, Darren Beattie affirmait sans ambages : « Taïwan appartiendra inévitablement à la Chine, ce n’est qu’une question de temps » ; cela ne vaut « pas la peine de dépenser du capital pour l’empêcher ». De ce fait, la semaine dernière, une pétition adressée à Marco Rubio contre la nomination de Darren Beattie au Département d’État avait été lancée sur change.org. La révocation de Beattie semble donc plutôt une bonne nouvelle pour ceux qui espèrent encore, peut-être naïvement, que les Etats-Unis n’abandonneront pas Taïwan comme ils sont en train d’abandonner l’Ukraine – à la grande satisfaction de Pékin et des caricaturistes sycophantes du Global Times qui ne manquent pas de pointer l’hypocrite lâcheté de l’Oncle Sam.

Mais faut-il y lire, pour autant, le maintien d’une certaine ligne politique au niveau des affaires inter-détroits en particulier et de l’Indo-Pacifique en général ? Ce n’est pas si simple car si du côté de Marco Rubio, on a écarté Darren Beattie, la soi-disant chasse à la dépense publique d’Elon Musk pourrait bien faire les affaires de Pékin. En effet, couper les fonds de l’USAID et envisager de faire de même pour la National Endowment for Democracy (NED), est une aubaine pour la Chine. Rappelons que le NED est une organisation non gouvernementale fondée en 1983 dans le but déclaré de faire progresser la démocratie dans le monde et de contrer l’influence communiste à l’étranger. Or dans des publications récentes sur X, Elon Musk a affirmé, sans preuves bien sûr, que la Fondation nationale pour la démocratie (FDT en français) qui octroie des subventions à des groupes de défense de la démocratie à l’étranger, était « en proie à la corruption », coupable de « crimes » et que « cette organisation maléfique devait être dissoute ».

On risquera une hypothèse : peut-être que le définancement de l’USAID et de la NED est moins lié à la volonté de préserver la dépense publique américaine qu’à celle de faire disparaître toutes ces ONG dont les rapports sur le travail des employés dans les usines de Chine pourraient agacer un patron fortement dépendant de la main d’œuvre du pays, comme celui de Tesla par exemple …

Par Jean-Yves Heurtebise

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