Le Vent de la Chine Numéro 32

du 7 au 13 octobre 2012

Editorial : Une nuit à l’Opéra (ou « le retour de Jiang Zemin »)

Le 29/09 à Pékin, la représentation de l’Opéra National grouillait d’agents en civil : en loge présidentielle, invisible de la salle, un couple exclusif était de passage, Jiang Zemin et Madame. Pour l’ex-leader national, à 86 ans, c’était moins pour revoir ce complexe dont il était le «père» (l’ayant fait bâtir), que pour confirmer son influence comme politicien décisif.
La veille, en infraction à la Constitution, Jiang assistait à la session du Politburo qui expulsait Bo Xilai du Parti et le déférait à la justice. Tournant historique : après 10 mois, Jiang cessait de protéger Bo (comme il l’avait fait durant toute sa carrière, par devoir envers son père). Recul mystérieux : Jiang a des pouvoirs manifestes sur Hu Jintao, l’ayant privé dès 2002 de majorité au Comité Permanent et bloquant depuis toute velléité de réforme politique.
Pourquoi ce revirement ? Des trois explications qui courent, deux semblent faibles : l’une évoquant la colère du vieux maître envers un protégé en train de compromettre par ses manœuvres son scénario de succession ; l’autre mettant en avant le souci «responsable» de restaurer une image du régime ternie par l’affaire.
Reste la 3ème grille de lecture : un compromis au cours des palabres furieux entre les deux blocs face à face, Ligue de la Jeunesse (Tuanpai) pour Hu, « Gang des petits princes » (Taizibang) pour Jiang. Un nombre de dossiers restent à trancher, entre ces deux hommes qui n’ont jamais entre eux vu s’apaiser la rivalité :
– Quel nombre de membres au Comité Permanent, 7 ou 9 (décision prise à Beidaihe cet été, mais défaite ensuite) ?
– Hu gardera-t-il deux ans son poste de Président de la Commission Militaire Centrale et patron de l’Armée Populaire de Libération (APL) ? Et à quelle condition ?
– Quelle sanction pour Bo Xilai, étant entendu que son véritable « crime » imputé, quoique gravissime, reste dans l’ombre (avoir envisagé de prendre le pouvoir avec l’aide de la police armée et/ou de l’ex-région militaire de son père, le Yunnan). Le sort de Bo sera fixé en procès sans doute éclair, comme ceux de Gu Kailai et de Wang Lijun, avant le Congrès qui débutera le 8 novembre 2012.
– Et quelles « troupes » pour Hu, pour Jiang, au sein des organes de direction ?
Tous les cas de figure sont ouverts. Par exemple, les deux ans de prolongation que revendique Hu à la tête de l’APL, pourraient se monnayer une voix au Comité Permanent.
Jiang serait assuré de Wang Qishan, Zhang Dejiang (vice-1ers) et Yu Zhensheng, boss de Shanghai.
Hu place Li Keqiang (futur 1er ministre), Li Yuanchao, chef du département de l’organisation, et Wang Yang (cf p3). Ainsi, dans un Comité Permanent à 7, Xi Jinping le futur leader, qui est plutôt du côté de Jiang, n’aurait aucun homme à lui, mais des « amitiés » des deux bords.
Dans ce climat de négociations tendues, on voit passer des noms et des CV de cadres, surtout de la Tuanpai, en quête de montée au Politburo :
Wang Min, Secrétaire du Liaoning, brigue sa place à l’ancienneté (62 ans), et suite au quadruplement en 10 ans du PIB dans sa province, à 2200 milliards de ¥.
Liu Qibao, secrétaire du Sichuan vise la même position, au nom d’un PIB local égal (2000 milliards de ¥), et de la gloire d’avoir été sacré, à 59 ans, meilleur écrivain des secrétaires provinciaux. Le séisme de 2008 fut pour lui un « don du ciel », l’assurant de la part du lion dans les 600 milliards $ du stimulus qui suivit en 2008. Mais dans un style bien chinois, Liu, s’il passe au Politburo (comme chef de la propagande), resterait dans l’ombre, sous son protecteur Liu Yunshan, le tenant du titre (qui monterait au Comité Permanent).
– Enfin et surtout, Sun Zhengcai, éternel fort en thème, attend son heure, à 52 ans. Docteur en agronomie à 37 ans, il était ministre (de l’Agriculture) à 46 ans et secrétaire du Jilin à 49 ans. On l’appelle « Mr 14% », d’après la croissance du PIB local l’an dernier. Anglophone parfait (un an en Angleterre), apparemment surdoué dans le règlement des problèmes, il serait en bonne place pour succéder comme 1er ministre à Li Keqiang en 2022. Un homme à marquer dans les tablettes !


A la loupe : Portrait : Wang Yang, le chevalier blanc

Un des fils spirituels de Hu Jintao, Wang Yang, s’est imposé comme le chef de file de la réforme et de l’Etat de droit.
Il est fils d’ouvrier. Sa province, l’Anhui est une contrée où l’on nait plutôt démuni. Né en 1955 à Lingbi, il est ado quand décède son père. Intelligent, capable, il s’impose à 17 ans chef d’atelier en usine, et entre au Parti à 20 ans. Il part 1 an à Pékin à l’Ecole du Parti, « l’ENA chinoise » (études de Communication), puis entre à la Ligue de la Jeunesse. Laquelle le renvoie dans l’Anhui en 1981, « faire ses armes ». 

Il s’y lie avec Hu Jintao, « compatriote » et patron de la LJC. De passage dans l’Anhui, à Tongling en 1992, Deng Xiaoping dénotera le « talent exceptionnel » de Wang, maire de l’époque. Ainsi adoubé, Wang passe vice-gouverneur en 1993. En 1999, il monte à Pékin, n°2 à la NDRC (National Development and Reform Commission). En 2003, il est n°2 du Secrétariat du Conseil d’Etat, puis reçoit les rênes de Chongqing. En 2007, Hu le place au Politburo et Secrétaire du Guangdong.

Dès son arrivée, Wang Yang teste et expérimente, en quête d’un nouveau souffle pour la vieille région industrielle. Il taille dans la jungle de la paperasserie, étend les prérogatives des patrons, gère les crises ouvrières. En 2010, il ose publier le budget de la province, hier secret d’Etat. Puis (fin 2011) vient la crise de Wukan : spoliés des terres communales, les paysans résistent depuis 3 mois aux gangs mafieux lancés contre eux. Plutôt que de briser la sédition dans le sang, Wang destitue les caciques, impose des élections libres, nomme un des « dissidents » secrétaire du Parti. Une décision applaudie par le « Quotidien du Peuple ». « Time Magazine » le classe parmi les 100 personnalités influentes mondiales de 2012, avec Xi Jinping.

Dès janv. 2011, il lance un slogan improbable : le « bonheur de Canton » (幸福 广东, xìngfú Guǎngdōng). 
Le Parti communiste chinois doit avoir la main non plus « rouge » mais « verte » pour fournir au peuple « lumière », « terreau », surtout « espace » : telle une fleur, la société doit y pousser et trouver son bonheur. « Le bonheur du peuple n’est pas un cadeau du Parti et du gouvernement », ose-t-il (09/05), le peuple a le droit de le rechercher par lui-même. Le rôle du pouvoir est de le laisser explorer ses propres voies ». 

Et Wang de joindre l’acte à la parole en ouvrant aux ONG la vente de services sociaux : leur offrant à la fois reconnaissance légale et financement, toutes choses bannies depuis 60 ans au nom du monopole du Parti et de la dictature du Prolétariat.
Auréolé des succès de sa dernière campagne anti-corruption, Wang est aujourd’hui pressenti pour la direction de la Commission centrale de contrôle de la discipline, au sein du directoire suprême : un des sept futurs maîtres du pays.


A la loupe : Portrait : L’ascension brisée du seigneur Bo Xilai

Bo Xilai avait pourtant tout pour réussir.
Né en 1949, comme la RP Chine, il avait pour père Bo Yibo, un des plus illustres témoins de la Longue Marche, puis un des 8 « immortels » compagnons de Deng. Durant la Révo’ culturelle, il prouva que l’appareil comptait le plus pour lui, en rossant son père à son procès public (3 côtes brisées). Paysan à 19 ans, ouvrier à 23, il entre au PCC à 31 ans – un peu tard cependant, peut-être faute d’avoir déjà réussi à convaincre tout le monde. 

Ses études de journalisme ne sont pas non plus dans la droite ligne. Heureusement son père réhabilité est là pour le propulser : en 1982 au Secrétariat général du Comité Central (1982), en 1984 au Liaoning. A Dalian en 1987, il déploie un talent pour attirer capitaux coréens, et savoir-faire nippon. 20 ans après, il en devient gouverneur.

Là, il rencontre N. Heywood, jeune prof d’anglais aux dents longues, qui l’aide à placer son fils Bo Guagua à l’école londonienne de Harrow. La vie est belle dans son compound militaire avec vue sur la mer Jaune. Gu Kailai, sa femme avocate fournit aux entreprises locales et étrangères des « conseils immobiliers » contre de vertigineux cachets qui couvrent, dit la rumeur, l’octroi des meilleurs terrains de la ville. Dès les années ‘90, le couple accumule une fortune dans la pierre, de Pékin à Londres. 

Dans les media, Bo reste un homme intègre menant « une vie simple ». Son look alterne sourires charmeurs, décontraction et costume élégant. Mais derrière les volets, on le dit buveur et amateur de prostituées. Une « Bo’s touch » composite donc, qui tranche avec le style compassé du Parti, et qui ne plait pas à tous.

Avec le décollage du Liaoning, sa carrière s’accélère : au Comité Central dès 2002 (à 53 ans), au Politburo à 58 ans, puis ministre du Commerce en 2004. En 2007, il est Secrétaire à Chongqing. En fait, c’est un moyen pour retarder la promotion suprême, et tester ses capacités sur la métropole la plus grande (33 millions d’âmes) et la plus pauvre. 

Il en fera son tremplin, par trois politiques-choc : 
– la lutte anti-triades,
– un délirant plan d’infrastructures (100 milliards de $ d’investissements en 2011) et
– une campagne maostalgique de chants révolutionnaires (2011). N’ayant pas pu convaincre en « jeune 1er » américain, Bo s’est fait héraut de la « nouvelle gauche », coalition de jeunes et vieux admirateurs du Timonier, de déçus des nouvelles règles du jeu économique, et de citoyens inquiets des écarts de richesse et d’une dérive vers l’Occident.

Au faîte de sa gloire, il est l’auteur acclamé d’un « modèle de Chongqing », basé sur l’industrie géante, les HLM, et l’intégration accélérée de 3 millions de migrants. Un système volontariste et peu respectueux des lois cependant, et sous lequel se multiplient vols des possédants privés, torture et abus de pouvoir. Cette fois, pense-t-il, sa place au Comité Permanent ne peut lui échapper. C’est oublier qu’il a beaucoup d’ennemis : quand est dévoilé le meurtre de Heywood par Gu Kailai, Bo est d’abord protégé par l’appareil, mais au final, même Jiang Zemin, son soutien de toujours, irrité par ses intrigues, finit par le lâcher. 


Hong Kong : Hong Kong : naufrage révélateur

La nuit avait pourtant bien débuté à Hong Kong lundi 1er octobre : dans la baie, les navires sillonnaient chargés de familles, attendant le feu d’artifice de la fête nationale à Victoria Harbour. 

Mais tout changea quand un ferry éperonna le Lamma IV, de Hong Kong Electric, une des compagnies du magnat Li Ka-shing. La catastrophe causait 39 morts, dont 7 enfants. Aucune explication n’est encore donnée à ce plus grave naufrage de la Région Administrative Spéciale (RAS) en 40 ans – la visibilité était bonne. 7 marins ont été arrêtés, le temps de l’enquête. 

Autant que le drame, l’attitude du Chief Executive C.Y. Leung choqua l’opinion : il fit venir sans retard quatre barges de Shenzhen, avant de se rendre solennellement à l’hôpital, accompagné du Chef du Bureau National de Liaison, représentant de l’autorité chinoise, Li Gang, qui fit l’essentiel de la conférence de presse. Cependant les barges inutilisables durent rebrousser chemin, et les commentateurs accusèrent Leung d’avoir violé, au moins en esprit, l’autonomie de la RAS, garantie par le traité de retour de Hong Kong à la Chine. 

Depuis sa nomination cet été, Leung est soupçonné d’être à la solde de Pékin. Quoi que vaille ce bruit, sa réaction, succédant à sa tentative de forcer des cours scolaires de « civisme », témoigne à la fois de l’impatience de Pékin, par l’entremise de l’obédient Chief Executive, de renforcer le sentiment patriotique des Hongkongais, et chez ces derniers, une méfiance qui demeure vive. 


Temps fort : Chine –Japon, en quête d’autres rôles !

Après la tempête politique entre Chine et Japon, ayant effacé des années d’efforts mutuels de construction de la relation, les deux pays semblent plongés dans la perplexité sur le prochain pas à faire, vu la force des enjeux.
Pour limiter les dégâts, Pékin émousse l’offensive –sans la stopper. La fête de commémoration des 40 ans de liens eut finalement lieu, au petit pied (27/09, Pékin) entre dignitaires tels Jia Qinglin, Président de la CCPPC (Conférence Consultative Politique du Peuple chinois) et Yohei Kono, ex-Chef de Cabinet. Les 1ers ministres, Y. Noda et Wen Jiabao convinrent de laisser les ministres des Affaires étrangères échanger des messages –secrets – de félicitation. 

Depuis le 1er octobre, sourds aux appels des vis-à-vis nippons, les garde-côtes chinois sont de retour dans l’archipel Diaoyu-Senkaku, l’objet du litige.
Les «4 Soeurs» bancaires ICBC, CCB, BdC et ABC déclarent forfait pour un forum financier cette semaine à Tokyo, sous l’égide du FMI et de la Banque Mondiale et pour une conférence interbancaire à Osaka. Mais les officiels devraient être présents, afin de limiter les dégâts d’image pour la finance chinoise, suite à ce boycott d’un meeting international. D’ailleurs, Christine Lagarde, patronne du FMI avertissait (30/09) « les deux pays » de « régler un litige que l’économie mondiale ne pouvait pas se permettre ».

On comprend le souci chinois de calmer le jeu : alors que les investissements régressent de partout en 2011, ceux du Japon sont seuls à avoir monté (+16%), à 12,6MM$. Aussi, l’on s’interroge sur les mobiles réels de la Chine, pour une réaction qui lui sera si dommageable—déjà Toyota, ayant perdu 56% de son marché en septembre, annonce une révision de ses postes de travail sur le continent.
Une explication est la théorie de l’APL, l’armée chinoise, des «défenses océanes», qui voit dans les Diaoyu-Senkaku un maillon d’un « corset » implanté par les USA, bloquant à la Chine la route du Pacifique, comme un mur qu’il faudrait percer pour assurer l’expansion du pays. Une autre théorie désigne un bras de fer interne, sorte d’ultime effort pour sauver Bo Xilai dans l’imminence du XVIII. Congrès. Témoins les slogans entendus dans les manifestations de septembre, « les Diaoyu sont à la Chine, et Bo au peuple ».

Au Japon H. Yonekura, Président du Keidanren, (syndicat des patrons) réclame le dépôt du litige territorial devant la Cour Internationale de Justice –Pékin a déjà accusé devant l’ONU Tokyo de «vol» des îles.
Mais voilà, très bizarrement, le 1er ministre Noda refuse de le faire, alléguant que « la dispute n’existe pas ». En curieux parallélisme d’attitude avec la Chine, il estime que ces îles sont du ressort «des affaires intérieures », même si ce choix revient à priver le Japon d’une source sérieuse de légitimité. En même temps, lui aussi tente de mitiger les dégâts, en remaniant son cabinet : M. Tanaka, nouvelle ministre de l’éducation, veut moderniser les cours d’histoire contemporaine, dans un sens moins nationaliste – manière pour Tokyo de suggérer que le Japon ne campe pas sur ses positions.

À Manille, se tenait (3-5/10) un Forum Maritime de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est). Manille dénonçait la construction à étape forcée d’une ville chinoise, Sansha, sur une île que les Philippines revendiquent comme la leur. Elle dépêchait aussi, à toutes fins utiles 800 « Marines » sur une île voisine. 
Vietnam et Philippines, à ce forum, se rapprochaient du Japon et de la Corée, comme nations en butte aux exigences de la Chine… laquelle pratiquait en retour la « diplomatie du chéquier », offrant 463 millions de $ à l’organisation. Les USA rappelaient leur absence de tout désir de « contenir » la Chine, et le Japon prêchait pour la paix… Bref, c’est la cacophonie, et pour longtemps encore !


Argent : Tibet 5100 contre Perrier, Evian

La Chine peut-elle concurrencer « Evian », avec ses eaux minérales ? Fu Lin, directeur de « Tibet 5100 », l’usine de Dangtan, située à 5100m d’altitude au pays des neiges, est certain d’en avoir le potentiel. Car son eau tirée d’une région immense et sans nulle pollution, est assurément la plus pure, chargée en minéraux et bonne pour la santé. D’ailleurs, Tibet 5100 est n°1 national sur le créneau de l’eau de luxe, devant Perrier ou Evian, à 1,2$ la bouteille de 550ml.

Pour l’instant, Tibet 5100 n’écoule que pour 100 millions de $ en 2011 – une misère, face aux 10,8 milliards de $ vendus par Wahaha, le n°1 national. Mais dès 2013, il compte exporter, vendre sur Singapour et en Arabie Saoudite, avant de se risquer en Europe et aux Etats-Unis. 
Cela dit, les difficultés seront importantes. Très protégé par l’Etat chinois, Tibet 5100 tire en 2011, 62% de ses ventes des chemins de fer (qui les distribuent aux passagers), sans compter les autres clients d’Air China et du Parlement. Il ne fait pas de publicité : « les riches ne perdent pas leur temps devant la TV ». 

Mais Fu Lin sait qu’il va falloir s’y mettre, à l’étranger : car nonobstant la qualité évidente du produit, des résistances sont à attendre en Occident, de la part d’une opinion parfois remontée contre la présence chinoise au Toit du Monde, et pas forcément prête à encourager celle-ci en consommant les produits « made in Tibet ». 


Petit Peuple : Huainan – un prince de la cloche, polyglotte

Mendiant de son état, Xie Haishun, alias « Shazi, l’idiot», traîne depuis 50 ans sa dégaine à travers Huainan (Anhui), son cou hâlé et sa bedaine ventripotente sous ses guenilles. Mais la ville l’aime bien, et en est fière, du fait de son talent : à 70 ans, il fait la manche en français et en coréen, ou bien dans les langues de Kawabata, de Dostoïevski, de Shakespeare et bien sûr, de Confucius.
Pour quelques piécettes, Xie vous sortira un petit « xie xie », un « uj spacibo » russe pour un yuan, un « domo arigato » pour deux, un « merci Monseigneur » pour cinq, et à partir de 10, vous gratifiera d’un triomphal « see you tomorrow, Comrade ». Les guides lui amènent leurs groupes pour un show au mégaphone : il est l’attraction d’une ville qui, sans lui, s’ennuierait bien plus.
Par quel miracle Xie s’est-il approprié ce don ? En découvrant dans une poubelle, 10 ans plus tôt, un vieux walkman, une cassette d’anglais complétée d’un manuel maculé de graisse. Tout cela avait donné à notre homme l’envie d’apprendre la langue. Il en était capable, il le sentait, en répétant sans faute les phrases crachotées par le haut-parleur. Aussi, en s’appropriant la langue-reine des affaires, il gravissait l’échelle sociale, et gagnait la bataille contre l’ennui des heures à ne rien faire. Au passage, il faisait la nique au destin – quand on mendie, on n’est pas supposé étudier. En un mot, en bachotant, il se retrouvait, et se refondait.
C’est fou ce qu’on trouve dans les ordures des bourgeois, pourvu qu’on se donne la peine d’aller y gratter. Patience aidant, l’idiot trouva des méthodes pour chacune des langues qu’il avait décidé d’apprendre. Et le succès venant, il se mit à mieux nourrir sa famille d’adoption, une pauvresse, cinq enfants à demi-handicapés qu’il avait ramassés au bord du chemin. Car tout démuni qu’il soit, Xie n’avait jamais quitté son rêve d’enfant, d’améliorer le sort de l’humanité.
Xie Haishun se professionnalisa. Weibo, le Twitter chinois, finit par déchirer le voile et assurer sa célébrité. Les journalistes se rendirent à sa masure : éberlués, ils découvrirent que ce « pauvre » redistribuait aux autres l’essentiel de ce qu’il recevait. Ils le virent le soir dans sa guitoune, donner la becquée à son « fils » squelettique, paralysé dans le sofa défoncé. Ils le virent au fil des années déposer des dons de 200 yuans à la Croix Rouge, pour les victimes du typhon Morakot (2009), et des séismes de Yushu ou même d’Haïti (les deux en 2010). Ce qui depuis, fait vrombir furieusement la Chine sur le web, entre les optimistes (« non, le pays n’est pas qu’une immense collection d’égoïstes sans cœur ! ») et les pessimistes (« ceux qui donnent, sont ceux qui ont le moins »)… Du coup, pour Xie, le ciel se dégage : Weibonautes et associations jouent des coudes pour l’aider à qui mieux mieux, offrant livres, coupes de cheveux, paniers d’œufs ou même, cet été, une opération de la cataracte (par la Croix Rouge, soucieuse de redorer son blason, suite à quelque scandale)…
Aujourd’hui, les media se penchent sur son passé mystérieux. Les plus doctes et mieux renseignés déterrent un drame émouvant à souhait. Dans les années ’50, fringant et excellent lycéen, le jeune Xie en aurait follement pincé pour une donzelle aux traits et aux lignes affolantes, mais plus douée pour la pavane que pour les études ou pour le cœur. Pour battre ses rivaux, il aurait tenté un pari bien trop dangereux : lors du concours de fin d’études, d’entrée à l’université, inverser leurs noms sur les copies.
Résultat : elle fut admise tandis qu’il restait sur le carreau, puis elle l’abandonna, « démolissant le pont après avoir passé le fleuve » (过河拆桥 guò hé chāi qiáo). Juste après, le décès de sa propre mère scellait sa destinée de clochard, de l’autre côté du pont – pour y découvrir d’abord une liberté nouvelle, puis en fin de parcours, des honneurs peut-être plus désirables que la vie rangée dont il avait rêvé !


Rendez-vous : Rendez-vous de la semaine du 8 au 14 octobre 2012

10-12 octobre Shanghai : ICE Asia, Salon de l’industrie du papier

10-12 oct. Shanghai : SIDRS, Salon de la lutte contre les désastres naturels, de la prévention des catastrophes, des technologies et équipements pour la gestion des urgences

10-13 oct. Shanghai : Interior Lifestyle China

11-14 oct. Shanghai : Music China, Salon des instruments de musique

11-13 oct. Dalian : CIEPF, Salon de la protection de l’environnement

11-14 oct. Shanghai : Pet Fair, Salon des animaux familiers

15 octobre – 4 novembre : Foire de Canton