Le Vent de la Chine Numéro 5

du 7 au 20 février 2005

Editorial : Le singe est mort – Vive le coq !

10e signe du zodiac chinois, le « Coq d’or qui annonce l’aube », nouveau roi de Chine pour un an, dès ce 9/2, a bien des vertus : élégant, ardent, brave jusqu’à l’inconscience, généreux (partageant son grain), et surtout fiable, gardien du temps!

En ’05, son chant (disent les géomanciens!) sera celui de Hu Jintao, de chasse à la corruption : 2005 sera un bon moment pour respecter la loi ! Ce sera en tout cas le temps de la valse des hauts cadres, les vieux de Jiang Zemin cédant la place aux jeunes de Hu. A 63 voire 65 ans révolus, sans exception, maires et gouverneurs, patrons des provinces, ministères et tutelles nationales s’en vont,  relayés par des «espoirs» comme Li Keqiang (nouveau Secrétaire du Parti au Liaoning), souvent issus de la Ligue de la Jeunesse, l’ex-fief de Hu. Inévitable deux ans après l’arrivée de Hu, cette manoeuvre prépare déjà  le XVII. Congrès de 2007, de manière à dégager l’hypothèque du dernier empereur Jiang et permettre à Hu Jintao d’imposer son propre message (aujourd’hui encore très flou), sans arrière-pensées!

Mais retournons au coq, pour signaler sa fâcheuse spécificité, due aux caprices des astres : son année est «veuve» faute de «lichun», jour du printemps de 2005, qui s’est perdu en année du singe. Comme si cela ne suffisait pas, 2 éléments, bois et fer se disputent Chanteclerc : l’année qui en sort est prometteuse d’infécondité et de dérèglements en tous genres, financiers comme climatiques (politiques?) qui découragent nombre de membres d’une société fidèle à ses atavismes ancestraux, malgré éducation et enrichissement, sans parler des décennies de combat socialiste contre la superstition.

Aussi, partout en Chine ces jours passés, maternités et salons de mariage ont fait des heures sup’, pour des milliers de naissances et d’unions sur le fil. 2005 sera une  année morte pour les mariages, naissances, voire les prises de risques économiques!

Pour autant, les esprits évoluent. En ville, ils sont 44%, bien plus parmi les jeunes, à contester les «semaines d’or», où 2MM de voyageurs ont dû s’arracher les places assises, dans la fatigue et les colis-cadeaux hétéroclites. Ils revendiquent au contraire les congés en date de leur choix : l’individu ne souhaite plus être guidé en vacances par l’Etat. Pour lui, c’est désormais la réalisation de soi qui prime, sur l’impératif de faire tourner la grande roue du commerce national !

 

 


A la loupe : Pékin à Caracas – jusqu’où aller trop loin ?

En novembre 2004, la tournée latino-américaine de Hu Jintao avait abouti à une série d’accords et promesses d’investissements pétroliers forts au Brésil et en Argentine.

Du 23/1 au 03/2, ce fut au vice Président Zeng Qinghong de faire un 2d grand tour incluant Mexique, Jamaïque, Trinidad, Pérou, Cuba et Venezuela. Dans cette mission, on sent le projet de réitérer la formule qui réussit tant à Hu, s’assurer des sources  nouvelles d’hydrocarbures, tout en allant taquiner Washington dans son hinterland, à une époque de repli des USA dans leurs frontières, sous impopularité croissante, suite à 12 ans d’ère post-soviétique, qu’ils passèrent en gendarmes du monde.

L’enjeu était le Venezuela d’Hugo Chavez, l’imprévisible lider gauchiste hostile aux Etats-Unis. Zeng y signe 19 accords dont 5 en énergie, qui rouvriront à la CNPC, la compagnie nationale pétrolière chinoise, 15 gisements aujourd’hui inactifs. Caracas qui veut doper sa production de 3,5 à 5,1M de barils/jours, prépare l’export vers la Chine, mais avec prudence : les USA pourront-ils accepter une telle alliance qui viole leurs intérêts stratégiques, avec le pays aux plus fortes réserves d’or noir du cône sud (77,8MMbarils), qui lui livre 60% de sa production, pour 15% de ses besoins?

A La Havane, c’est Sinopec qui signe un contrat pour le développement conjoint d’un petit gisement à 34 km de la capitale, d’une capacité estimée de 14Mt. Dans ces deux pays « rouges », les discours idéologiques anti-« gringo» ont fleuri avec vigueur.

Mais gesticulations mises à part, ici, la Chine pratique l’art de savoir jusqu’où aller trop loin. Un partage d’influence est inévitable, vu la montée en puissance chinoise. Pékin cherche ses marques, tout en sachant bien que rien n’est faisable dans la région, sans un accord -assentiment des USA!

 


Joint-venture : Football – penalty de Siemens contre CFA

C’était inévitable, vu sa débâcle de fin 2004 : le ballon rond chinois ouvre sa saison sur un penalty marqué par Siemens, en se retirant du sponsoring de la Super League.

Deux cas de dopage ont fait douche froide, et plus encore, la guerre entre les clubs (dont 5 sur 12 menaçaient en décembre 2004 d’organiser leur ligue privée) et la CFA, l’association de football nationale, qui n’est pas une “Fédération” comme partout ailleurs, mais un organe de contrôle des masses, non représentatif et incompétent.

Sous sa direction, le dérapage des “sifflets noirs” (arbitres corrompus), des paris clandestins et des matchs truqués avait réduit à un mince filet, 5M$, le torrent des 105M$ promis en 2004 par Siemens, qui perdait son temps, son argent et son image dans ce gâchis de stades vides et supporters fâchés. En l’absence de solution, remplacer Siemens, en 2005, sera  peu évident. Le géant électronique reste, malgré tout, sponsor du Onze national.

NB: pas démoralisé, un autre groupe allemand se risque dans l’univers sportif chinois: Adidas achète (50M$?) le sponsoring officiel des Jeux Olympiques de 2008 !

 

 


A la loupe : Anti-monopoles – une guerre sans conviction !

Affûtées dans les ministères chinois, les attaques repartent contre les multinationales opérant dans le pays, accusées de position dominante sur le marché local.

Tetrapak ou Microsoft ont chacun 95% du marché. Kodak, avait déjà passé la barre des 50% avant le rachat de 20% de LuckyCoke tient 70% du marché des petites bulles… Du coup, ressort le monstre du Loch Ness de la loi anti-monopole, laquelle, lit-on, pourrait être validée avant fin 2005, après 20 ans de valse hésitation.

Problème apparent : qui sera l’arbitre, car dans ce pays où l’intervention publique est écrasante dans les financements comme dans les licences, qui tient les monopoles (étrangers ou locaux), tient aussi l’économie!

Trois colosses sont en piste, le Ministère du Commerce avec son bureau des monopoles, la SAIC (administration de l’industrie et du commerce), et la très conceptuelle NDRC, la Commission de réforme et de développement.

Plus profondément, le problème d’une loi des monopoles est que celle-ci devra déréguler, priver de leurs rentes, ministères, agences, provinces, entreprises d’Etat. Telles les 200 compagnies se partageant les 66000 taxis de Pékin, pour en rançonner les chauffeurs, ou les milliers de producteurs locaux du gaz, de l’électricité. La vraie raison de l’immobilisme est là, dans ces pouvoirs abusifs et cachés.

Et si Wen Jiabao trouve urgent d’avancer, c’est que l’absence de brides aux monopoles empêche la constitution du marché unique, avec toutes ces cloisons et pouvoirs locaux que la loi devrait démanteler

Exemple, l’industrie high tech, où la Chine brille, mais l’Inde plus encore, comme l’observe McKinsey. En 2003, la Chine y gagne 6,8MM$, mais l’Inde 12,7MM$. L’émiettement des monopoles locaux protégés, empêche les concentrations : 8000 PME chinoises de logiciels en Chine, pour 3000 indiennes. En Chine, seuls 12% de ces compagnies savent que l’avenir est dans la concentration, et seulement 6 des 30 plus grandes ont une certification crédible, contre 30/30 en Inde.

Tel est l’enjeu de la bataille de la loi des monopoles en Chine : instaurer la concurrence, pour aboutir à des filières de poids mondial, dans les métiers d’avenir, ceux de la matière grise et des services!

 


Argent : Sinochem en lutte pour la vie

— N°1 mondial de la communication en aéroport, JCDecaux prend un envol shanghaien à un moment critique – à quatre ans des Jeux Olympiques de Pékin et à six ans de l’Expo Universelle de la tête du Dragon : il reçoit la concession en JV de la publicité aux 2 aéroports de Hongqiao et Pudong.

35% pour 15 ans de ce marché de 490M², ces conditions offertes au Français expriment la volonté locale de bien faire les choses : rien qu’à Pékin, le partenaire aurait pu choisir parmi 80.000 PME de communication extérieure! Pour JCDecaux, après Hong Kong en 200404, Shanghai est un 2dpas chinois et un tremplin asiatique, dans une ville où le trafic passagers fera 90M en 2010!

NB : Shanghai voit aussi l’entrée du lillois Dickson, 800 emplois en France, 1er producteur mondial en toile à store et du tissu de jardin. Dickson investira 50M$ dans son usine chinoise de 170 fileurs et tisserands, et alimentera les clients délocalisés (la plupart des constructeurs mondiaux de mobilier de jardin).

— Remue-ménage chez Sinochem, n°1 de la pétrochimie chinoise.

[1] Le 30/1, il voit s’envoler Inchon Oil, raffineur coréen dont il se voyait déjà propriétaire – Citigroup, détenteur de 30% des créances refuse les 5,1MM$ proposés. Sinochem rate la chance d’entrer sur le lucratif marché chinois des produits raffinés, chasse gardée de Sino-pec et de CNPC.

[2] Le 1/2, Sinochem transfère chez Sinochem/HK sa branche engrais, n°1 national des imports et un des 1ers fabricants en Chine… Par ce jeu d’écritures à 647M$, Sinochem s’ouvre le capital du HK Stock Exchange, où il va désormais écouler ses 95% de parts de sa filiale, tout en contournant les pesanteurs administratives et financières liées à toute OPI, Offre publique initiale.

Comme l’échec du rachat d’Inchon, cette manoeuvre atteste l’urgence pour Sinochem d’élargir ses moyens de vie. En pétrole, la chimie rapporte moins que l’extraction. Ici, elle lutte pour son existence face à un étranger, plus gros, plus technique, plus concurrentiel.

— 2004 a été faste à l’aviation civile : à 1,1MM$, ses profits ont égalé le volume des 10 dernières années. Ceci, grâce à l’explosion du tourisme (121M passagers,+40%), et malgré la hausse du kérosène: chaque 1$ de plus au baril, s’est soldé par 5% de perte de profit pour les carriers ! Cette manne était ce qu’espérait la CAAC pour rempla-cer le carcan des prix, afin d’éviter aux transpor-teurs la vrille des prix cassés. Pour tirer plein pro-fit de l’âge d’or qui se dessine (cf papier «JCDe-caux»), les 4 grands, Air China, Southern, Eas-tern et Hainan Airlines négocient leur autodisci-pline et une grille de tarifs sur les grandes lignes. Détail évocateur des réticences qui demeurent, sur ces pourparlers : les trois 1ères Cies citées, refusent même d’en reconnaître l’existence!

 


Pol : SEPA, la souris qui rugit

Le 18/1, le veto de la SEPA – l’Agence nationale de protection de l’environnement- à l’encontre de 30 chantiers géants dont 26 barrages avait vibré dans l’air chinois comme un étourdissant coup de cymbales (cf VdlC n°4).

Imposé pour infraction à la loi environnementale, cet ordre central, soutenu par le Conseil d’Etat, défiait bon nombre d’Etats dans l’Etat, provinciaux et/ou corporatiste.

Deux semaines plus tard, la presse sans doute de connivence avec la SEPA,publiait que 8 des 30 projets avaient refusé l’ordre, dont trois sous la coupe de la compagnie des 3 Gorges, qui contestait toute infraction et maintenait ses hommes à Xiluodu (5MM$, capacité de 12 réacteurs nucléaires). La compagnie prétendait préférer payer l’amende. On les comprend, à 24.000$, l’infraction! Puis le 2/2, ayant fait vainement le tour de ses alliés à Pékin, le géant ployait l’échine, suivi des autres frondeurs: dossier réglé à temps pour le chunjie et, dit bellement la presse, la SEPA, pour l’occasion, est devenue “la souris qui rugit”- mais pour combien de temps ?

— Sus aux téléphones porno, au baccarat et aux Mmes Soleil en ligne!

Tutelles de l’internet et de l’audiovisuel, MII et SARFT veulent éradiquer telles sources de dépravation (sic).

Le 8/1,  97 “lignes roses” furent coupées au plan national, plus 79 dans les seuls Hubei et Jilin. A travers le Fujian, deux casinos en ligne (dont la triade Xinbao) étaient démolis avec leurs 104 bouges, permettant 70 arrestations, dont trois mafiosi taiwanais. Une des deux filières brassait 1,6MM$ (!!!) par mois!

Puis dernièrement, la tutelle de l’audiovisuel interdit les pub de “décodage de date de naissance, de l’année nouvelle”, services de géomancie par e-mail, SMS ou tél ! Enfin, dans sa croisade moraliste anti-mafia, l’Etat n’est pas sans alliés: en été 2003, 3 filles de l’école Tong’an n°1 à Xiamen (Fujian), enquêtèrent sur Mark 6, loterie locale bien plus suivie que celles de l’Etat. En 11 mois, elles établirent que 98% des joueurs étaient en échec scolaire, et que l’aventure les rendait accros, sans les tirer d’affaire. Leur enquête fit des trois filles les héroïnes du moment, mais fit aussi plonger, à l’ombre ou à l’amende, 283 complices dans cette ville, prône au vice !

Grosses Bertha de son export, les zones industrielles de Chine ne connaissent pas le même sort au Nord ou au Sud. Au delta du Yangtze autour de Shanghai et autour de la mer de Bohai (Tianjin, Dalian, Pékin), l’accumulation d’investissement se poursuit, témoin la dernière zone high-tech à Pékin, 30km² à Fengtai), dont la construction commence et qui devrait concentrer 12MM$ d’ investissements d’ici 2008. Le Sud, lui, continue sur son erre, moteurs coupés. Le Delta des Perles reste un moteur du pays, n°1 de la montre, du téléphone, du jouet, et doit, pour garder sa main d’oeuvre (1M manquants cette année), rouvrir ses frontières à la migration intérieure, fermée depuis 1995.

NB : c’est la loi de l’avenir, la course au plus bas coût, l’obligation d’intégrer le plus d’IT dans le produit, tout en passant de l’industrie aux services, ce que faisaient déjà ceux qui s’installèrent chez lui, 30 ans plus tôt  !

 


Temps fort : Banques chinoises – priorité au grand nettoyage de printemps !

A mesure que s’approche le nouvel an lunaire, se multiplient les scandales bancaires.

Pas par hasard : très motivés et soutenus par le Conseil d’Etat en 2004, les chasseurs de fraudes veulent publier leurs résultats avant la date butoir du 8/2, alors que 1841 cadres de 157 agences étaient sous les verrous !

Cette semaine bat les records, avec l’annonce de 900M$ détournés entre 1999 et 2001 à l’ICBC la banque de l’industrie et du commerce – et 65M$ disparus à une branche de la Jilin Construction Bank. Ici, la technique est la même que pour la carambouille débusquée fin janvier 2005 à la BoC – la Banque de Chine (vdlc n°4), 120M$ disparus dans une agence de Harbin (Heilongjiang) : de très gros clients sont victimes mais aussi complices, comme la Cie autoroutière du Nord-Est, dont le Président est arrêté, tout comme (au moins) 115 autres cadres des banques impliquées!

Le moins que l’on puisse dire, est que l’image de cette finance ressort délabrée : la tutelle de régulation bancaire, la CBRC qui, en décembre, félicitait la banque de Chine et la banque de la construction -la CCB- les déclarant « proches des normes comptables internationales », retire (31/1) ses compliments, pour dénoncer chez la banque de Chine, sa « faiblesse en prévention des risques internes ». Tandis qu’au sommet de Davos (26-30 jan), Zhu Min, vice Président de la banque de Chine, avoue que sa maison ne se pressera pas pour aller en bourse de Hong Kong (sans même parler de celle de New York): priorité au grand nettoyage!

Pour autant, la restructuration continue à la banque de Chine – la BoC (comme chez les autres), avec son plan d’assainissement en cours, de dégraissage des effectifs d’un tiers, de vente prochaine de 18MM$ d’actifs faillis, d’émission de 2,4MM$ d’obligations à 15 ans, de tractations secrètes pour ouvrir des partenariats…

La vie continue, et avec elle, l’espoir de finir par redresser la barque en pleine gîte !

 


Petit Peuple : Un printemps pour son vieux tronc

Le professeur Yang Zhenning nourrit ici une polémique furieuse. Certes, cet émigré aux US fait doublement honneur à son ex-patrie, après avoir emporté en1957 un Prix Nobel de physique, en convolant en janvier avec la sémillante Weng Fan, son ex-interprète puis étudiante cantonaise. Mais il y a un problème d’âge : Yang a 82 ans et Weng, 28 ans.

La Chine s’interroge donc sur cette histoire de «vieux mari/jeune femme», 老父少妻 laofu shaoqi.

Au fond, Yang ne fait que suivre une tradition à laquelle le Timonier lui-même sacrifiait avec assiduité, de cure de jouvence virile par le transfert du «qi» des filles nubiles. Mais très habilement, Yang argumente que leurs âges sont miroirs l’un de l’autre, en inversant décimales et unité. Cet habillage (ou faut-il dire déshabillage?) scientifique a donné des idées à un professeur nankinois de 65 ans, divorcé qui à son tour exige, par voie d’agences, un «printemps pour son vieux tronc d’arbre»  (枯木逢春 Ku Mu Feng Chun).

Et puisque un écart de 54 ans mettrait la donzelle au berceau et non dans son lit, ce candidat transige à la moitié, «par modestie», et cherche fiancée de 38 ans.

NB : sur cette question ardue, le VdlC a pris l’avis d’une Chinoise émancipée : «Sous prétexte de tradition, la quête de ces hommes vise moins la jouvence que le plaisir, dont leurs existences furent spoliées. Longues marches sans amour et traversées du désert de l’extase, leurs vies aboutissent à la révolte, aux portes de la mort. Mais la pratique va-t-elle exploser ? Va-t-on voir une révolution des lits conjugaux chinois au 3ème âge ? Et si oui, que fera-t-on des vieillardes ? Cette pratique machiste est développement non durable! »