Le Vent de la Chine Numéro 30

du 5 au 11 septembre 1999

Editorial : L’écureuil paiera pour le chômeur

Le 1er septembre, l’épargnant chinois fut réveillé par deux nouvelles, une bonne, une mauvaise, votées la veille par le bureau de l’Assemblée Nationale Populaire (11ème  session) :

La bonne : Pékin émet pour 7,2MMUSD de bons du Trésor, destinés à financer des projets de construction, « écologiques » et d’équipement du Grand-Ouest. C’est donc le plan de relance, attendu depuis longtemps, calqué sur l’exceptionnel « new deal »de l’an passé (12MMUSD).Xiang Huaicheng, Ministre des Finances en attend un effet quintuple, avec l’afflux des crédits privés, bancaires, et étrangers.

L’emprunt émis moitié pour Pékin, moitié pour les provinces, fait s’envoler la dette publique, de 18 à 21,7 MMUSD (contre 10,8 en 1998). Mais le pouvoir pense qu’il induira une reprise de la production d’énergie, des métaux, des matériaux de construction et des exports, et essentiellement un meilleur moral chez les consommateurs.

La mauvaise : l’épargne en banque va être taxée. 720MMUSD sont visés (l’équivalent du patrimoine public), à concurrence de 20% des intérêts. Visés aussi, les riches, puisque 80% de cette fortune est aux mains de 20% de la société. Il s’agit d’un marché captif, car les moyens de placement en Chine sont limités, et les robinets des capitaux vers l’étranger se referment, telles, ces jours-ci, les compagnies boursières disposant de filiales à Hong Kong, qui seront désormais sous contrôle simultané des deux bords de la frontière (par la China Securities Regulatory Commission, côté chinois). Il s’agit de forcer, par la « faim », le loup de l’épargne à sortir du bois bancaire. L’épargnant, pour échapper à la taxe, n’a que deux choix : placer en bourse (qui reste quasiment « hors taxes »)… ou dépenser !

Comme pour se faire pardonner par le peuple les 30% de hausse de salaires des fonctionnaires de juin dernier, l’Etat a décidé d’affecter le produit de la taxe à une hausse des indemnités de chômage (170Y/ mois, + 85Y/mois de couverture sociale), et des pensions.  Hausse de 30%, soit 24,5 MMY qui devraient être payés avant le 1er octobre, Fête nationale. Ces annonces, et le maintien musclé de l’ordre (arrestations de cadres du Falungong, de protestants de l’ombre, condamnations sévères de dissidents) expriment une évidente nervosité, au vu des mauvais résultats économiques.

La hausse du PNB s’est effritée de 8,1%, premier trimestre, à 7,1% (second). Juillet a été le 22ème  mois de chute des prix ( 1,4%). Le premier  semestre a vu la mort de 275200 compagnies (- 4,2%), 7,4M de travailleurs sont tombés au chômage, dont 5M y sont restés, et 0,3M n’ont touché aucune aide. Il y a encore un an, c’était l’inverse : moyennant un effort de recyclage, l’Etat se targuait d’avoir replacé presque tous les chômeurs urbains!Avec l’écart croissant des fortunes et la poussée de la corruption, ce nouveau chômage de masse est porteur de ce que Pékin redoute le plus : l’explosion de la rue! D’où sa générosité, et la volonté de contraindre, dès cette année, l’écureuil à la solidarité.

L’audace de ces mesures apparaît plus clairement quand on sait le climat tendu qui les accompagne : personne, dans les administrations ne prend plus de risques ni d’initiatives fraîches; la bataille contre corruption, contrebande et taxes illégales marque le pas; et faute d’un assainissement du secteur public, les dysfonctionnements déjà sensibles en 1998 (chantiers dangereux, gabegie), de ce genre de « croissance téléguidée », n’ont aucune raison de disparaître…

Vu sous cet angle, en dépit de ses innovations, ce plan de relance apparaît finalement pour ce qu’il est : imposé par le court terme et les menaces de dérapages sociaux, il n’a rien d’un « schéma directeur », complet et logique, d’une économie nationale. Son principal mérite attendu consiste à désamorcer une bombe sociale, voire de retarder une dévaluation désormais inévitable – tout en attendant un  hypothétique retournement de la conjoncture !

          

 


Joint-venture : DAEWOO attaque UNICOM

• Il y a 12 mois, la campagne d’assainissement de l’import-export par les douanes sous la houlette du 1er Ministre, semblait en mesure de juguler des décennies de «mauvaises habitudes».

Aujourd’hui, le tableau donne l’impression inverse.

Les douanes s’attaquent au secteur du TPA (trafic de perfectionnement actif), pratique industrielle d’import (à droits réduits) des matières premières que l’on réexporte transformées (hors TVA). La fraude consiste, on l’a compris, à vendre localement, tout en «coulant» au passage la concurrence intérieure (qui elle, paie ses impôts). Par ex., jusqu’à 80% du marché des matériaux en résine polyester et fibres fonctionnerait sous cette pratique. Autre «magouille» dans l’air du temps: l’import illégal de climatiseurs, TV, photocopieurs, pièces auto et autres, moteurs diesel marine d’occasion, made in Japan, sous l’appellation de «vieux métaux». En six mois, les gabelous cantonais ont saisi pour 1,2MUSD de ces matériels, ceux de Tianjin, pour 1200 t, et ceux de Shanghai, (port de Huangpu), 300000 t.

• Suite au divorce imposé par Unicom à ses 27 partenaires mondiaux (cf VdlC n°29), le coréen Daewoo prend la tête de la résistance et menace de porter plainte pour récupérer 6MUSD en revenus sur les 120MUSD investis par le groupe sur un réseau GSM de 270000 abonnés dans le Zhejiang.

Si elle se concrétise, cette démarche fera date : les autres ex-partenaires hésitaient à aller en justice de peur de se retrouver ostracisés de ce marché chinois. Unicom était parvenu à traiter, à ses conditions, avec certains d’entre eux, comme le japonais NTT. Daewoo, lui, n’a pas le choix: avec 7MM USD de dettes, il lui faut réaliser ses actifs ou mourir – la diplomatie passant après.

• L’aérospatiale, l’aviation civile, mais aussi les aéroports chinois sont pour l’étranger un terrain d’excellents profits et de furieuse concurrence.

Lockheed Martin (USA) vient de voir homologué à Shanghai son système de contrôle du trafic aérien, architecture informatique qui gère de façon coordonnée les aéroports internationaux de Hongqiao et Pudong. Avec deux autres contrats de rénovation du contrôle du trafic aérien de Hangzhou (Zhejiang) et Nanchang (Jiangsi) Lockheed, devient le leader indiscuté de l’activité sur le marché chinois.

Pour sa part, le londonien British Airlines Authority (BAA) vient de s’associer à China Airport Construction, (joint venture «AAM»), avec l’ambition d’obtenir la concession de 5 aérogares de 2 à 5M de passagers/an.

Néo-thatcherien d’inspiration, son concept consiste à transformer des aéroports chinois, entités administratives peu productives et déficitaires, en compagnies profitables. AAM vise aussi la gestion d’une partie de Beijing Int’l, qui devrait être privatisée. BAA tient déjà le «Duty Free» de Shanghai Pudong, ouverture programmée le 1. Octobre 1999.

 


A la loupe : Autres mesures de relance

– On attend pour bientôt une refonte de la taxe au chiffre d’affaires, dégressive jusqu’à « 0% », en fonction des investissements en biens d’équipement.

– Pour l’an 2000, une taxe de succession se prépare, pour assurer une redistribution des fortunes privées. On parle de cinq tranches d’imposition, et d’un seuil de 12 000 USD.

– « promo » sur les taxes à l’investissement fixe, qui baisseront de 50%, du 1er juillet au 31 décembre 1999.

– et surtout, vient d’être adoptée au Conseil d’Etat une révision du cadre légal du logement privé, de manière à encourager la naissance d’un marché secondaire, en levant les ambiguïtés sur la notion de titres de propriété de biens rachetés à l’État.

Ainsi, aucun logis construit après 1998 ne peut être octroyé à loyer de faveur (soit quelques dizaines de RMB/ mois, ce qui était la norme absolue, jusqu’à il y a deux ans), et tout logis construit avant 1998 doit être revendu « à prix coûtant » (175USD /m²). Si cette condition a été respectée, l’acheteur reçoit son titre, et peut ensuite revendre (marché secondaire).

Enfin, les maisons construites par leur propriétaire, et celles inoccupées depuis 18 mois, seront exemptes de taxes jusqu’à fin 2000.

Cette énième réforme de l’immobilier est peut-être, sans en avoir l’air, l’atout n°1 de Zhu pour débloquer la crise : bon nombre de rentiers urbains sont déjà tant équipés (TV, Hi-fi, voiture) qu’ils n’ont plus rien à acheter – sauf une maison, pour eux ou leurs enfants!


Argent : Hong Kong – la finance fuit la Chine

• 10 mois après le coup de tonnerre de l’effondrement de la GITIC (Guangdong International Trust and Investment Corporation) et de la GDE (bras d’investissement du gouvernement cantonais), la banque hongkongaise poursuit son repli hors du secteur financier non bancaire chinois. Au deuxième trimestre, ses avoirs s’y montaient à 33 MM USD (- 9% par rapport au premier trimestre), soit 3,8% de son capital.

Ce retrait exprime mieux que tout la poursuite de la descente en enfer de la finance chinoise, et l’effritement de la confiance étrangère, au vu des résultats des derniers mois. Notamment au Shandong, où deux Banques Commerciales de Yantai et Qingdao ont suspendu leurs paiements, et où des centaines de  jijinhui (« fondations »), coopératives de crédit rural nées des communes maoïstes, sont en faillite après avoir été pillées par les mairies.

• Le printemps 1999 voyait cette mini-révolution agraire : un début de déstockage (vente aux enchères) des réserves publiques de céréales. L’automne voit se profiler la même perspective en matière de graines oléagineuses. Avec 400000 t cet été, les Etats-Unis ont exporté moins de fèves de soja, et les cours atteignaient, fin juin leur niveau le plus bas en 27 ans, 2250Y/t.

Du coup, les prix américains rejoignent presque ceux du marché intérieur, rendant possible le déstockage de produits qui dorment en silo depuis 5 à 7 ans. Après 5 ans, la politique de prix élevés commence à fournir ses dividendes : la Chine est proche de l’autosuffisance en graisses végétales.

 


Pol : L’ex ‘roi’ de Pékin, libérable

Chen Xitong, l’ancien «patron» de Pékin condamné à 16 ans de prison pour avoir accepté 39MY en cadeaux durant son mandat de Secrétaire du Parti, voit poindre un rai de lumière à travers les barreaux de sa cellule: pour sa convalescence d’une crise cardiaque, il a été assigné en résidence surveillée.

En fait, tout, dans cette affaire, reflétait le traitement «spécial». A lui seul, le montant « retenu » de la fraude était passible de la peine de mort et en réalité, le délit portait sur un 2MMUSD, avec l’octroi illégal du feu vert du chantier «Oriental Plaza» (du magnat hong kongais Li Ka Shing). Politiquement, Chen-le-Pékinois (ancien proche de Deng), s’opposait à la prise de contrôle des pouvoirs par l’équipe «shanghaienne» de Jiang Zemin. Chen apparaît donc techniquement libérable – il pourrait «sortir» grâcié, pour le Cinquantenaire du régime.

Tout ceci s’inscrivant dans cette tradition jamais démentie du PCC, de traitement «bénin» des adversaires ayant mordu la poussière.

• Départ, le 2 septembre, du Président Jiang pour une tournée «Asie Pacifique» passant par Thaïlande, Australie et Nouvelle Zélande, où il rencontrera son homologue Bill Clinton en marge du sommet de l’APEC.

Une clôture du litige sino-US (suite au bombardement par l’OTAN de l’ambassade chinoise à Belgrade) est assurée : en fait, les négociateurs des deux bords se re-trouveront à Auckland (NZ) puis à Pékin pour boucler, sans doute, le dossier d’adhésion de la Chine à l’OMC. La Chine vient déjà d’accepter les 4,5MUSD offerts aux victimes de la frappe aérienne (elle en réclamait 7).

A noter la méfiance qui plane, de part et d’autre, sur la visite: tandis que Jiang avertit à l’avance les pays «APEC» de s’abstenir de «faire de la politique», certains de ces derniers (Australie, Malaisie, Singapour, Nouvelle Zélande et …Grande-Bretagne) se livrent à des exercices aéronavals en Mer de Chine du Sud.


Temps fort : Chine – Taiwan : l’écran de fumée

Peu de jours se passent, entre les deux rives du détroit de Taiwan, sans échange de messages belliqueux. Soutenue par Jiang Zemin, une orientation du conclave secret de Beidaihe, en août, vient de « fuir » : celle de gonfler le budget high tech de l’Armée Populaire de Libération (APL). Depuis lors, l’on parle de commandes à la Russie de 60 chasseurs-bombardiers Sukhoi 30, et peut-être de Su 35, d’un achat de deux sous-marins nucléaires « Typhon » (1MM USD) équipés de missiles balistiques SSN20, d’une portée de 8000 km.

L’APL, de son côté, exigerait de Zhu Rongji une hausse de son budget de 15% pour 2000 (Zhu parle de 10%). L’armée annonce aussi, en termes vagues, le test réussi d’un nouveau missile sol-air, et la fin d’exercices aéronavals en mer de Chine (nord de Taiwan)…

Peu impressionnée, Taipei vient de présenter son arsenal en vol, des Mirages 2000 aux IDF en passant par les F5 et les AT3. Tandis que le Kuo Ming Tang (KMT) enregistrait dans sa charte la formule qui blesse tant le Parti Communiste Chinois depuis 2 mois, celles de « relations (avec la Chine) d’État à État ». Impertinence calculée : Taipei s’est gardée d’inscrire la formule dans sa Constitution, ce qui établirait un casus belli et point de non retour.

Enfin, ces gesticulations de part et d’autre du détroit, pêchent par irréalité – peut-être parce qu’elles s’adressent aussi à leur propre camp. Ainsi les militaires continentaux veulent des crédits, moins pour une aventure qu’ils savent bien dangereuse et incertaine, que pour obtenir compensation de leur empire industriel confisqué en décembre 1998.

Tandis qu’à Taiwan, le KMT ne parvient pas à occulter une profonde division interne sur la succession de Lee Teng Hui, et doit affronter un délicat scrutin présidentiel en décembre 1999, face à une opposition pro-indépendance… Ajoutons la certitude du soutien yankee en cas de crise, et l’on obtient tous les ingrédients de cette « audace » et « sérénité » de façade du parti majoritaire taiwanais !

 


Petit Peuple : A Chaoyang, trop griller cuit….

• «Pour connaître un homme, visitez ses ordures»: les sociologues se sont livré à l’exercice sur Shanghai, et en ont tiré d’émouvantes conclusions. 1,2kg de déchets/ personne/ jour font accéder la  («tête du Dragon», surnom affectueux de la métropole du Yangtzé) à la dignité de «moyennement développée».

Par rapport à l’an passé, 10% en plus de verre et de papier révèlent plus de lecture (1973MM d’exemplaires de quotidiens imprimés/an, 165M de magasines), et une alimentation plus complexe. Les 1% seulement de cendres de charbon retrouvés dans les déchets, entonnent un hymne à la fée du gaz, qui règne désormais universellement sur les cuisines locales. La chute des peaux de pastèques en été, trahit l’adieu sans retour à un moyen traditionnel d’étancher sa soif. Enfin, les 1,5M de moellons, briques et rebuts de décoration intérieure éventent ce secret bien gardé : derrière leurs murs sans grâce, incognito, les Shanghaïens embellissent leur home sweet home!

• Pour le chauffeur pékinois, le feu rouge n’a souvent qu’une valeur indicative. Moins encore en cette période post-estivale et pré-fête nationale, où 200 de ces poutres lumineuses viennent d’être érigées, troublant les habitudes. Moins encore la nuit, où les forces de l‘ordre se font rares et où la concentration mentale reflue, après quelques verres…

Dans Chaoyang, les gardiens du code de la route se sont livrés à une lucrative expérience: postés, en tenues luminescentes, à chacun des centaines de feux du quartier, ils ont réalisé en deux heures le tableau de chasse du siècle: 842 feux rouges brûlés, avec 37 pochards dont quatre authentiques abonnés à la guigne, pincés sans leur permis –il était déjà confisqué!

 


Rendez-vous : 12 – 13 septembre : Sommet de l’APEC

6-9 sept Pékin: Salon International de l’e-commerce

6-12 Changchun: Salon de l’Automobile

7-10 Shanghai: Salon de la Machinerie Textile

8-12 Xiamen: Foire Internationale de l’investissement