Le Vent de la Chine Numéro 33

du 18 au 24 octobre 1998

Editorial : L’APL brade ses usines !

La décision avait été prise au sommet, dès août: il a fallu jusqu’à mardi 6 pour l’imposer, par un conclave spécial incluant Conseil d’État, Comité Central (CC) et Commission Militaire Centrale (CMC). Entre-temps, l’armée avait été célébrée deux fois pour son héroïsme face aux crues de l’été: l’ Armée Populaire de Libération (APL) a fini par accepter d’abandonner, d’ici fin décembre 1998, toutes ses activités lucratives, industrielles ou de services.

Il faut dire que le patrimoine de la  (xin changcheng, nouvelle grande muraille) est gros: flottes de taxis et d’aviation, hôtels de luxe, des positions dominantes dans le transport et commerce de gros, l’électroménager, les télécoms, l’informatique, dont elle contrôlait aussi l’import (en contrebande)…

L’ Armée Populaire de Libération (APL) accepte cette lourde perte (même si une bonne part de ces usines étaient en bout de course), moyennant un chèque, négocié entre Zhu Rongji et le Général en Chef Zhang Wan nian: hausse compensatoire du budget militaire. Zhu aurait cédé 30 MMY, face aux 80 demandés. Autre condition accordée: le maintien des privilèges (salaires et pensions) des officiers et soldats mis à pied. Mais à l’évidence, le pouvoir s’attend à des fraudes, de la part d’une APL maussade à l’idée de perdre son statut d’État dans l’État,source unique de sa fortune.

La région militaire de Canton vient, la première, de rendre les armes, en soumettant son offre préliminaire, sur le transfert de ses avoirs aux pouvoirs civils régionaux. Quand l’opération sera achevée, la source n°1 de distorsion de concurrence aura disparu, permettant une montée en puissance de la compétitivité. Quant à l’Armée Populaire de Libération (APL), elle sera revenue à sa vocation première, de défense, lui ouvrant la voie de la professionnalisation, et de la montée en puissance: Aura-t-elle perdu au change?


A la loupe : UN PLENUM, en écran de fumée

333 membres, à Pékin, ont tenu (12-14 octobre) un Plenum du Parti Communiste Chinois (PCC) sans lustre. Le sujet n°1 du jour, à savoir l’état de la réforme des entreprises et de l’administration (stoppée, pour cause de crise asiatique) ne figurant pas à l’ordre du jour.

Guère non plus de nominations -une seule, à la Commission Militaire Centrale (CMC), celle du Général Cao Guangchuan (proche de Jiang, qui passe pour rénovateur).

Au programme du Comité Central (CC), un seul sujet : le monde rural, dont le parti veut fouetter la croissance, par influx de capitaux, de technologies, et de démocratie (l’introduction d’élections de district et cantonales, déjà présentes au niveau du village), tout en luttant contre les taxes illégales, rien de bien neuf. Mais la sincérité du pouvoir, dans ce projet est indéniable:

[1] La Chine verte est à la traîne de la croissance, et de l’initiative politique depuis le lancement des grandes réformes de Zhu Rongji;

[2] « On ne peut pas développer un pays avec 900M de paysans » (sic, China Daily) : moderniser les campagnes, c’est détendre la pression d’émigration vers les villes, et le piège redoutable de la montée des émeutes rurales (v. p. 2);

[3] C’est aussi, pour Jiang, une chance de recréer ex nihilo dans les villages, des milliers de cellules du Parti aujourd’hui disparues (cf. VDLC n°32): une action chère au 1er Secrétaire, qui se considère comme maître des destinées de ce Parti unique aux 60M de membres.

 


Joint-venture : Des avions qui pouponnent

• Confrontée, comme toutes les compagnies asiatiques, à un problème de remplissage de ses avions, China Southern a trouvé une niche originale, en forme de berceau : des « paquets » promotionnels sur sa ligne Los Angeles-Canton, pour les familles venues adopter un enfant. Offre provisoire, comprenant vol direct, hôtel ("proche du consulat US à Canton, le seul en Chine à délivrer des visas immédiats»)…Et un 3ème billet retour!

• La HSBC va déplacer le siège de sa division "Chine", de HongKong à Shanghai. Ce qui n’est que justice, puisque cette institution fut fondée en cette ville, dont elle porte le nom; toutefois ce choix (déjà opéré par de nombreuses banques et firmes étrangères, tels BNP ou Elf Atochem, qui ont transféré sur Pékin leurs QG -« Asie ») peut s’avérer rentable, en améliorant la crédibilité du groupe auprès de la Banque Populaire de Chine (BPdC), accélérant ainsi l’obtention de la licence en RMB sollicitée pour Shenzhen, en sus de celle, déjà accordée à Shanghai Pudong.

 


A la loupe : SECTEUR PRIVÉ – en 1999, un NEW DEAL !

Avec 30 M de firmes, 70M d’emplois, 17,4 % de la production industrielle et surtout 37% des ventes au détail, le secteur privé fait figure d’un 1er de la classe, discriminé par l’État, qui protège "ses" entreprises : tout cela changera au 1er  janvier 1998.

Les firmes privées pourront importer, exporter (et donc produire) librement (sans passer par les régies d’export), se regrouper en chambres de commerce d’import-export, soumissionner aux marchés publics (chantiers), et accéder aux crédits, moyens de rénovation technique et de formation jusqu’alors apanage des Entreprises d’Etat.

Certaines régions vont plus loin : Canton suspend tous les handicaps imposés au privé, Shanghai veut supprimer les monopoles dans la construction auto, les charbons et aciers …

 De tout cela, le Ministère de la Coopération Economique et Commerciale (MOFTEC) attend une relance des exports, étrillés par la crise asiatique: +3,9% de hausse sur 9 mois de 1998, contre +24% en 1997…

Handicapé ou pas, le secteur privé chinois fait des choses étonnantes. Ainsi le groupe Fukui, à Canton, a repris de l’État, pour 41MUSD/an (sur 3 ans), un train (wagons et locomotive) et une ligne, transportant (bien moins cher et plus vite que les chemins de fer publics avant lui) les produits, textiles et ordinateurs notamment…

Ainsi, à Pékin, à l’aide de quelques  ingénieurs et techniciens, Keyuan, depuis 1992, s’est lancé dans la production d’ULM, avec 0,4MUSD de viatique et 2,4 de prêts:il dure toujours, avec pour seul handicap, non la crise, ni la concurrence publique, mais la rareté de l’espace aérien, trusté par l’Assemblée Populaire de Libération (APL)! La seule question, sur le privé, étant de savoir, après l’égalisation des chances, quand va-t-il dépasser, en production son concurrent étatique.

 


Argent : Des chalands internautes

• D’urgence, le bureau de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) s’apprête à amender la loi de la faillite de 1986. 13000 faillites ont eu lieu depuis 1996, dont une bonne part frauduleuses, les Banques, victimes, ne peuvent rien faire. Nouvelle mode: les entreprises d’Etat se déclarent en faillite "douce" choisissant des règlements plutôt que la loi, évitant ainsi des mises à pied massives, mais dilapidant discrètement le patrimoine public.

NB : un autre projet de loi passera en même temps, sur les valeurs boursières: projet "timide", évitant le cas des échanges hors-comptoir, dossier laissé à l’arbitraire du Conseil d’Etat.

• Près d’un MMUSD : c’est le montant que l’Administration d’Etat des devises étrangères (contrôle des changes) SAFE a pu récupérer, des avoirs d’Entreprises d’Etat illégalement exportés (en prévention d’une dévaluation du RMB). La SAFE avait promis son pardon aux firmes qui se dénonceraient "sous48h". Mais les experts de HongKong sont peu impressionnés : la masse des capitaux en fuite, pourrait se compter en 10 aines de MMUSD.

Témoin, les 37MMUSD de surplus commercial, les 27MMUSD d’investissement étranger direct, face aux 140MM USD des réserves en devises, stagnantes depuis janvier: on est loin du compte! A noter, dans le même ordre d’idées, l’annonce par la Banque Populaire de Chine (BPdC) qu’elle ne baissera pas ses taux d’intérêt en 1998: ceci risquant de décourager l’épargne, et de relancer le transfert de ses avoirs vers l’étranger!

• Ouverture depuis septembre à Shanghai du 1er supermarché virtuel, dit Billion Auspice Shopping Centre: déjà 12000 visiteurs y ont dépensé le montant modeste de 4127 USD. Mais les 1000 articles disponibles, décupleront d’ici Noël. Le problème n°1, étant moins la technique (le logiciel conçu par l’américaine Computer Assoc.), que la méfiance du chaland internaute, craignant pour ses yuan sonnants et trébuchants!

• A contrecoeur, le gouvernement finit par autoriser le crédit auto, par la Construction Bank, à Pékin, Shanghai, Canton. Ceci, pour relancer la demande, en baisse cette année de 50000 unités. Jusqu’alors, Pékin entendait réserver les crédits bancaires à la sauvegarde des Entreprises d’État.

• Sur les 520Mt de ciment produites cette année, 100Mt sont excédentaires: surproduction qui touche aussi la céramique et le verre plat (33,3M de caisses en trop en 1997, sur une production de 169M). Aussi l’administration prépare-t-elle des quotas sectoriels (530Mt ciment, 160M caisses de verre plat, 55M céramique creuse,1MM m² de carreaux),et un embargo sur toute nouvelle usine de verre plat d’ici ‘2000. Mesures assorties

 


Pol : Comment traquer les faux sauniers

• Deux projets de remodelage du réseau hydraulique arrivent, inspirés de la «sévère leçon» des inondations.

[1] A mi-cours du  (Chang-jiang, Yangtzé), grâce au dynamitage de 234 digues de moins de 22m, le lac Poyang va être ramené à sa taille des années ’50, quand il recevait 36 MMm3 (6MM de plus qu’à présent).

[2] Pour le  (Huanghe,) Fleuve Jaune, qui était à sec, l’an passé, durant 7 mois ½, sur 700 km de son bas cours, une loi entre en gestation, d’harmonisation de l’exploitation entre les provinces riveraines, et l’on ressort un vieux projet d’alimentation du fleuve par le Yangtzé), qui lui ne manque pas d’eau, on l’a vu cet été!

• On commence à y voir plus clair dans la presse sur les méthodes employées pour obtenir les incroyables victoires de l’été sur la contrebande: en dépêchant des limiers « de choc » (et non corrompus) aux sources du trafic.

Un exemple : Shantou, où 100 cas ont été débusqués, et pour 100MUSD saisis par une « task force »de douane, police et mairie. Modeste, le chef de la mission déclare: « Shantou demeure un des foyers des imports illégaux, le problème a cessé d’être sérieux« . Parallèlement aux fouilles et saisies, une action d’éducation a été menée, afin de familiariser les citoyens à un concept nouveau : la contrebande n’est pas innocente, mais une nuisance au détriment de tous!

• De source officieuse, le pays a connu, en 1997, plus de 10000 manifestations.

Au moins quatre, la semaine passée, regroupant de 120 à 1200 personnes, toutes parlant d’épargne ou de pensions détournées. Ainsi à Wuhan (Hubei), 120 pensionnés protestaient contre la réduction de moitié (à 100Y/mois) de leur retraite. De même, à Zhengzhou (Henan), 400 « ouvriers investisseurs » dénonçant la faillite frauduleuse de leur firme (et l’envol en fumée de leurs économies), tentaient de bloquer la ligne ferroviaire Pékin – Canton …

Ces incidents illustrant l’incapacité de ces régions pauvres à cotiser pour un régime d’assurance sociale.


Temps fort : CHINE/TAIWAN : de froides retrouvailles

"Candide": tel est l’improbable adjectif employé pour dépeindre l’esprit des retrouvailles entre Taiwan et Chine, à Shanghai (14-18/10), après 40 mois de brouille suite à une visite du Président taiwanais Lee Tenghui à son université aux USA. Les chefs de délégation Koo Chen-fu (SEF,Taiwan) et Wang Daohan (ARATS, continent) sont de vieux routiers (octogénaires) du tapis vert, et leurs discours très peu spontanés ont repris ceux qu’ils tenaient avant la rupture:

Pour Pékin, il faut négocier tout de suite,

[1] La réouverture des liaisons directes (poste/ télécom, mer/air),

[2] La fin de l’état de guerre,

[3] Le retour à la Patrie. Pour Taibei, il faut d’abord réapprendre à se parler, en discutant de petites choses -recréer la confiance…

Dans ces conditions les premiers entretiens ont vibré d’arrière-pensées: invitation de Wang à Taibei (mais refus de la date avan-cée par Koo, lors des élections de déc. au suffrage universel); accord aussi, "pour parler de diverses choses, y-compris économiques et politiques": on ne saurait être moins net!

De toute manière, les délégations avaient fort conscience de parler "pour la galerie" (des 400 journalistes présents): le vrai dialogue ne pouvant démarrer que sur la base de nouvelles propositions, permettant de doubler l’impasse du principe  (yi guo liang zhi, "un pays deux systèmes"), inacceptable pour Taiwan, ce que Pékin, depuis plusieurs mois, est réputé proche d’admettre. Dimanche, dernier jour, Jiang Zemin recevait Koo à Pékin. Mais politesses mises à part, rien n’est sorti de l’entretien: manifestement, le Parti Communiste Chinois (PCC) n’a pas encore clarifié, en son sein, les termes de sa nouvelle offre à Taibei.

 


Petit Peuple : De mariage, et de folie

• La Chine a de moins en moins peur d’aborder un sujet tabou, la folie. Cette semaine, on apprend que le nombre de malades mentaux est en hausse vive: ils seraient 15M de cas sérieux, soit 1,6% de la population, contre 0,98% dans les années 1980. Pourquoi? Stress de la vie de plus en plus compétitive? Femmes ou hommes abandonnés? A moins que ce ne soit, aussi, le mode de recensement, qui devient plus réaliste.

• A propos de mariage:

[1] On se marie fort, ces dernières semaines: les maîtres du  feng shui ("vent et pluie", c’est à dire chance astrale) trouvant beaucoup de jours propices à convoler. Cette saison est jugée bonne par la tradition, époque des greniers remplis, et du repos des paysans. Samedi 10 octobre, 200 couples se mariaient dans un parc pékinois, ouvriers modèles et héros des inondations, à ce titre pris en charge (moyennant, quand même, une obole de 300Y à une oeuvre caritative) par différentes autorités. Dimanche 18, 28ème  jour du 8ème  mois lunaire, est également de bon augure, du fait de l’accumulation des "8" (signe de richesse).

[2] Tout mariage signifie l’invitation, à un ou plusieurs banquets, d’au moins quelques 10aines de relations, à 300Y par hôte: prix de la face, et du lancement du couple dans la vie. Ce qui explique en partie, cette statistique venue droit de Canton : on se marie moins –14% des jeunes en âge de convoler, prennent leur temps, celui de poursuivre leurs études, d’avancer dans la carrière, ou tout simplement de jouir de la vie, comme dans tout bon pays développé.

Les divorces eux, (1,28% des gens mariés) ont monté de 35% depuis 1990.

[3] Le projet de nouvelle loi du mariage fait la majorité de la rue contre lui: pour 59% des personnes interrogées (sur Internet!), 3 ans pour obtenir leur divorce, le temps de vérifier "que l’affection mutuelle est bien éteinte! ", c’est abusif, ainsi que l’idée de pénaliser l’infidélité conjugale.

 


Rendez-vous : La Commission Européenne à Pékin

• 17-20 octobre, Changsha (Hunan) : Confusion d’investissement pour 14 provinces de l’intérieur (1000 firmes, 1500 étrangers                      attendus)

• 22-26 octobre, Pékin : China Transport 1998 (route)

• 22-23, Pékin : confusion Sino-étrangère sur les JV

• 29octobre-2novembre, Pékin, Shanghai : Jacques Santer, Président de la Communication Européenne, avec ses collègues Sir L. Brittan et O.de Silguy.