Le Vent de la Chine Numéro 30 (2020)

du 6 au 12 septembre 2020

Editorial : Offensive de charme en Europe

Après deux tournées européennes du Secrétaire d’État américain Mike Pompeo, essentiellement en Europe de l’Est, c’était au tour de Pékin d’envoyer ses émissaires à travers le « Vieux Continent », en amont du sommet virtuel Chine-UE le 14 septembre. L’objectif pour la Chine est de convaincre les Européens de ne pas s’aligner avec les Américains, au nom de valeurs communes comme le multilatéralisme. Mais au lieu de resserrer des liens distendus, ces visites ont plutôt illustré le fossé qui sépare Pékin de plusieurs capitales européennes.

Pour son premier voyage en Europe depuis le début de la pandémie, le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi, s’en rendu tour à tour en Italie, aux Pays-Bas, en France, en Norvège (non membre de l’UE) et en Allemagne. Il a été suivi de près par le chef de la diplomatie chinoise et membre du Politburo Yang Jiechi en Espagne et en Grèce.

Réputé pour ne pas mâcher ses mots, Wang Yi était chargé de mener une offensive de charme agrémentée de « saluts du coude » (cf photos). Cependant, plusieurs sujets sensibles se sont invités à sa tournée. Avec l’aide des Italiens, Wang accepta une rencontre à Rome avec son homologue canadien, dont le principal sujet a été l’arrestation de la directrice financière de Huawei en décembre 2018, suivie de celle de deux ressortissants canadiens en Chine. Depuis lors, les relations entre Pékin et Ottawa sont glaciales et les rencontres se font rares…

Puis ce fut au tour du dossier hongkongais de resurgir : au moment où Wang Yi s’entretenait avec son homologue italien, l’activiste Nathan Law, ayant fui l’ex-colonie britannique après le passage de la loi de sécurité nationale, prenait la parole devant le ministère aux côtés de l’ancien ministre des Affaires étrangères et d’un sénateur.

Interrogé lors d’une conférence de presse à Oslo, Wang Yi a prévenu que la Chine verrait d’un très mauvais œil l’attribution du Nobel de la Paix aux manifestants hongkongais. Pour mémoire, l’attribution de ce prix au dissident Liu Xiaobo avait conduit à six ans de gel des relations entre la Norvège et la Chine et un boycott du saumon norvégien.

À Paris, le ministre chinois avait eu l’honneur d’être reçu par le Président Macron, qui en profita pour souligner que la 5G en France serait de technologie « européenne » (Nokia, Ericsson). L’Allemagne reste donc le dernier grand marché européen à ne pas avoir tranché sur la question de Huawei…

Justement, c’est à Berlin que la visite de Wang dérailla, lorsqu’il proféra des menaces à l’encontre du président du Sénat tchèque Milos Vystrcil, en voyage à Taïwan – des propos immédiatement condamnés en conférence de presse par son homologue allemand Heiko Maas.

Hasard du calendrier, le même jour, l’Institut Australien de Stratégie Politique (ASPI) publiait un rapport intitulé « la Diplomatie Coercitive du PCC », identifiant huit types de menaces « non militaires » que la Chine utilise auprès d’autres pays afin de les inciter à changer leur comportement : menaces formulées par ses médias d’État, ses diplomates ou ses ambassades (la fameuse diplomatie du « loup combattant ») ; restrictions aux voyages officiels ; et détentions arbitraires et exécutions de ressortissants des nations ciblées. Les chercheurs recensent aussi des sanctions économiques ; des restrictions aux investissements ; des avertissements aux voyageurs ; et des boycotts populaires orchestrés par les médias et relayés par les réseaux sociaux. Selon la méthode de « la carotte et du bâton », le pendant de cette diplomatie coercitive s’exprime à travers celle du « carnet de chèques », consistant à des promesses d’aides et d’investissements en guise de récompense. Les sujets de contentieux sont variés : Covid-19, 5G, Xinjiang, Hong Kong, Taïwan, bouclier antimissiles THAAD, Dalaï-lama, Nobel de la Paix, mer de Chine du Sud… tous touchant aux intérêts fondamentaux du Parti.

Ces dix dernières années, l’institut a compilé une liste (non exhaustive) de 100 cas de « diplomatie coercitive » chinoise auprès de 28 pays étrangers : les pays européens arrivent n°1, suivis de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, puis des États-Unis et du Canada. Les 52 autres cas visent des entreprises étrangères, qui se sont pliées à des excuses publiques dans 4 cas sur 5. Les auteurs notent une forte accélération de ces tactiques depuis 2018 correspondant au début de la guerre commerciale sino-américaine – avec un regain de « menaces » durant la pandémie, « faute de pouvoir mettre en pratique d’autres moyens de coercition ». Selon l’ASPI, ces tactiques ne s’arrêtent que lorsque la Chine obtient ce qu’elle veut.

Officiellement, Pékin se défend d’employer de telles méthodes, « dont l’Occident a l’apanage ». Il est vrai que la Chine n’est pas la première puissance à utiliser ce type de moyens de pression afin de protéger ses intérêts. Mais la stratégie chinoise est unique dans le sens où elle ne limite pas à une approche d’État à État, et ne reconnaît pas officiellement le lien entre les sanctions qu’elle décrète et ses intérêts, préférant ainsi donner des prétextes (non-respect des règles sanitaires ou des problèmes d’étiquetage pour les restrictions aux importations par exemple)… Evidemment, les pays étrangers sont tiraillés quant à l’attitude à adopter : céder ou tenir tête ? D’après les chercheurs, seule une mobilisation coordonnée entre différents pays, au sein d’entités et blocs internationaux (UE, ASEAN, « Fives Eyes », G7, G10…) peut faire la différence.


Taiwan : Visite du président du Sénat tchèque : passade ou tournant ?

Le 30 août, Miloš Vystrčil, le président du Sénat de la République tchèque s’est rendu à Taiwan,  accompagné d’une délégation de 90 personnes, chefs d’entreprise, politiciens et artistes, dont notamment le maire de Prague, Zdeněk Hřib, qui a récemment coupé les relations de jumelage avec Pékin, pour protester contre les pressions chinoises. Miloš Vystrčil honore par là la promesse de son prédécesseur Jaroslav Kubera, dont la mort subite a empêché la réalisation du projet.

Il a été accueilli par le ministre des Affaires étrangères de la République de Chine, Joseph Wu, et a pu s’entretenir avec la Présidente Tsai Ing-wen. C’est la première visite d’un président du Sénat d’un État de l’Union européenne depuis la perte par la République de Chine du poste de représentation de la Chine à l’ONU en 1971.

On pourrait minimiser l’événement en disant qu’il ne s’agit « que » du président du Sénat et non pas du président du pays, Milos Zeman (celui-ci ayant fait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher la délégation de l’opposition libérale du pays de se rendre à Taïwan). On pourrait dire qu’il ne s’agit « que » de la République tchèque, un État d’Europe centrale, qui ne compte qu’un peu plus de 10 millions d’habitants et ne représente que 1,6 % du PIB de l’Union européenne (15 fois moins que l’Allemagne). On pourrait dire aussi que cette visite n’est qu’un coup de tête d’un politique de l’UE et qu’elle ne devrait pas changer le statut de Taïwan dont l’existence n’est toujours pas reconnue par la République tchèque elle-même. Pourtant, en raisonnant ainsi, on manquerait quelque chose…

La visite de Miloš Vystrčil à Taïwan est en effet à la fois significative et fort instructive. Elle doit être vue comme la concrétisation d’une tendance de fond qui traduit aussi bien l’échec de la « diplomatie du masque » de la Chine, que la réussite de la diplomatie post-Covid de Taïwan. Le Covid-19 aura été pour Taïwan un révélateur et un détonateur : sa réussite dans la gestion de l’épidémie, de façon démocratique, responsable et transparente, a permis de souligner sa différence avec la Chine et d’accroître son empreinte médiatique à un niveau inédit ces 30 dernières années. Inversement, si la Chine a su aussi juguler l’épidémie avec succès, l’opinion mondiale publique la tient pour responsable de négligences en censurant les lanceurs d’alerte. De plus, alors que Pékin avait insisté auprès de ses partenaires européens pour ne pas ébruiter les dons de masques faits par l’UE, Pékin a mis en avant son aide médicale de façon trop spectaculaire aux yeux de Bruxelles.

De plus, les menaces personnelles adressées par le ministre des Affaires étrangères de la Chine à l’encontre de Miloš Vystrčil ont été particulièrement mal perçues. Le 31 août, Wang Yi déclarait ainsi que « le gouvernement et le peuple chinois ne resteront pas les bras croisés, et leur feront payer un lourd tribut pour leur comportement à courte vue et leur opportunisme politique ». Ce à quoi, son homologue allemand, dont le pays exerce la présidence tournante de l’UE, répondait : « les Européens opèrent en politique étrangère et de sécurité très étroitement les uns avec les autres et nous traitons nos partenaires internationaux avec respect. Nous attendons cela d’eux aussi, et les menaces n’en font pas partie ». D’une certaine manière, la visite tchèque arrange bien Bruxelles : elle permet à l’UE de montrer sa déception face à une Chine qui, trop sûre de pouvoir vaincre, semble avoir perdu les moyens de convaincre…

En effet, la Chine est en train d’être pris au piège du discours nationaliste qu’elle inculque depuis 40 ans : à force de clamer que le pays ne doit pas oublier l’humiliation nationale de la guerre de l’Opium, le public maintenant attend des actes attestant de la fin de cette période de faiblesse historique. Or, c’est là le paradoxe : première puissance économique mondiale en termes de PIB à parité du pouvoir d’achat, première émettrice de CO2 et deuxième budget militaire au monde, la Chine ne peut à la fois se positionner en victime et multiplier les menaces. Quelle crédibilité peut bien tirer le mastodonte chinois de 1,4 milliard d’habitants à menacer le « lutin tchèque » de 10 millions d’âmes ?

Plus encore, en affirmant que la visite visait à soutenir les forces « séparatistes », la Chine fait précisément le jeu du pouvoir taïwanais en place qui a eu la malice et l’intelligence de situer l’évènement sur le plan de la « géopolitique des valeurs ». En plaçant sa visite sous les mânes de l’ancien président tchèque Václav Havel, et en reprenant le discours de J. F. Kennedy à Berlin, en clamant « je suis taïwanais », Miloš Vystrčil a fait de sa visite un symbole. Ce sur quoi a renchéri le porte-parole taïwanais en déclarant : « peuples de la République tchèque ou de Taïwan, nous avons tous une chose en commun, nous luttons tous les deux contre un régime autoritaire ». De plus, en affirmant que sa visite montre que « les valeurs sont plus importantes que l’argent », Miloš Vystrčil se permet même de faire la leçon à la France et à l’Allemagne : c’est affirmer également que les rapports entre Chine et Europe ne sont que purement économiques et sans aucune affinité culturelle ou sociopolitique.

Cette visite signale aussi pour la Chine le relatif échec de sa stratégie de séduction au sein de son forum « 17+1 », regroupant les pays européens d’Europe de l’Est et du Centre (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, République tchèque, Estonie, Grèce, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Macédoine du Nord, Monténégro, Pologne, Roumanie, Serbie, Slovaquie et Slovénie). Non seulement les promesses d’investissement via les « nouvelles routes de la soie » (BRI) tardent à se concrétiser, mais l’hétérogénéité des membres et la question première de la relation à la Russie ne peuvent que rendre l’initiative difficilement conclusive…

La Chine est donc au pied du mur : en réagissant trop fortement à la visite de Miloš Vystrčil, elle risque de s’aliéner davantage encore les Européens ; en ne réagissant pas, elle risque de voir l’initiative de Miloš Vystrčil créer un précédent. De fait, en plaçant les valeurs au-dessus du commerce, Miloš Vystrčil réveille une corde sensible chez les chancelleries européennes choquées par le traitement de Hong Kong et des Ouïghours.

Sans doute l’heure est venue de se demander si la volonté de « ne pas heurter la sensibilité chinoise » n’a pas pesé de façon disproportionnée sur la politique commerciale et étrangère de l’Europe… Quant à Taïwan, il ne semble pas que la visite de Miloš Vystrčil puisse être, à court terme, annonciatrice d’autres visites de ce niveau – mais cela ne signifie pas qu’un véritable renforcement des relations entre l’UE et la République de Chine ne soit en cours comme le montre, pour la France, l’exemple récent de la rénovation des frégates Lafayette et l’ouverture d’un nouveau « consulat » à Aix-en-Provence.

De fait, l’Europe n’a pas besoin comme les États-Unis de couvrir sa relation à la Chine de grands discours antagonistes de type « Guerre froide » ou de « clash des civilisations » mais sous les apparences policées, la réalité est la même : un refroidissement notable des relations qui devrait être durable tant que la « poutinisation » de Xi Jinping se poursuit.


Economie : Les inégalités dangereuses

Au cours des deux dernières décennies, les disparités de richesse ont toujours été un sujet tabou en Chine, et particulièrement ces derniers temps, alors que la pandémie de Covid-19 a impacté la population chinoise de manière inégale. L’économiste Thomas Piketty (cf photo) vient de l’apprendre à ses dépens. 

Lorsqu’il publia son best-seller « Le Capital au XXIème siècle » en 2013, un ouvrage argumentant que le capitalisme creuse les inégalités, celui-ci rencontra un succès immédiat en Chine où s’écoulèrent des centaines de milliers de copies. Le Président Xi Jinping lui-même y fit référence en mai 2016, prenant pour preuve les inégalités croissantes aux États-Unis et en Europe pour affirmer que les théories marxistes étaient plus que jamais d’actualité. Pourtant, avoir été cité par le Premier Secrétaire du Parti n’a pas suffi à exempter l’auteur français des contraintes de la censure.

En effet, la sortie programmée cette année de son nouvel essai « Capital et Idéologie », qui étend le spectre d’étude aux pays BRICS, a été retardée suite à la demande de son éditeur, le groupe Citic Press, de couper tous les passages traitant de la situation en Chine (au moins une dizaine de pages) – une requête rejetée par l’économiste.

Dans ce nouvel opus de 1 200 pages, Piketty souligne le paradoxe d’un système politique socialiste « aux caractéristiques chinoises » et d’une société hautement inégalitaire. Il dénonce par ailleurs l’opacité des données chinoises, « encore plus forte qu’en Russie », qui rend impossible de se faire une idée précise sur la manière dont les richesses du pays ont été distribuées ces dernières années. En 2006, le gouvernement central avait pourtant ordonné aux foyers aux revenus annuels supérieurs à 120 000 yuans de remplir une déclaration spécifique, mais la publication de ces données cessa cinq ans plus tard… De la même manière, la Chine ne rend plus public son coefficient de Gini, qui mesure les disparités des revenus au sein d’une population donnée, depuis l’an 2000, date à laquelle le pays a dépassé le seuil d’alerte de 0,40, craignant que cet index public ne contribue au mécontentement populaire. Depuis lors, le Bureau des Statistiques communique sporadiquement : en 2017, il situait toujours le coefficient au-dessus de 0,40, avec un pic à 0,491 en 2008. Des chiffres qui tranchaient avec un rapport d’une université de Chengdu qui l’évaluait à 0,61 en 2012.

Malgré ces difficultés d’accès aux données, l’économiste français a observé qu’au début des années 90, 10% des Chinois les plus riches détenaient 30% des richesses du pays. En 2015, cette part aurait augmenté pour atteindre les 41.5% – proche du niveau américain (47%). Et d’après l’économiste, il y a peu de signes de réformes concrètes pour lutter contre les inégalités sous le leadership de Xi Jinping : « emprisonner des oligarques et de hauts cadres qui se sont enrichis grâce aux pots-de-vin ne suffira pas à répondre au défi », commente-t-il.

Dernière lacune selon Piketty : l’absence de droits de succession. « Maintenant que deux tiers des capitaux chinois sont aux mains d’acteurs privés, il est surprenant de constater que ceux ayant bénéficié le plus de la privatisation et de la libéralisation de l’économie peuvent transmettre leur patrimoine à leur(s) héritier(s) sans payer aucune taxe ».

Naturellement, ces constats vont à l’encontre des objectifs affichés par le leadership chinois qui s’apprête à annoncer l’éradication de la grande pauvreté d’ici la fin de l’année (il ne restait officiellement que 5,5 millions de personnes gagnant moins de 2 300 yuans par an fin 2019), mais aussi avoir atteint son premier objectif centenaire d’une Chine devenue une « société modérément prospère » (un PIB de 2020 représentant le double de celui de 2010).

Ces victoires annoncées laissent sceptique He Keng (贺铿), ancien vice-directeur du Comité des Affaires financières et économiques de l’ANP (2008-2013) et membre de la « société Jiusan » (九三学社), un des 8 mini-partis tolérés par le Parti communiste. Interrogé lors d’un forum économique à Pékin le 23 août, le statisticien de 78 ans (cf photo) affirmait que la Chine ne peut se considérer comme « modérément prospère » alors que « seulement 300 millions de Chinois dépassent la barre des 30 000 yuans de revenus annuels (critère d’appartenance à la « classe moyenne »), contre 1,1 milliard considérés comme « pauvres », dont 600 millions vivant avec moins de 1 000 yuans par mois ». « Et à cause de la pandémie de Covid-19, l’écart de revenus entre ruraux et urbains s’est agrandi » ajoutait He Keng.

De fait, alors que les Chinois les plus riches ont réussi à sortir de la crise sanitaire presque indemnes financièrement, les plus pauvres ont du mal à boucler les fins de mois, ce qui pèse sur la demande domestique. Cela explique que les ventes de produits de luxe affichaient une croissance à deux chiffres dès le 2nd trimestre, tandis que le montant total des ventes au détail a chuté les cinq derniers mois (encore -1,1% en juillet), conséquence d’un pouvoir d’achat en berne et d’une certaine incertitude concernant l’avenir. Et le plan de relance de l’État chinois post-Covid-19 s’est essentiellement orienté vers les bons vieux investissements d’infrastructures, sans apporter d’aide directe aux ménages.

D’après Shen Jianguang, économiste chez JD Digits, le niveau de chômage chez les Chinois les plus modestes atteindrait près du double de la moyenne nationale qui est de 5,7%. Pour preuve, une étude menée en juin par l’université Beida auprès de 5 000 résidents urbains révélait que 11% d’entre eux avaient perdu leur travail et risquaient de retomber dans la pauvreté. De fait, si les citoyens les plus riches ont pu conserver leur emploi ou leur entreprise en travaillant de chez eux, cela n’a malheureusement pas été le cas pour les serveurs, coiffeurs, cuisiniers, agents de nettoyage, ouvriers… Et pour obtenir une maigre allocation chômage, encore faut-il détenir le hukou (permis de résidence) de la ville concernée, ce qui n’est pas le cas d’une écrasante majorité des travailleurs migrants, pourtant les plus menacés par des licenciements…

Cela pousse He Keng à penser qu’il est prématuré de considérer que d’ici la fin de l’année la Chine sera « modérément prospère ». « Les JO de Tokyo ont bien été reculés d’un an, pourquoi ne pas décaler cette échéance à un ou deux ans ? » argumente-t-il. Des propos qui ont fait le tour des réseaux sociaux avant d’être censurés… Toutefois, cette prise de position révèle le manque de consensus au sein de l’appareil à propos de cet objectif centenaire que le Parti s’est lui-même imposé, mais plus largement sur la stratégie à suivre pour relancer l’économie. Les récentes déclarations du Premier ministre Li Keqiang à propos des vendeurs ambulants vont également dans ce sens…

Ce qui est sûr est que le problème des inégalités devient trop important pour continuer à être ignoré. Comment espérer faire de la demande domestique le nouveau pilier de l’économie (tel que le stipule la nouvelle stratégie de « circulation duale ») lorsqu’une partie non négligeable de la population n’a ni emploi stable et rémunérateur, ni accès aux avantages sociaux ? Encore une fois, sans réformes et améliorations structurelles (droit du sol, hukou, protection sociale…), point de salut.


Education : Les descendants de Gengis Khan veulent sauver leur langue

Alors que les écoliers à travers la Chine entière ont repris le chemin de l’école en prenant bien soin de garder le Covid-19 à distance, en Mongolie Intérieure, certaines salles de classe sont restées vides.

En effet, une dizaine de jours avant la rentrée scolaire, une directive secrète du ministère de l’Éducation stipulait que dès le 1er septembre, les cours de littérature, histoire et morale dans les écoles bilingues ne seraient plus inculqués en mongol, mais en mandarin qui devrait d’ailleurs être enseigné aux enfants « dès le plus jeune âge » (6 ans au lieu de 7). La rumeur d’une telle décision courait déjà depuis début juin, sans que les parents osent y croire…

Officialisée le 26 août, cette nouvelle politique « d’éducation bilingue » mettant un terme à la méthode d’enseignement pratiquée ces 73 dernières années, a fait l’objet de nombreuses pétitions (cf photo) et déclenché des manifestations de plusieurs milliers de personnes un peu partout devant les écoles de la région, les parents refusant d’y envoyer leurs enfants en signe de protestation. Les professeurs ont également boycotté cette rentrée des classes, malgré les menaces des proviseurs. Quelques jours plus tôt, Bainuu, le seul réseau social en langue mongole accessible en Chine et qui compte 400 000 utilisateurs dans la région, avait été mis hors ligne. Déjà une centaine d’activistes et manifestants auraient été placés en détention ou en résidence surveillée. Ceux n’ayant pas encore été identifiés font l’objet d’avis de recherche avec récompense de 1000 yuans à la clé.

Les autorités locales ont bien tenté d’apaiser les tensions en expliquant que cette politique sera mise en place « progressivement » jusqu’en septembre 2022 et ne couvrira que trois matières. Mais les Mongols craignent qu’à terme tout le cursus ne bascule en chinois et que le mongol, déjà menacé, soit enseigné au même titre qu’une langue étrangère, le conduisant ainsi vers une extinction certaine au sein des frontières chinoises. En outre, parmi les 4,1 millions de Mongols vivant dans la région, principalement en zone rurale, moins de 40% des parents ont pu scolariser leurs enfants dans des écoles bilingues.

C’est ainsi que toute la société mongole se mobilise pour sauver sa langue, dernier symbole de son identité : des intellectuels et hommes d’affaires, aux lutteurs, bergers, conteurs, artistes, et même certains cadres et policiers d’ethnie mongole. Même l’ancien Président de la Mongolie voisine (2009-2017), Elbegdorj Tsakhia, a tweeté son soutien aux manifestants, en rappelant que « le droit d’apprendre sa langue natale est inaliénable ».

Plusieurs vidéos des manifestations ont été publiées sur Weibo, avant d’être censurées, poussant plusieurs internautes à s’interroger : le Président Xi ne serait-il pas allé trop loin dans sa politique d’assimilation culturelle ? « Les Mongols ont toujours été amicaux et ils nous ont aidés à vaincre le Kuomintang (…). Imposer une telle politique dans le climat actuel est inapproprié. Cela pourrait créer de sérieux conflits internes et la Chine pourrait être la cible de critiques de la part de la communauté internationale. Ne souffre-t-il [Xi Jinping] pas de paranoïa ? », interrogeait l’un d’entre eux. « Cette décision va nous retomber dessus et pourrait inciter les Tibétains, les Ouïghours, les Hongkongais et les Mongols à se lever contre nous comme un seul homme », mettait en garde un autre.

Historiquement, le Parti a toujours été partagé entre promouvoir plus d’autonomie ou au contraire davantage d’assimilation de ses 55 minorités ethniques. Depuis 1984, la loi stipule que les langues des minorités doivent être « valorisées et respectées ». Mais dans les faits, ces garanties juridiques peinent à masquer les pratiques de sinisation forcée. Et depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, la tendance s’est accélérée. Que ce soit au Tibet, au Xinjiang ou à Hong Kong (réforme à venir), la logique est la même : en procédant à une refonte de l’éducation, des programmes comme de la langue d’enseignement, la jeunesse finira par abandonner ses aspirations politiques et croyances religieuses au profit d’un fort sentiment patriotique, attirés par la promesse de meilleures opportunités professionnelles.

Dans chacune de ces régions « autonomes », ces réformes ont été appliquées il y a déjà plusieurs années, dans un contexte extrêmement tendu. Ce n’est pourtant pas le cas en Mongolie Intérieure, qui fait figure « d’élève modèle ». En un temps record (quelques décennies), le transfert massif de population Han vers les villes de la réginon a conduit les Mongols à ne plus représenter que 17% de la population. Au Xinjiang, les Ouïghours représentent près de la moitié des habitants, tandis qu’au pays des neiges, 90% sont Tibétains. Et mis à part des incidents liés à la saisie des terres des bergers souvent pour des projets miniers et des affaires de corruption (de cadres Hans cette fois), la région n’a connu ni émeutes ni vague d’immolations. Cela ne veut pas dire que les rancœurs à l’encontre du gouvernement n’existent pas, notamment à propos des dégâts environnementaux engendrés par le boom minier ou du fait que la croissance économique ait bénéficié de manière disproportionnée aux Hans, mais elles ne se sont pas manifestées de manière violente depuis 2011…

Si cette réforme scolaire est si sensible, c’est qu’à l’inverse du Tibet ou du Xinjiang où les pratiques religieuses sont un vecteur crucial d’identité, en Mongolie Intérieure, c’est l’éducation qui remplit ce rôle. D’une certaine manière, on peut comparer ces écoles bilingues mongoles aux monastères tibétains ou aux mosquées au Xinjiang. Bien conscient de l’importance symbolique de l’enseignement du Mongol dans la région et du risque d’opposition des locaux, le gouvernement central a tout de même choisi de mettre en œuvre cette réforme, signe de sa détermination. Les chances de marche arrière sont donc extrêmement minces… Mais la manière dure a un prix : en voulant absolument harmoniser le visage du pays par crainte que la légitimité du Parti ne soit menacée, le gouvernement de Xi Jinping a réussi à déclencher pour la première fois depuis une décennie une crise ethnique en Mongolie Intérieure. Il y a quelques années, le Président n’avait-il pas lui-même mis en garde contre les revers auto-infligés ?


Petit Peuple : Jinjiang (Jiangsu) : Les débuts mouvementés de Feng Hewei (2ème partie)

Après la naissance du petit Hewei en juillet 2015 à Jinjiang, les grands-parents paternels Zhaoyan et Yuanlong donnèrent de leurs personnes pour aider Rudai comme Xiaoming à élever leur bébé.

En effet, les deux jeunes parents, désormais pris par un emploi fixe, ne pouvaient pas s’en occuper. Chaque matin, à peine la première tétée prise, le nourrisson était confié à la grand-mère par les parents qui venaient le reprendre le soir venu. Plus tard, quand l’enfant fut sevré, ils le laissèrent au vieux couple en permanence. Pendant que Yuanlong s’occupait du petit, Zhaoyan, contremaître dans une usine de motocyclette, devait travailler double pour faire face à cette charge nouvelle…

Les jeunes ne reprenaient le petit que le week-end, et de temps en temps dans la semaine. Ils ne s’annonçaient jamais. Mais cette vie en dent de scie pesait sur l’enfant, écartelé entre ses deux foyers : quand ses parents étaient à la porte, il se réfugiait dans les jupes de sa grand-mère et s’y agrippait en silence. Un jour, la grand-mère osa tenter d’en parler avec Rudai, lui demandant de faire son choix, reprendre l’enfant ou le laisser. Mais Rudai répondit rudement : « si vous n’êtes pas contents, on reprend Hewei pour de bon – il est à nous » – sur quoi la pauvre Yuanlong et même son mari s’étaient tus, humiliés! 

Entre les trois générations dans la famille, la vie se poursuivit cahin-caha, dans la tension et les non-dits.  Un matin du 14 janvier 2018, les parents de Hewei vinrent le prendre -comme d’habitude sans préavis-, promettant de le ramener en fin de journée. Mais le soir venu, les vieux attendirent en vain leur retour. Pour ne pas risquer une colère de leur fils, ils ne dirent rien, et attendirent. Ce n’est que le 3ème jour qu’ils osèrent venir sonner chez Rudai et Xiaoming où ils furent accueillis par un silence de glace. Ils appelèrent alors le propriétaire à l’étage du dessus : ce dernier leur déclara n’avoir plus vu les jeunes depuis le 14, jour où ils étaient passés prendre l’enfant. Avec sa propre clé, il ouvrit l’appartement de location, et le spectacle qui s’offrit alors à eux les laissa bouche bée : désert, le logis était dans un état de saleté indescriptible, et ses meubles et sa vaisselle brisée jonchaient au sol, comme s’ils avaient été le champ d’une bataille conjugale des mois auparavant.

Seule chose sûre, le petit fils avait été enlevé par les jeunes parents qui leur avaient « 混淆黑白 » ( hùn xiáo hēi bái – raconter des bobards). Cette disparition, et la trahison évidente, abasourdit les grands-parents, mais réveilla aussi leur esprit de résistance : il y avait urgence, il fallait retrouver ce petit. Suivant la suggestion de sa femme, le grand-père alla d’abord chercher leur soignant, qui connaissait la moitié de la ville. Hélas, ce médecin aux pieds nus n’avait rien entendu. Mais il promit d’activer ses réseaux et de les relancer dès qu’il saurait quoi que ce soit.

Ensuite, ensemble, les deux vieux allèrent sonner à toutes les portes du voisinage. Ils recopièrent des centaines d’affichettes de disparition, qu’ils allèrent encoller aux poteaux et aux arrêts des bus. Zhaoyan appela les journaux, les portails internet, le Journal de la jeunesse, le Nánfāng Zhōumò (南方周末) et CCTV – quelques journalistes publièrent leur histoire.

Puis débuta l’interminable attente. De rares témoignages se proposaient, la plupart fantaisistes, certains à titre onéreux. L’un prétendait avoir vu le couple et l’enfant à Canton, l’autre savait leur adresse à Wuhan, l’autre aurait vu le trio sur la benne d’un camion en route pour Chongqing… D’autres leviers plus sérieux apparaissaient, telle « Bǎobǎo huí jiā » (宝宝回家, « Bébé rentre à la maison »), l’agence bénévole nationale qui entra Hewei dans son système informatique, avec photos et fiche signalétique, prête à détecter toute adoption suspecte correspondant aux données.

Pourquoi, durant tout ce temps, Zhaoyan et Yuanlong ne contactèrent-ils pas la police ? Parce que la grand-mère tenait malgré tout à ne rien faire qui porte son fils Rudai en prison. Et puis tant que l’un ou l’autre restait absent, on ne pouvait dire pour sûr ce qu’il s’était passé – Rudai et Xiaoming étaient peut-être innocents, qui sait ?

Pendant tout ce temps, les grands-parents gardaient leur résilience, s’encourageant mutuellement pour ne jamais baisser les bras. Leur existence n’avait plus qu’un sens, un espoir ténu : rechercher et retrouver leur petit. Un jour, ils en étaient sûrs, sortirait le détail salvateur… Durant leurs insomnies chaque nuit leur apparaissait Hewei dans ses attitudes d’avant sa disparition, avec sa chaleur enfantine et sa tendresse : comment un jour, il avait dit au grand-père qui enfourchait sa moto : « conduis doucement, pas d’accident, hein ? ». Zhaoyan se rappelait aussi comment chaque soir après dîner, le petit allait lui porter son mug de thé dans son fauteuil, où il le sirotait précieusement, inconscient du drame qui approchait à grands pas…

Après un an d’attente stérile, vint enfin le miracle inespéré. Le médecin de l’ombre réapparut, porteur d’une nouvelle qui fit l’effet d’une bombe : Rudai leur fils était en détention préventive à Fuzhou, pour trafic de stupéfiants. Aussitôt, Zhaoyan bondit au tribunal, pour obtenir un droit de visite. La piste du petit-fils qui passait par Rudai, était de nouveau visible, fraîche. Le grand-père y croyait dur comme fer : une fois face à son fils, il saurait comment retrouver l’enfant -d’une manière ou d’une autre !

L’espoir sera-t-il une nouvelle fois déçu ? Plus qu’une semaine à attendre, cher lecteur, et promis, vous saurez tout !


Rendez-vous : Semaines du 7 septembre au 4 octobre
Semaines du 7 septembre au 4 octobre

9-11 septembre, Shenzhen : ELEXCON, Salon chinois de la haute technologie notamment relative à l’IA, la maison intelligente, l’internet des objets, les véhicules intelligents, les systèmes intelligents de l’industrie et les nouvelles énergies

12-14 septembre, Canton : DPES Sign Expo China, Salon chinois international des équipements de publicité

14-16 septembre, Shanghai : Testing Expo, Salon du test, de l’évaluation et de l’ingénierie de la qualité dans les composants automobiles

15-19 septembre, Shanghai : CIIF – China International Industry Fair, Foire industrielle internationale de Shanghai (métal et machine-outil, Automatisation, Technologies de l’environnement, de l’information et des télécommunications, Énergie, Technologies aérospatiales)

16-18 septembre, Shanghai : RUBBERTECH, Salon dédié aux machines de traitement du caoutchouc, produits chimiques, aux additifs et matières premières

17-19 septembre, Shanghai : Sign China, Salon chinois international de l’enseigne et de la publicité

17-19 septembre, Canton : PHARMCHINA, Salon international de l’industrie pharmaceutique

18-20 septembre, Pékin : China Horse Fair, Salon chinois international du cheval, sport et loisirs

18-20 septembre, Canton : China Pet Fair, Salon international de l’animal de compagnie en Chine

18-21 septembre, Fuzhou : China Space Conference, Conférence sur les technologies et la coopération spatiales

21-23 septembre, Shanghai : China EPower & GPower, Salon chinois international de la génération d’énergie et de l’ingénierie électrique

23-25 septembre, Shenzhen : CIEFair – China International Internet & E-Commerce, Salon international de l’internet et du e-commerce

23-25 septembre, Chongqing : CAPE – Chongqing Auto Parts Exhibition, Salon chinois international des pièces détachées et des services automobiles, des nouvelles énergies et technologies pour l’automobile

26 septembre – 5 octobre, Pékin : Auto China, Salon international de l’industrie automobile

27-29 septembre, Shanghai : SIEE Expo – Shanghai International Early childhood Education Expo , Salon international de l’éducation et des fournitures pour la petite enfance

28-30 septembre, Shanghai : SIAL, Salon international de l’agroalimentaire

10-12 octobre, Shanghai : CBME – Children Baby Maternity Expo, Salon international de l’enfant, du bébé et de la maternité

30 septembre – 3 octobre, Canton : GILE – Guangzhou International Lighting Exhibition, Salon mondial des LED et des technologies d’éclairage