Le Vent de la Chine Numéro 19-20 (2018)

du 13 mai au 2 juin 2018

Editorial : Grondements de la montagne – l’avenir annoncé

Le grondement qui s’amplifie entre Chine et Etats-Unis va bien plus loin qu’un conflit commercial. Suite à l’ultimatum lancé par Donald Trump, on entend avec surprise certains observateurs chinois soutenir certaines exigences du Président américain. Au-delà des accords commerciaux, ils attendent l’avènement d’un principe aujourd’hui rejeté par le pouvoir chinois, d’une économie libérée de la gestion tatillonne des groupes directeurs du Parti, des objectifs votés au Comité Permanent. Ils veulent la concurrence avec les groupes étrangers sur leur propre terrain : un système capable de récompenser les meilleurs et non plus les mieux pistonnés, la prise de risque, et non plus l’obtuse discipline. Pour ces observateurs, l’avenir est plus vers l’ouverture, et dans une liberté qui favorise initiative et innovation. C’est donc au fond la tenue d’une promesse du régime, de réforme et d’ouverture du marché, faite dès 2012 qu’ils réclament.
Aussi le vice-Premier ministre Liu He se rendra à Washington le 15 mai pour négocier avec S. Mnuchin, de nouvelles règles du jeu. Liu He n’est pas hostile à la mise à l’écart des règles inéquitables imposées par son pays au monde extérieur. Attendue depuis des années, la confrontation n’était possible qu’avec les USA, seuls capables de s’opposer à la Chine. Il faut bien l’admettre, elle ne se réalise que sous un Donald Trump rude et direct. Elle n’a pas été possible sous un Barack Obama trop conciliant. 
Quoique absent de ce tapis vert, le reste des nations en est partie prenante. L’Union Européenne, premier partenaire commercial de la Chine, reste sans défense face à elle, du fait de son insistance à discuter avec elle avec 28 voix différentes, aux intérêts contradictoires. Or, une mission du Parlement européen à Pékin vient de saluer l’« engagement politique » du pouvoir à « renforcer l’accès des firmes de l’UE sur ses marchés automobiles et financiers ». Bien sûr, ce sont les mêmes promesses faites aux USA pour réduire leur déficit commercial. Mais ceci est là pour rappeler que les privilèges présents et futurs accordés aux Etats-Unis, vaudront pour tout le monde : erga omnes.

Autre signe de changement de paradigme économique : les géants du e-commerce voient soudain leurs performances baisser. Au dernier trimestre, JD.com constate un ralentissement de la croissance de son chiffre d’affaires, et Alibaba voit ses marges fondre de 30%. Ceci est dû à de lourds investissements en logistique (commerce du frais alimentaire, stockage, livraison) et l’entrée sur de nouveaux marchés  (comme la livraison de repas). Il y a aussi ces nouveaux concepts qu’ils ont développés mais qui ne sont pas rentables, telle la livraison gratuite de produits frais « sous 30 minutes » et qui contraint le livreur de ne servir qu’un client à la fois. Mais c’est le prix à payer par ces groupes pour devoir inventer le commerce du futur, par hybridation des « big data » et de la grande distribution classique.

Des Philippines, on apprend que la Chine, du fait de l’excellent climat politique entre les deux pays, s’apprête à octroyer 300.000 permis de travail aux nationaux de l’archipel voisin. Avec les 200.000 filipinas estimées déjà présentes (travaillant au noir au sud de la Chine), cela donnera donc, sous un à deux ans, un demi million de citoyens du pays de R. Duterte, employés comme infirmier(e), cuisinier(e), musicien, personnel de maison ou professeur d’anglais, à des salaires plus élevés qu’à Hong Kong et Singapour, entre 1100$ et 1500$ par mois. 
En effet, la Chine de 2018 peut se permettre l’immigration de petites mains hautement qualifiées et à faible prix. Mais l’impact culturel des nouveaux entrant(e)s sur la population ne sera pas à négliger. Car si une part d’entre elles, travaillera au service des familles les plus aisées comme amah, à l’instar de leurs compatriotes à Hong Kong, bon nombre d’autres, diplômés, deviendront professeurs dans les écoles privées, apportant un message éducatif en forme d’air frais du large.  


Politique : Croisade pour Marx, Croisade pour l’Etat

Le 5 mai, le 200 ème anniversaire de Karl Marx fut célébré, en Chine plus qu’ailleurs. Dès le 4 mai, au Grand Palais du Peuple, le Président Xi Jinping faisait de sa théorie son propre credo ultime : « aucun enseignement, martela-t-il, n’eut d’impact plus profond sur l’histoire humaine ». Embarquée dans une campagne de retour aux sources rouges, la CCTV programmait en heure de grande audience une série de 5 épisodes intitulée « Marx avait raison » (马克思是对的). Alternant plateaux et reportages, face à un parterre d’étudiants à la mine sérieuse, la série (cf photo) compte bien remettre dans l’air du temps celui qui est « le plus grand penseur des temps modernes » selon Xi.

Dans ce programme, les erreurs du socialisme russe sont gommées une à une  même la chute de l’URSS. Jiang Hui, communiste bien en cour, absout le « socialisme scientifique » de toute responsabilité, et impute au contraire l’effondrement de l’URSS à la trahison de ce concept par un Gorbatchev velléitaire, ébloui par  les chimères du capitalisme occidental.

Parallèlement, Jack Ma, PDG d’Alibaba, suggère que les fautes de l’économie planifiée sous Mao, n’étaient imputables qu’à l’absence à l’époque de données, des « big data », pour permettre aux planificateurs de prendre les bonnes décisions. Un tel avis a de quoi surprendre venant d’un homme qui passe d’ordinaire non pour un idéologue, mais pour un entrepreneur de talent. Avis opportuniste sans doute mais qui se comprend, avec la pression toujours plus forte que l’Etat exerce sur les groupes privés de l’internet, selon le principe décrié par les milieux affaires : « l’Etat avance et le privé recule » ( 国进民退, guójìn míntuì  ). En effet, le régime privilégie ces groupes de l’internet : via les banques et la bourse, il leur assure une très large priorité d’accès au crédit. Mais en échange, il attend d’eux une obédience aveugle, il leur prescrit des règles, ainsi que des missions : chacun reçoit un quasi-monopole d’un nouveau marché à développer.

Ainsi, Tencent et Alibaba déploient leurs systèmes de notation morale des clients, préludes au « crédit social » que l’Etat veut avoir mis en place d’ici 2020. Alibaba travaille sur le design urbanistique des futures villes intelligentes (« smart cities »), Tencent se lance dans le diagnostic médical et Baidu investit dans la voiture autonome…

En avril, Xi Jinping affirmait que les sciences de l’internet sont « le terrain le plus dynamique et prometteur de l’intégration civile-militaire ». Tencent déclarait ensuite sur son site (puis effacé) que ses services en nuage (cloud) « assistent le Parti dans son travail de standardisation et de régulation de sa construction intérieure ». De son côté, Alibaba aide la police dans la gestion du trafic urbain. Son rival JD.com assiste l’armée en matière logistique et de fournitures aux armées. WeChat et Alipay sont sur le point de permettre le remplacement de la carte d’identité par leurs applis et comptes-clients sur les smartphones…

Autant d’exemples de coopérations étroites entre l’Etat et ces groupes. Ils en bénéficient énormément, créant des marchés nouveaux dont ils sont les maîtres, mais il leur manque un droit essentiel, pour disposer d’une bonne gouvernance sur le long terme : le droit de dire non, comme peuvent le faire les firmes en Occident, par le biais des tribunaux.

Certaines entreprises sont d’ailleurs punies pour indiscipline, tel Bytedance, fournisseur de contenus en vogue parmi la jeunesse, contraint en avril de fermer son site de blogs humoristiques et d’expurger ses autres applis de contenus jugés « vulgaires ».

D’autres compagnies hors de l’internet, ne sont pas épargnées : CEFC, groupe pétrolier privé dont le PDG Ye Jianming a « disparu » en mars, voit cassé son contrat signé il y a 12 mois, de reprise de 20% de Rosneft (Russie) pour 9 milliards de $.

Cette main lourde du régime est-elle bonne pour l’économie ? Force est d’admettre que la Chine présente un bilan enviable, une croissance annuelle autour de 6,5%. Mais la croisade de « renationalisation » a son prix : les consortia qui se targuaient d’une croissance de 6% en 2005, n’en font plus que 4,7% en 2017, et N. Lardy (du Petersen Institute for International Economics) estime à 2% la croissance perdue en détournant des ressources qui hier allaient au privé, vers le secteur public.

Le véritable souci attendu par les économistes, sera sur le long terme, si cette gouvernance se poursuit : c’est ce que Xi Jinping appelle la « réforme du marché de l’offre », au détriment de la loi de l’offre et la demande. Pour Tai Ming Cheung, professeur à l’Université de San Diego, « laisser l’Etat choisir les vainqueurs et les perdants, n’est pas soutenable à long terme ». Par exemple, le régime investit à fonds perdus dans les semiconducteurs, sans parvenir à la qualité et la profitabilité internationale. Quant au programme « made in China 2025 », qui vise à imposer à la planète le rattrapage technologique de la Chine en tous secteurs, il est le point de clivage avec les Etats-Unis, cause première de la guerre commerciale qui gronde. 

Un dernier élément un peu négligé dans cette affaire, est le client. Dans la bataille chinoise des derniers mois contre les « fake news » (qui se confondent en Chine avec toute pensée déviante), WeChat, et son milliard d’utilisateurs, admet avoir gommé jusqu’à présent 500 millions de publications, soit en moyenne une suppression pour deux clients. Le rapport public dont est issu ce chiffre, cite un sondage où 53% des usagers « redoutent des fuites de leurs données ». Li Shufu, PDG du groupe automobile Geely, dénonce même publiquement le piratage de ses propres données sur son compte WeChat. Ceci pose ouvertement la question de la confiance entre public, consortia et l’Etat. Mais sans confiance, comment encourager l’initiative privée, et l’innovation ?


Diplomatie : Trois sommets en un

Dans un monde qui change, les temps sont incertains, l’avenir n’est pas tracé. Mais la Chine, au moins en Corée du Nord, a sa place assurée : des années de patient soutien lui permettent aujourd’hui d’y imposer sa force tranquille.

Les 7-8 mai, pour la seconde fois en six semaines, Kim Jong-un et Xi Jinping se sont retrouvés secrètement – cette fois à Dalian (Liaoning) à mi-chemin entre leurs deux capitales. A nouveau, cette rencontre a pris le monde par surprise, venant d’hommes qui depuis leur arrivée aux affaires, ne cachaient pas leur inimitié – Kim ayant même fait exécuter deux membres de sa famille, notoirement proches de Pékin.

Désormais à Dalian, Kim et Xi affichaient une sympathie de façade, se donnant du « camarade Président », du « camarade Secrétaire général ». De retour chez lui, Kim se réjouissait de l’embellie : à l’évidence, il venait d’obtenir ce qu’il voulait de Xi sur la reconstruction de son pays. Il obtenait aussi de la face : Xi, leader très sollicité, avait trouvé deux jours à lui consacrer en tête à tête, imposant ainsi l’image d’un partenariat d’égal à égal. Au passage, cette formule de rencontre était celle que Xi venait d’inaugurer lors de son escapade à Wuhan avec l’indien N. Modi.

Enfin, Kim obtenait surtout la garantie implicite de ne pas se retrouver seul face aux Etats-Unis, sur l’épineuse question du désarmement. Donald Trump revendique une dénucléarisation à étapes accélérées, « de six mois à un an ». Pour sa part, Pékin attend en contrepartie le départ des 23.000 GI déployés en Corée du Sud depuis 1953. Kim lui, voudra en tout cas diluer le processus en années de « phases synchronisées ». Or entre ces avis et rivalités, Kim a des chances de choisir sa solution à la carte !

En intercalant son propre sommet entre celui de Kim et Moon Jae-in (27 avril) et celui de Kim et Trump du 12 juin à Singapour, Xi vient donc de marquer un point. Six heures après la rencontre, Xi s’entretenait avec un Trump anxieux de faire le point, lequel venait d’envoyer dare-dare son négociateur en chef Mike Pompeo à Pyongyang.

Dans cette course au dialogue, d’autres pays peuvent craindre de se trouver dépassés. Au nom de la Corée du Sud, le Président Moon Jae-in avait remis à Kim le 27 avril une offre d’intégration économique de la péninsule. Il proposait trois ceintures transfrontalières—une sur la côte Ouest, à vocation logistique avec la Chine, une sur la côte Est, de coopération énergétique avec la Russie, et une sur la frontière intercoréenne, pour le tourisme. Les deux Corées seraient en outre reliées par un TGV  jusqu’à Pékin, à l’image d’une « rou-te de la soie » chinoise—mais d’une ligne essentiellement nationale et autocentrée. Or, en enfonçant comme il vient de le faire la porte des palabres, Xi vient de rendre illusoire tout rêve de retrouvailles limitées à « la famille ».

L’autre pays ayant des soucis à se faire vis-à-vis du retour de la Corée du Nord dans le camp des nations, est le Japon. À Tokyo le 9 mai, pour la 1ère fois en 7 ans, Shinzo Abe le 1er ministre rencontrait son homologue Li Keqiang et le sud-coréen Moon. C’était d’abord pour s’assurer que son pays serait bien associé aux négociations, et conserverait son influence sur la péninsule et la région. Abe avait de quoi craindre : dès ce sommet de Tokyo, Li Keqiang proposait de convertir leur « trilatérale» en un « quadrille », en ajoutant Pyongyang. Mais ces leaders allèrent aussi plus loin : ils s’efforcèrent d’enterrer 7 années de point mort dans les échanges, de ranimer les coopérations à l’arrêt, renforcer les communications entre armées, et relancer entre eux le projet d’accord de libre-échange.

Tant à Dalian qu’à Tokyo, une autre zone du monde fut abondamment évoquée : l’Iran. Les leaders savaient que Trump déchirerait l’accord de non-prolifération nucléaire liant le monde à ce pays. Pour Chine Japon et Corée du Sud, cela avait deux conséquences : Trump pourrait à l’avenir briser à son tour le futur accord de dénucléarisation de la Corée du Nord, et menacer de sanctions leurs entreprises qui commerceraient avec l’Iran. Or pour la Chine, tout lâchage de ce vieil allié iranien, pôle stratégique du Proche-Orient, était impensable. Xi Jinping déjà, afficha sa volonté de travailler avec les Européens pour tenter de sauver l’accord avec l’Iran.

Sur le troisième grand front diplomatique, entre Chine et Etats-Unis, les nouvelles sont variables. On voit s’accumuler les points de friction. La tutelle chinoise de l’aviation CAAC met en demeure 36 compagnies aériennes de spécifier que Hong Kong, Macao et Taiwan sont chinois—sous peine de sanctions. Une initiative cocardière qualifiée par Trump « d’ ânerie orwellienne». À l’OMC, les USA bloquent la nomination de deux juges d’appel : Pékin et Washington s’accusent mutuellement de « prendre l’OMC en otage » .

À Shenzhen, à court de pièces importées d’Amérique, le groupe ZTE  ferme ses chaînes de smartphones. Dans les ports chinois, les douaniers bloquent les arrivées de voitures made in USA (Ford, BMW, Mercedes), et de porc américain. Idem, les acheteurs chinois de soja des USA se tournent vers l’Argentine ou le Canada.

Pourtant, rien n’empêche une Chine obstinément optimiste de qualifier la ronde de négociations des 3 et 4 mai à Pékin comme un « succès », « le brouillard s’est levé ». Liu He, vice-1er ministre part pour Washington le 15 mai pour un second tour de négociations. Le but : trouver l’accord avant juin, date du début des rétorsions américaines. Trump, au demeurant, conversait aimablement le 8 mai avec son « ami Xi ». Pour l’instant, ce cocktail de menaces et d’amitiés, chez ce personnage cyclothymique, passe manifestement plutôt bien côté chinois. Pékin se retrouve ainsi aidée à négocier son plus important virage en stratégie économique, depuis l’entrée à l’OMC en 2001. 


Politique : Sic transit Sun Zhengcai

Douze mois plus tôt, Sun Zhengcai, 53 ans, était encore considéré comme une étoile montante. Siégeant au Bureau Politique, il dirigeait Chongqing et prétendait au trône de Xi Jinping en 2022. Mais en septembre 2017, la roue a tourné : exclu du Parti, Sun était déchargé de tous ses mandats. Enfin, après un mois de procès, lors du verdict diffusé par la CCTV le 8 mai 2018, il écopait de la prison à vie, privé de ses droits civiques, et sa fortune était confisquée. Sun n’a pas fait appel.

Le mode opératoire est le même qu’ont connu d’autres rivaux de Xi Jinping, tels Bo Xilai (2013), Zhou Yongkang (2015) et Ling Jihua (2016). Sun tombe officiellement pour corruption (27 millions de $, en 15 ans) et style de vie décadent. Cependant, lui aussi s’est vu reprocher des fautes politiques, d’« avoir ouvertement conspiré à usurper le pouvoir du Parti ».

Sun appartient à la faction de Jiang Zemin, tout comme Bo Xilai, ce qui lui a permis, de reprendre le poste de Bo à Chongqing. A l’époque, en effet, fonctionnait encore la direction collégiale au sein de l’appareil, et Chongqing, 2ème ville du pays en population, était un fief de cette faction. Sa position dans l’arrière-pays, loin des contrôles de Pékin, et proche de garnisons stratégiques, pouvait cependant devenir une place forte pour un leader d’opposition, dangereuse pour le pouvoir en place. À l’instar de Bo, Sun aurait pu (selon la rumeur) fomenter un coup d’Etat – crime bien plus grave que la corruption qui lui est reprochée. 

La tribunal de Tianjin relève la « clémence » de son verdict : il aurait pu se voir appliquer la peine capitale. C’est du fait de sa « bonne attitude », d’un « remords » assorti de révélations. Sun Zhengcai a peut-être fait plonger des complices pour sauver sa vie. On note l’aspect théâtral de ce procès stalinien, rappelant l’ambiance des procès de Moscou où les accusés se chargeaient eux-mêmes de fautes, au lieu de se défendre.

Chongqing, la place forte maudite, a été reprise par Chen Min’er, autre quinquagénaire de la « 6ème génération », fidèle parmi les fidèles de Xi Jinping. Outre Chen, un autre « présidentiable » reste au Bureau Politique : Hu Chunhua, Secrétaire à Canton et dauphin de l’ex-Président Hu Jintao. Mais Hu Chunhua a multiplié les serments d’allégeance, lesquels semblent avoir été agréés par le maître de pays. Sauf que depuis l’amendement de la Constitution voté lors de la dernière session du Parlement début mars, Xi se retrouve potentiellement Président à vie. A cette heure, la question de sa succession ne se pose donc plus…


Monde de l'entreprise : Les grutiers se rebiffent
Les grutiers se rebiffent

Plusieurs sources clandestines le confirment,  une massive manifestation ouvrière vient d’avoir lieu, celle des grutiers. 60 millions d’hommes travaillent dans la construction, le plus souvent des migrants sans éducation et férocement exploités. Selon une étude du Conseil d’Etat de 2016, les deux tiers seraient sans contrats, en infraction à la loi, et 50% auraient des problèmes de paiement des salaires. Malgré 12h de travail par jour, au lieu des 8h légales, les heures supplémentaires ne sont pas payées, pas plus que les charges salariales. C’est de Changsha (Hunan), le 25 avril, qu’est partie la contestation, depuis un groupe WeChat de la « Fédération des grutiers », revendiquant le droit à s’unir, et appelant l’interprofession à débrayer le 1er mai, pour obtenir respect de la loi et un salaire de 9000¥ pour les grutiers.
L’appel était d’une audace extrême, en un pays où le syndicalisme est interdit hors du « syndicat unique », notoirement passif. Son ampleur dépassa les espérances les plus folles. Dans les jours menant au 1er mai, l’action fit tâche d’huile, jusqu’à 27 villes de 19 provinces, rassemblant jusqu’à 10 000 grutiers. 

Autant les forces de l’ordre avaient été prises par surprise, autant elles réagirent vite et fort : le 1er mai, aucun arrêt de travail, aucune manif ne fut signalée à travers le pays. Le retour au calme fut obtenu par des méthodes variables selon les régions. Ici furent arrêtés des meneurs (20 à Zhengzhou, 10 à Chongqing). Là, des frappes et opérations de harcèlement furent conduites contre les manifestations dans les rues. Ou encore, une pression fut faite sur l’employeur pour imposer une hausse de salaire. Et partout fut constaté un renforcement sans faille de la censure.

Le blog China Change voit dans l’incident un passage à un type inédit d’action ouvrière—à un autre paradigme. Jusqu’alors, les grèves ne concernaient qu’une seule entreprise, souvent étrangère (Carrefour, Walmart), choisie pour sa vulnérabilité –étant ressentie au départ comme plus prête à discuter. Elle était aussi plus acceptable par le régime, qui sévirait donc moins : le PCC ayant du mal à accepter l’idée d’une exploitation de l’homme par l’homme dans ses propres usines sous loi socialiste.
Cette fois, la mobilisation est horizontale entre employés d’un même métier, tentant d’imposer des négociations collectives avec patronat et Etat. China Change affirme aussi l’absence de toute complicité étrangère. De même, le vecteur, WeChat est 100% chinois.

C’est ainsi que, suivant pas à pas l’émergence d’un parc industriel chinois, le mouvement ouvrier lui aussi se structure, phénomène apolitique et sectoriel, que l’Etat bannit – mais pour combien de temps encore ? 


Culture : « Amazing Cinema »
« Amazing Cinema »

Après une année noire en 2016, les films français en Chine ont repris  des couleurs en 2017, avec 13,4 millions de spectateurs ayant visionné un des 5 long-métrages hexagonaux diffusés dans les salles obscures chinoises, générant 57 millions d’euros de recettes.

Dans ce train d’images, la locomotive fut évidemment «Valerian et la cité des mille planètes », le blockbuster de Luc Besson qui attira 11,6 millions de spectateurs. Meilleure performance d’un film français dans l’Empire du Milieu, cela permit d’éviter la catastrophe financière à son studio EuropaCorp, le film ayant fait un flop aux USA. Ainsi, la Chine redevenait en 2017 le premier marché  à l’export des films français, sous l’angle du nombre de billets vendus. 

« Pour un pays qui ouvre 27 salles par jour et qui exploite plus de 50.000 écrans, c’est dommage de ne placer que 6 ou 7 films français par an » remarque Robert Lacombe, conseiller culturel de l’Ambassade de France. Ce n’est pas question d’argent : à Cannes en 2017, des distributeurs chinois ont acheté les droits à  hauteur de 100.000-150.000€ le film, quitte à les diffuser sur intranet ou à bord des avions. « Il y a un travail de persuasion à faire sur place », commente Lacombe.

Depuis la signature des accords de coproduction entre la France et la Chine en avril 2010, seulement 10 films ont été coproduits. En 2017, sept étaient en négociation. La coproduction est un moyen pour contourner le quota de 34 films étrangers par an. Pour l’instant, elle sert surtout aux réalisateurs locaux.

Sans conteste, le champion des salles obscures en 2017 fut « Wolf Warrior 2 » de Wu Jing, film d’action dans un pays africain ravagé par la guerre, où un ex-membre des forces spéciales part sauver une poignée de compatriotes et de locaux. Pour 30 millions de $ de budget de tournage, « Wolf Warrior 2 » a drainé 874 millions de $ au box-office chinois (un peu plus de 10% de toutes les ventes de l’année) – c’est un record !

Wang Jianlin PDG du groupe Wanda comptait sur l’engouement du public pour prospérer dans le 7ème art, déboursant 2,6 milliards de $ pour la chaine de cinémas AMC en 2012, puis 3,5 milliards pour les studios hollywoodiens Legendary en 2016.

Mais depuis 2017, ayant perdu les faveurs du gouvernement, Wanda a dû revoir ses ambitions à la baisse. Pour l’inauguration le 28 avril d’Oriental Movie Metropolis, ses 374 hectares de studios à Qingdao (cf photo) où il avait investi 8 milliards de $, aucune star d’Hollywood ne se pressait sur le tapis rouge. Pressé par ses créanciers, Wang Jianlin avait revendu le complexe au développeur rival Sunac, ne conservant que le management.

En revanche, le film de propagande se porte bien, merci pour lui ! Depuis sa sortie le 2 mars, « Amazing China », documentaire de 90 minutes louant les œuvres du Président Xi Jinping, a encaissé 42 millions de $ de recettes—en partie grâce aux séances de projection obligatoires pour les personnels des entreprises d’Etat. Mi-mai, c’est au tour d’une série de 9 épisodes « I’m going to Xinjiang » de sortir sur CCTV et Tencent Video, visant à redorer le blason de la turbulente province autonome…


Culture : À Cannes, la Chine fait son cinéma
À Cannes, la Chine fait son cinéma

Lors de la 71ème édition du Festival de Cannes (8 au 19 mai), pas moins de trois cinéastes chinois sont en lice. Tout d’abord, on retrouve un habitué des marches : pour sa 5ème sélection, Jia Zhangke, le réalisateur de « A touch of sin » (prix du scénario en 2013), présente « Les Eternels » (江湖儿女), avec Zhao Tao et  Liao Fan, 17 ans d’amour sur fond de mafia à Datong (Shanxi). C’est un des favoris en Sélection officielle.

En compétition dans la section Un certain regard : Bi Gan,  talentueux cinéaste de 28 ans présente un long métrage très attendu (cf photo), « Un long voyage dans la nuit » (地球最后的夜晚),qui raconte la quête de repentance d’un homme envers celle qu’il a aimée 12 ans plus tôt à Kaili (Guizhou), sanctuaire de l’ethnie Miao. Bi Gan a été remarqué en 2016 avec « Kaili Blues », son 1er long métrage également situé dans ce décor de rêve, primé aux festivals de Locarno et des Trois Continents à Nantes.

En section Séance spéciale, sera présenté « Les Âmes Mortes » (死灵魂), documentaire de Wang Bing sur le camp de rééducation de Jiabiangou  (Gansu). Les âmes mortes  alignent les témoignages de 120 survivants de ce camp en plein désert du Gobi, où l’on jetait les « ultra-droitiers » en 1957-58, dont plus du tiers périrent de malnutrition. Cette œuvre douloureuse résume, en 8h15, douze années de prises de vues. Wang Bing ambitionne de réaliser, un travail de mémoire dans l’esprit de Jacques Lanzmann avec « Shoah ».

Bonne séance !


Petit Peuple : Mudanjiang, Wang Lanhua, l’amante téléphonique (2ème partie)

Résumé de la 1ère partie : A Harbin, Wang Lanhua (50 ans) aime Zhang Junbo, jeune prisonnier à Mudanjiang (Heilonjiang). En huit mois, il lui soutira 3,4 millions de ¥, sous divers prétextes. En 2010 elle vint le rencontrer à la prison – heure de vérité après tous les mensonges…

Au parloir, Zhang Junbo lui avoua finalement qu’il n’avait pas plongé par « erreur judiciaire», mais suite à un kidnapping, et qu’il ne sortirait pas en 2013, mais bien trois ans après. Surtout, le magot qu’il s’était constitué grâce à elle, n’avait pas du tout servi à accélérer sa libération, mais plutôt à financer une filière de lotos clandestins, organisée par lui, de mèche avec 19 policiers et gardiens de prison. 

Les billets de « loterie noire » (黑彩, hei cai) s’écoulaient dans la prison : les numéros gagnants étaient repris du tirage de la loterie officielle. L’argent de Lanhua permettait d’acheter des masses de billets, 70% pour Junbo, 30% aux membres du gang qui réceptionnaient les mandats sur leurs comptes bancaires. Le trafic était juteux : les lots généreux et le nombre limité de joueurs décuplaient la probabilité des gains. Cette richesse mal acquise avait permis à Junbo de s’offrir une vie de caïd, en cellule privée, avec TV, frigo garni et bons dîners… L’arnaque ne lésait que la loterie d’Etat et Lanhua. « Mais qu’est-ce que j’ai pu être la reine des pommes ! », se lamentait-elle devant le malfrat… Elle ne se pardonnait pas d’avoir été aussi naïve à 50 ans, se laissant piéger dans une arnaque sentimentale cousue de fil blanc.

Elle attendit décembre 2011, avant d’oser porter plainte. L’amant indélicat fut mis au cachot, et les comptes des comparses furent saisis. Mais les choses n’allaient pas se dérouler comme prévu : soutenu en coulisses par ceux qu’il avait arrosé, Junbo sortit au bout de 6 mois et Ji, le geôlier, chef du gang, en fut quitte pour rembourser Lanhua de 106.000 ¥.

L’affaire traînant en longueur, ce ne fut qu’en 2013 que la prison rendit à notre héroïne 500.000¥, moyennant l’abandon des poursuites contre les matons véreux qui avaient contribué à la dépouiller. On était loin du compte. Lanhua ne récupérait alors qu’un tiers de son argent et restait contrainte à travailler double, acceptant toutes les heures supp’ qu’elle pouvait, et gardant sa porte fermée et son téléphone éteint aux huissiers qui la traquaient, avides de saisir sa voiture ou son appartement.

Le plus douloureux pour Lanhua était la perte de face : l’embrouille s’était ébruitée, et faisait d’elle la risée de son cercle d’amis et de collègues. A 55 ans, elle était seule, ridiculisée et ruinée, ayant perdu espoir de pouvoir se remarier.

En avril 2015, alors que les jonquilles perçaient déjà à travers la neige de Harbin, Lanhua commençait enfin à remonter la pente, quand retentit son portable. Elle décrocha. La voix qu’elle entendit l’électrisa : en bon copain, Junbo la saluait comme s’il l’avait quitté la veille et ne lui avait jamais fait aucun tort. Elle revit alors son sourire canaille « lèvres de miel, cœur de poignard » (口蜜腹剑 kǒumì fùjiàn ), quand il lui fit l’aveu douteux qu’il l’aimait toujours. Le cœur battant la chamade, elle l’écouta prétendre qu’il s’était amendé : il avait découvert comment combler les pertes qu’il lui avait infligées, et bien au-delà. Mais pour refaire fortune, elle n’avait qu’à lui envoyer de l’argent—si elle l’aimait encore ! 

Un pathétique désordre s’empara d’elle. Elle aurait dû lui rire au nez, raccrocher. Elle avait payé cher pour savoir l’espèce d’homme qu’il était. Mais elle était seule, et son passé lui était odieux. Voilà qu’il revenait… Et puis elle en était sûre, il l’aimait, son appel le prouvait, elle ne résista pas, et céda ! Durant 11 mois, Lanhua reprit l’envoi infernal de douzaines de virements. Sous la férule de Ji l’indéboulonnable chef des gardiens – le trafic pouvait redémarrer. Ce ne fut qu’à l’automne 2014 qu’elle s’arrêta de payer, ayant épuisé son bas de laine, les 500.000¥ qu’elle avait prévu pour finir de rembourser la banque.

Toujours aveuglée par le charme  de Junbo, elle n’avait pas cherché à le dénoncer. S’il plongea finalement en 2016, c’est parce que d’autres victimes qu’il avait réussi à embobiner, portèrent plainte. Face au même juge qu’en 2013, Lanhua décrivit, avec autodérision, la manière dont Junbo venait de la rouler une deuxième fois ! L’arnaque était taillée « dans le même drap que la première ».

C’est finalement le 2 avril 2018 que le jugement fut rendu public sur internet. Convaincu de sept cas d’extorsion de fonds de novembre 2013 à janvier 2016 (l’année qui aurait dû être celle de sa libération), Junbo rempilait pour 25 ans. S’il se tenait à carreau, il sortirait à 65 ans. Le reste de sa peine se ferait alors sans frigo, ni cellule améliorée –et il devait reverser 400.000 ¥ d’amende.

Toujours bien pistonné, Ji son associé, s’en tirait avec 2 ans avec sursis, perdant quand même son poste—c’était la moindre des choses. Sept comparses, policiers et matons furent frappés d’une « punition terrible », de celle dont on ne se relève qu’à grand peine : convaincus de complicité passive, ils reçurent un blâme du ministère de la Justice ! Sept autres, « complices actifs », attendent leur jugement… Enfin la prison de Mudanjiang dut promettre de « rectifier ses faiblesses systémiques » et de ne plus tolérer la chienlit dans ses murs.

Seule parmi ce beau monde de crapules, Wang Lanhua, à 57 ans, connaît une aurore inattendue. L’accumulation de ses malheurs lui a fait réaliser son aveuglement. Tous ces journalistes venus l’interviewer, et la lecture de leurs reportages lui ont donné envie d’écrire sa propre version du roman de sa vie. Elle a compris la vanité de chercher son bonheur dans des amours illusoires, et a  trouvé au fond d’elle la force de  faire table rase du passé.


Rendez-vous : Semaines du 14 mai au 3 juin 2018
Semaines du 14 mai au 3 juin 2018

14-16 mai, Shanghai : ASCE, Salon international des services liés à l’aviation

 14-16 mai, Shanghai : FOOD & BEVERAGE, Salon international de l’import-export de l’alimentation et des boissons à Shanghai

 14-16 mai, Shanghai : WINE Expo, Salon international du vin et des spiritueux à Shanghai

 15-17 mai : Dongying, China GRTAE, Salon international des pneus et accessoires automobiles

15-17 mai : Canton, ASIA POOL& SPA Expo, Salon international dédié aux spa, saunas et piscines

 15-17 mai : Canton, PMMHF China, PREBAB HOUSE, MODULAR BUILDING, MOBILE HOUSE & SPACE

 15-17 mai : Canton, ROOFTILE China, Salon international des technologies de couvertures et de tuiles en terre cuite

 15-17 mai : Canton, STEEL BUILD, Salon international de la construction en acier et des matériaux de construction métallique

15-17 mai : Pékin, Asia Pacific China POLICE, Salon international des technologies et équipements de police

 16-18 mai : Shanghai, AIR CARGO, / Transport Logistic China, Expo et Conférence sur le fret aérien et la logistique

 16-18 mai : Shanghai, SIAL China, Salon international de l’alimentation, des boissons, vins et spiritueux

 16-19 mai, Pékin : METALLURGY China, Salon international de l’industrie de la métallurgie

 17-20 mai, Pékin : CHITEC, Beijing International High-Tech Expo

 17-19 mai, Chengdu : CAPAS Chengdu, Salon international des pièces automobiles et du service après-vente de l’industrie automobile

18-20 mai, Canton : INTERWINE Chine, Salon international du vin, de la bière et des technologies et équipements pour boissons

18-20 mai, Qingdao, CAHE : China Animal Husbandry Exhibition, Salon international de l’élevage en Chine

 19-21 mai, Shanghai : AIE, Aircraft Interiors Exhibition China, Salon dédié aux intérieurs de cabines d’avions

 21-23 mai, Pékin : TOPWINE, Salon international du vin pour le nord de la Chine

 22-24 mai, Shanghai : China BEAUTY Expo, Salon de la beauté

 22-24 mai, Shenzhen : CIBF, China International Battery Fair, Salon international des batteries électriques

24-26 mai, Shanghai : BIOFACH, Salon et Congrés sur les produits bio

24-27 mai, Shanghai : China World Travel Fair, Salon Mondial du voyage

 25-27 mai, Nankin : CMT China, Salon du tourisme et des loisirs de plein air

 25-27 mai, Canton : PAPER Expo China, Salon international du papier

 27-30 mai, Shanghai : SCNEC – PV Power, Conférence sur l’énergie photovoltaïque

 28-30 mai, Pékin : INTERTRAFFIC China, Salon international des routes et des transports

 31 mai – 2 juin : Shanghai, AQUATECH China, Salon international des procédés pour l’eau potable et traitement de l’eau

 31 mai – 2 juin : Shanghai, BUILDEX China, Salon de l’industrie de l’approvisionnement en eau et du drainage

 31 mai – 2 juin : Shanghai, FLOWEX, Salon international des pompes, valves et tuyaux