Le Vent de la Chine Numéro 5-6

du 3 au 23 février 2013

Editorial : Le Dragon est mort, vive le Serpent !

Selon la malédiction biblique, le Serpent qui relaie le Dragon au Chunjie 春节 (fête du printemps, le 10/02), n’a pas bonne presse à l’Ouest. Il n’en va pas de même en Chine, qui y voit (comme dans les 11 autres signes de son zodiaque) un être équilibré, chargé de qualités « neutres », vertus ou vices suivant les circonstances. 

Le Dragon était extraverti : le Serpent, 6ème du zodiaque, est discret, craignant lumière et foule. Cherchant le bonheur dans l’amitié, il croit plus au sentiment qu’aux discours. Pas méchant, il ne mord que pour se défendre, sous l’emprise du danger. 
Être de méditation voire de religion, sage et intense, amoureux de la justice, dit la tradition, il protège le paysan des exactions du cadre. Il peut être aussi anarchiste, dissident, sa vanité lui fait défier l’Etat, et sa dissimulation empêche ce dernier de l’extirper.
C’est aussi le signe de la mue, des changes. En 1977, il inspirait les premières manifestations de l’après Révolution Culturelle, et en 1989, le Printemps de Pékin. Mais la force publique trouve aussi en lui un allié, par ses vertus d’agronome et de guérisseur (ici, l’aspic chinois rejoint l’européen, dans le sigle du Caducée) : la Chine pourrait connaître de belles avancées en 2013, dans la réforme du monde agraire (du droit du sol ?) et de la santé. 

Comme chaque année à telle époque, le citadin de fraîche date retourne au « pays ». En 12 ans, quelle mutation ! 
Les 800 millions de voyages du Chunjie 2001 se sont mués en 3,4 milliards. Mais les proportions par moyen de transport restent immuables : le bus garde 90% du trafic, et pris d’assaut, le train n’acheminera que 225 millions, tandis que l’avion en prendra 35,5 millions (5 fois les 7,3 millions de 2001). Ceci montre, en filigrane les défauts d’une politique de prestige : par sa priorité aux TGV, le régime a délaissé les trains de masse, bon marché, pour les moins bien lotis. 

Introduite pour le train à l’occasion du Chunjie 2012, la réservation par internet avait « crashé » sous le poids de millions de demandes. Cette année, un système renforcé a été introduit. Mais immédiatement, la fraude arrive, sous la forme d’un logiciel répétiteur de demande qui garantit son billet à qui l’utilise : l’équivalent virtuel d’un « coupe-file » dans la queue qui permit, le jour de l’ouverture, d’écouler en 20 secondes tous les billets pour les grandes destinations. 

La fête du Chunjie est aussi le moment où, les comptes de chacun doivent être en ordre : dettes payées, emploi trouvé, la fille mariée. Justement, on trouve sur internet des fiancés à louer, pour les filles de 27-28 ans qui font carrière en ville et qui ne pensent pas se marier –mais qui veulent rassurer leurs parents par un pieux mensonge. Le jeune Ding Hui, 27 ans, avoue s’être loué deux fois, l’an passé : 3000¥, plus le billet d’avion et quelques nippes. Investissement de la fausse fiancée, pour commencer l’année du bon pied face à ses parents.

Enfin, c’est aussi un moment privilégié pour l’Etat, d’assumer ses devoirs confucéens de protection des masses. C’est aussi le temps des promesses et des bons sentiments, le moment où le régime voudrait se faire aimer. Aussi dès le 01/01, les pensions ont été revalorisées, de 10% pour les cadres d’entreprise. 

L’Etat promet de combattre la congestion des villes, affligées par 62 millions de voitures (contre 8,45 millions en 2003) – on en attend 200 millions en 2020. Il appelle à la tempérance des cadres et à la fin des gâchis au restaurant. Il promet aussi une meilleure protection des consommateurs, la fin des camps de rééducation et la tolérance zéro face à la corruption, celle des mouches (petits cadres) comme celle des tigres (hauts cadres)… 
Et la vie va !


Agroalimentaire : Après le vin, le saucisson au Céleste Empire

En 2004, l’amitié entre Jiang Zemin et Jacques Chirac permettait à la France, première en Europe, d’exporter du porc en Chine qui en est la première productrice (85 millions de tonnes par an, environ 500 millions de têtes) et 1ère consommatrice (106 grammes par jour, par habitant). 

<p>Pourtant, la France « ratait » la marche pour sa charcuterie

Pour l’obligatoire protocole bilatéral, où Paris s’engage à inspecter la marchandise (son respect des normes vétérinaires et phytosanitaires chinoises), les palabres débutées en 2007 avaient capoté au bout d’un an, suite à une rencontre en Pologne de Nicolas Sarkozy avec le Dalai Lama : un sursis inespéré pour les verrats, mais fâcheux pour les 35.000 charcutiers français, en quête anxieuse de débouchés. 

Repris en 2011, les pourparlers devraient aboutir sous 12 mois, à condition qu’aucune nouvelle crise ne revienne assombrir l’horizon. 
Et de bons contacts sont pris, entre Robert Volut, Président de la Fédération des industriels charcutiers, et Patrick Yu, patron de la Cofco, 1er groupe agroalimentaire chinois et 1er importateur, qui tend une perche judicieuse à ses interlocuteurs en remarquant que « quand le Chinois boit du vin, il ne sait pas quoi manger avec »…

Prochain rendez-vous, donc, au Chunjie 2014 : à son entrée en Chine, le charcutier français y trouvera ses collègues italiens et espagnols, ayant pris quelques longueurs d’avance ! 


Environnement : Pollution de l’air : réveil en sursaut

La Chine, depuis toujours, s’accommode de sa dégradation de l’environnement – conséquence de son mieux-être et de sa montée en puissance. Toutefois en janvier, les trois pics de smog cancérigène s’étalant jusqu’à 1,3 million de km² au Nord de la Chine, ont provoqué un choc, irritant les poumons et gorges de centaines de millions de Chinois. Par deux fois, la mairie de Pékin a dû consigner enfants et vieillards au foyer. Le 30/01 encore, avec un indice de plus de 400 microparticules/m3 (µ 2,5), la visibilité dans Pékin ne dépassait pas 50 mètres, et la plupart des gens portaient des masques. 

L’EIA (agence US d’info sur l’Energie) annonce alors qu’en 2014, la Chine brûlera plus de charbon que le reste du monde, et prépare même 346 nouvelles centrales thermiques, filière responsable de 20% des gaz à effets de serre.

Si la Chine de la base est choquée, sa réaction reste discrète – par tradition d’autocensure. Pan Shiyi, député et milliardaire dans l’immobilier, veut proposer une « loi de pureté de l’air » – 32.000 internautes ont déjà soutenu le projet. 

Mais le problème reste entier : la banque mondiale compte seize villes chinoises parmi les plus polluées du monde, et le coût en terme de développement, est évalué à 500 milliards de $ chaque année.

Que fera Pékin ? Ses plans actuels sont loin du compte. Au moins cette crise aura permis de commencer à désigner les responsables : les lobbies, si proches du pouvoir !


Automobile : Automobile – une année mutante

L’année 2013 a le potentiel de bouleverser le sort de l’automobile en Chine. Pour les constructeurs, la décennie fut propice, augmentant la demande de plus de 300%. Même 2012, année « médiocre » avec « seulement » +4,3%, aboutit à des ventes de 19,3 millions. 

Pour 2013, le secteur prévoit 7% et tous les groupes bâtissent des usines, lient des alliances pour se partager l’insatiable marché : en 2012, +40% chez BMW (326.000 véhicules), +29% chez Audi (406.000), 74% chez Land Rover (73.000 véhicules). 

Renault s’installera à Wuhan en mai. Avec l’un de ses partenaires SAIC (Shanghai Automotive Industry Corp) ou FAW (First Auto Works – Changchun), Volkswagen médite un low-cost local, pour concurrencer la Dacia de Renault. Hyundai vise en 2013 la 1ère place de GM/SAIC, en vendant 1,47 million. PSA espère doubler ses ventes sous 2 ans, à 430.000 ventes en 2015 (avec 6 nouveaux modèles, 500 concessionnaires). 
Mais la terrible vague de pollution de ce janvier devrait changer la donne. 

À Pékin d’abord, l’Etat impose la norme Euro V, la plus stricte : au 01/02 pour les ventes, au 01/03 pour les enregistrements. 
Si les 5,2 millions de voitures de Pékin la respectaient, cela couperait la pollution (CO2) de 40% ! Euro V favorisera les étrangers : GM, VW, Toyota, Hyundai en tête, forts de leur savoir-faire en moteurs propres. D’autre part, les provinces incapables de rembourser leurs dettes, devraient cesser de maintenir la bouche hors de l’eau des dizaines de petits groupes locaux, qui pourraient disparaître. 

L’Etat semble d’autre part décidé à favoriser en ville le transport collectif : 60% des véhicules à moteurs doivent assurer le transport en commun. Mais comment traduire ce souhait en termes pratiques ? A ce jour, la Chine ne connait pas le covoiturage ! 
Le grand plan électrique attend son heure. L’Etat offre jusqu’à 60.000¥ à l’achat d’une voiture à énergie nouvelle : 1,5 milliard $ par an sont budgétés sur 10 ans. Sur son sol, la ville de Pékin voudrait doubler cette prime (jusqu’à 120.000¥) et offrir l’immatriculation gratuite. Grâce à de telles incitations, la Chine espère arriver à 500.000 ventes en 2015 et 2 millions en 2020.

À vrai dire, si Carlos Ghosn, Président de Renault-Nissan se réjouit d’aider la Chine à gagner son pari, d’autres grands professionnels, tel Sergio Marchionne, chef exécutif chez Fiat, émet des doutes, constatant bien des lacunes dans la filière : celle d’une batterie performante, d’un réseau de recharge, et de stratégies efficaces de commercialisation. Et de fait, de 2009 à 2011, se vendaient en Chine moins de 4000 véhicules électriques par an…

Mais même si le tout-électrique ne démarre pas, il restera toujours la filière hybride genre Prius, et ce moteur « essence/air comprimé » développé par PSA, qui consomme 3 litres/100km. Brûlant en 2012 autant de charbon que le reste du monde (3,8 milliards de tonnes contre 4,4 milliards de tonnes), la Chine voit se multiplier maladies et décès prématurés, et n’a pas vraiment le choix.

Concernant les transports, le modèle de croissance chinois atteint saturation, en engorgement et en pollution. En effet, copié des USA à faible population et riche en matières 1ères, il est inadapté à une Chine, à fort peuplement et pauvre en matières 1ères.
Misant aujourd’hui sur la voiture propre et les transports en commun, les mesures annoncées par Pékin contredisent ce modèle. Mais le Chinois qui s’enrichit sera-t-il disposé à se laisser retirer le volant des mains ? Pour l’observateur comme les professionnels, l’année sera cruciale. 


Politique : Si Jinping m’était conté…

Au XVIII. Congrès d’octobre 2012, la présentation de Xi Jinping, en n°1, fut une belle opération de communication, lui conférant une image avenante et sympathique. Xi la confirma le 31/12 à Luotuowan (Hebei), en rendant visite, avec équipe TV, à 600 pauvres paysans : éperdue de solidarité, la Chine fit ensuite converger vers le hameau ses dons en espèces et en nature – Xi était le catalyseur de cet humanisme retrouvé. 

Puis dans les media, 100 projets suivirent, esquissant le tournant libéral. Les camps de rééducation disparaîtraient. L’Etat interviendrait moins dans les affaires, se bornant à offrir un « cadre d’économie de marché, les produits et services publics, et la sécurité sociale ». Émise au Sommet de Davos, la formule est de l’économiste Fan Gang, mais d’autres hommes abondent en son sens, tels Li Keqiang, 1er ministre, et Lou Jiwei, possible ministre des Finances en mars. 

Parmi les bonnes intentions populistes d’avant-Chunjie, Xi promet (28/01) de purger le Parti de ses membres « non qualifiés », sous l’angle de la corruption et de la discipline. Et pour assainir une filière agroalimentaire dont la cote de confiance est à zéro (causant d’étonnants mouvements d’importations parallèles depuis HK, Allemagne…), le ministère de l’Agriculture prétend créer d’ici 2015 des bases de production et de recherche semencière, et concentrer 60% du marché aux mains des 50 groupes les plus forts, sur les 6.300 que compte le pays. Autrement dit, le nouveau mot d’ordre de Xi Jinping serait « cap sur l’Etat de droit ».

Cependant, Xi change de discours, suivant les milieux auxquels il s’adresse. Peu avant sa tournée à Luotuowan, Xi Jinping en avait fait une autre, au Sud de la Chine, dont le discours aux cadres du Parti vient d’être publié. Or les vues qu’il y professe sont résolument conservatrices et rappellent les « 4 points cardinaux » – muselières imposées à la réforme par Deng Xiaoping en juin 1989. La réforme, dit Xi, est « ce qui nous garde sur le chemin du socialisme aux couleurs de la Chine », soit tous les poncifs du PCC, enrichis des ajouts de ses leaders successifs : marxisme-léninisme, pensée de Mao, théorie de Deng, 3 Représentativités (Jiang Zemin) et théorie scientifique du développement (Hu Jintao). 

Xi accuse aussi Gorbatchev d’avoir causé la chute de l’URSS en « dépolitisant, nationalisant l’armée et la coupant du PCUS ». « Aucun homme alors n’a été assez homme, déplore-t-il, pour se dresser et résister…à cette confiscation du drapeau ». De ce discours émerge une autre priorité : non à l’Etat de droit, mais à la restauration d’une autorité et légitimité du Parti, par le travail idéologique. Ce que Xi résume sous cette autre formule dite des « 3 confiances » : dans la voie, le fondement théorique et le système. 

Détail inquiétant : depuis son bref discours, fin du XVIII. Congrès, Xi ne fait plus allusion à la réforme politique… 

En somme, entre Xi et l’opinion, l’état de grâce s’éteint déjà. Une question demeure, cependant, essentielle : entre le démocrate et l’apparatchik à poigne, où est le vrai Xi ? Le dur discours interne est-il sincère, ou bien opportuniste ? La première hypothèse semble la plus plausible. La seconde n’est cependant pas à exclure comme artifice, pour préserver l’espoir de changement. Cela lui permettrait de montrer patte blanche à la tendance dure, en attendant le XIX. Congrès de 2017, avec un nouveau Comité Permanent lui offrant plus de libertés.


Société : Tibet – Pékin resserre la vis

Au Grand Tibet se succèdent les actions d’un régime pressé de briser la spirale morbide des suicides par le feu, une centaine depuis 2009 dont 28 en novembre 2012. En deux procès au Gannan (Gansu) et en Aba (Sichuan), huit moines et laïcs écopent entre trois ans de prison et la mort avec sursis pour « meurtre ou incitation au suicide ». Lorang Konchok, le condamné à mort, aurait avoué en décembre avoir reçu ses ordres « du Dalai Lama et de sa suite » et avoir diffusé vidéos et photos des immolations par téléphone.

Au Qinghai, la population a eu quatre jours (24-27/01) pour rendre ses paraboles TV, captant des chaines étrangères sous peine d’amende (5.000¥) et autres « conséquences »… 

Un nouveau gouverneur est nommé, Losang Gyaltsen (55 ans), un dur, quoique Tibétain natif. De source obscure, auprès des monastères, des « Comités de gestion » non élus remplaceraient les « Comités de gestion démocratiques » élus. 
Entamée l’an passé, la campagne des « 9 points obligatoires » serait renforcée, offrant électricité, routes et pensions en même temps qu’une liaison à la CCTV et de l’intensification des campagnes d’éducation patriotique. 

En face à Dharamsala, Lobsang Sangay, 1er ministre du gouvernement en exil, appelle les Tibétains de l’intérieur :
[1] à renoncer aux auto-immolations,
[2] à boycotter les fêtes du Nouvel An tibétain, le 11/02.
Le sort réservé à ces consignes par la population, sera un test sur l’emprise réelle sur elle, de cette voix extérieure qui prétend parler en son nom.


Investissements : CMA-CGM cède à CMHI ses bijoux de famille

En 2010, l’armateur Cosco s’offrait la moitié du port du Pirée. Le 29/01, c’est à CMHI, filiale portuaire du groupe sino-hongkongais China Merchants (32% du marché chinois du conteneur), de s’adjuger une tranche du port de Marseille.
Le vendeur est CMA-CGM, du franco-libanais J. Saadé : 3ème armateur mondial, mais qui tousse depuis 2008, devant faire face à une surcapacité planétaire et à des tarifs déprimés. CMA-CGM encourt des dettes de 3 à 4 milliards de $. 

Aussi l’armateur, après avoir cédé 50% de ses parts du port franc de Malte, puis 24% de ses actifs propres au turc Yildirim (ce qui lui rapporta 900 millions de $), vend à CMHI 49% de sa filiale Terminal Link pour 400 millions d’€. CMHI obtient la copropriété de terminaux de CMA, parmi les plus performants de France dont Marseille-Fos (1 million de « boites »), le Havre (1,8 million) et Dunkerque. CMA assure aussi à CMHI un profit de 30 millions d’€ par an, durant 7 ans, quelles que soient les performances. 

400 millions d’€, c’est à la fois peu et beaucoup. En 2001, les actifs de Terminal Link étaient évaluées à 300 millions d’€, or CMHI paie 400 millions pour la moitié : les experts s’accordent à affirmer que CMHI a payé cher pour pénétrer sur ce marché européen convoité. Si par contre l’on se rappelle des 2 milliards € payés par Deutsche Bank pour le terminal Maher à New York en 2007 (1,5 million de conteneurs par an), on voit l’énorme surcote dont bénéficiaient à l’époque les ports internationaux. Avec ses 15 ports entre France, Afrique, Etats-Unis et Canada, Terminal Link, est évalué au tiers de Maher, pour un volume de « boites » par an cinq fois supérieur (8,1 millions en 2011).

Grâce à ce deal, CMHI devient un groupe mondial avec 10% de capacité de traitement et 6% de ses profits réalisés hors frontière. Jusqu’à présent, cette holding maritime reposait sur ses trois bases portuaires de Canton, Shanghai et Qingdao. Depuis 2010, elle lance ses filets un peu plus loin, sur l’Afrique à Djibouti (23,5% rachetés, à 185 millions de $), 50% de la concession du port de Lomé (Togo) pour 150 millions de $, et une autre entrée sur le port de Lagos (Nigéria). C’est une stratégie et elle n’est pas forcément « d’entreprise » -mais plutôt nationale, coordonnée par la tutelle du secteur.

Il n’est pas dit que l’affaire soit si mauvaise, pour Marseille-Fos et pour CMA-CGM. L’exemple du Pirée est révélateur, trois ans plus tard, suite aux puissants investissements d’équipements apportés, et aux nouvelles règles du jeu ayant tiré des songes cette « Belle au bois dormant ». Pour CMA-CGM, c’est une manière de se désendetter à bon compte, tout en facilitant l’investissement de 150 millions de $ par l’Etat français. Lié à l’Etat chinois, CMHI, dispose d’un crédit illimité. Et les synergies, qui ne font que commencer, seront loin de se limiter à Terminal Links et aux trois ports français désignés. 

D’ailleurs, le hongkongais Hutchison Whampoa arrive lui aussi à Fos, au futur terminal Fos 4 XL (pour une mise de fonds de 600 millions d’€), et Cosco à son tour vient s’implanter dans la cité phocéenne…dont l’avenir maritime, comme celui de toute la Méditerranée, apparaît toujours plus chinois !


Diplomatie : Chine-Venezuela : la petro-amitié troublée

La Chine bâtit sa fortune avec audace, là où le monde développé trouve le risque trop élevé. Une de ses destinations extrêmes est le Venezuela où, via sa banque China Development Dank (CBD), depuis 2005, elle a investi plus de 46 milliards de $ – 55% de sa mise en Amérique Latine et son plus grand placement hors frontière. 95% de ces prêts étaient remboursables en pétrole, dont le petit Etat revendique les premières réserves mondiales. 

Derrière cette politique, il y a un pari, placé sur un seul homme : le Président Hugo Chavez, qui entame son 3ème mandat en 14 ans, qui prend toutes les décisions du pays, grandes ou petites, et qui jouit de la confiance totale de Pékin. Aujourd’hui, Caracas exporte 400.000 barils par jour vers la Chine, volume qui devrait atteindre, selon les engagements, 1 million de barils par jour en 2025.

Mais à présent, la relation se grippe : dans un hôpital cubain, à 58 ans, Chavez lutte contre le cancer, lequel empêche toute décision et paralyse le pays. De ce fait, la Chine bloque tout nouveau paiement : si Chavez décède, l’opposition de droite peut-elle prendre le pouvoir, et si tel tournant doit advenir, quid de son argent ? La Chine n’est pas la seule à se faire du souci : la Russie et l’Inde, aussi engagées à développer les gisements vénézuéliens, gèlent leurs transferts. 

En décembre, R. Ramirez, ministre du pétrole et patron du monopole PdVSA, était à Pékin pour négocier, mais pour la 1ère fois, il repartait les mains vides, sans aucun nouvel accord entre ces pays qui en signent 29 par an en moyenne depuis 2001. Plus grave, pas d’argent frais : la CBD doit encore lui livrer 4 milliards $, et il faudra négocier pour un autre chèque de 4 milliards $ promis en mars dernier. Ensuite, plus rien n’est sur la table. Mais un Venezuela sans versements chinois, est un Venezuela proche de l’asphyxie…

Entre Pékin et Caracas, bien du chemin a été parcouru en 11 ans : avec la PdVSA, la CNPC (Compagnie Nationale Pétrolière) s’est implantée dans la région clé de l’Orénoque, et de 2006 à 2009, a triplé sa propre production locale à 140.000 barils par jour. Mais cette administration déséquilibrée par une privatisation massive de mille firmes locales ou étrangères, semble percluse d’incompétence et d’inflation : de 1999 à 2011, la capacité d’extraction d’or noir a faibli de 13% à 2,7 millions de barils par jour. Tout se passe comme si l’administration de Chavez était en train de manger la poule aux œufs d’or… 

Pourtant, la crise de confiance ne semble pas appelée à durer. Pour Pékin comme pour Caracas, la coopération n’a pas d’alternative, du fait du déclin d’un marché des USA qui se replie sur son pétrole et gaz de schiste intérieur. Selon D. Voght, expert américain, même une alternance à la tête du Venezuela ne devrait pas remettre en cause le cap vers la Chine, l’Inde voire la Russie. De plus, un tel basculement, à ce jour, est peu plausible : Chavez « guérit », selon son n°2, N. Maduro, lequel en tout état de cause est prêt à lui succéder. Aussi le plus probable est que la phase d’incertitude, en Chine, soit appelée à être de courte durée, Pékin reprenant ses financements dès que possible.


Société : Cinéma : Hollywood veut sa part du gâteau, malgré les ciseaux

Les entrées en salle de cinéma en Chine (second marché mondial) ont rapporté l’an passé 2 milliards d’€ (30% de plus qu’en 2011). Et pour la première fois depuis 10 ans, l’étranger occupe le devant de la scène avec 1,03 milliard d’€. Ces bons scores ont surtout profité aux superproductions américaines : pour 36% des films importés, Hollywood fait 80% des recettes ! Aucun film de 2012 n’a battu le record d’Avatar en 2010(152M€).Mais derrière le succès imprévu de la comédie chinoise Lost in Thailand (plus de 117M€, pour un petit budget de 2,93 millions d’€), la version 3D de Titanic fait les meilleures entrées avec 111,5 millions d’€. Son producteur, Fox est d’ailleurs le champion 2012 du marché chinois (6 films 270 millions d’€), devant le géant chinois Huayi Brothers (246 millions d’€), suivi de Warner (132 millions d’€) et Sony (126 millions d’€).

En 2012, le renforcement du quota de films étrangers de 20 à 34 (dont 14 « Imax » ou « 3D », définitions américaines), a gonflé le travail de la censure de la SARFT (State Administration of Radio, Film and Television), censeur des salles obscures. Laquelle a pu caviarder Skyfall, le dernier James Bond (sorti le 21/01), de scènes ou dialogues choquants pour le régime (meurtre d’un garde chinois, allusions à la torture et à la prostitution en Chine).

Curieusement, Dreams of Dragon (DOD), coproducteur et distributeur chinois de Cloud Atlas, pour sa sortie le 31/01, a préféré devancer les ciseaux de la SARFT en ramenant l’œuvre de 169 à 130 min : son PDG, Qiu Huashun, assure avoir écouté « 500 spectateurs anonymes » et raccourci pour plaire à un public habitué « aux films pop-corn » (qui s’achèvent en même temps que le cornet vendu à l’entrée). Ce qui justifierait la coupe des scènes de sexe et de nu. Mais cinéphiles, cinéastes et journalistes refusant d’avaler la couleuvre, ont dénoncé l’opacité des critères de censure. La SARFT a cru bon de monter au créneau pour défendre ces coupes qui « ne nuiraient pas à l’intrigue » : goutte de trop pour des dizaines de milliers d’internautes sur Weibo, critiquant cette pratique d’un autre âge, criant au « viol » de la créativité. 

Bon nombre entendraient boycotter Cloud Atlas : coup dur pour ce film à gros budget (102 millions de $) qui peine à s’imposer dans le monde (85 millions de $ au 30/01) et comptait sur les salles chinoises pour se remplumer. L. Wachowski, la coréalisatrice, l’a bien compris, ayant commencé par dénoncer cette censure maladroite, avant de défendre, la main sur le cœur, la version allégée à Pékin (21/01).

Finalement, attirés par le potentiel d’un Empire du Milieu qui ouvre 10 salles par jour, les studios américains n’ont que peu de marge de manœuvre. Le public local l’aime pour sa technicité, mais aussi pour son franc-parler – si la censure les coupe, leur cote d’amour pâtit. Intégrer une pincée de Chine dans le scénario (virée à Shanghai pour « 007 », Zhou Xun dans Cloud Atlas) n’est pas une garantie anti-censure. L’avenir pour Hollywood réside alors, en partie, dans les coproductions sino-US (cf n°25/26 de 2012) qui, considérées comme « nationales », peuvent contourner le quota. En définitive, pour permettre au cinéma chinois de résister à la concurrence américaine, Pékin devra se résoudre à laisser parler les artistes, à moins de se priver d’une importante manne financière.


Monde de l'entreprise : Embrouille à l’américaine

En 2009, China MediaExpress (CCME) rachetait une PME des USA cotée au Nasdaq, entrant ainsi en bourse de New-York sans avoir à produire son bilan. Il émettait des actions, pour élargir son réseau d’écrans de publicité déroulante, à bord de milliers de bus.

Rendement fabuleux –31 millions $ par trimestre, pour 13 millions $ de frais. L’auditeur étant Deloitte, toute la finance américaine se rua, plaçant des centaines de millions de $, y compris « Hank » Greenberg, l’ex-PDG de l’assureur AIG, qui y mit 53 millions de $, au nom de sa compagnie Starr.

Puis en mars 2011, des actionnaires pressés vendirent, perdirent et répandirent la nouvelle : tous les chiffres étaient bidon. Deloitte se retira et Nasdaq délista CCME. Cette fraude en fait est courante: depuis 2004, 370 firmes chinoises sont entrées en bourse US par cette technique du « reverse merger » – la loi chinoise interdisant la justice américaine de forcer les sociétés à transmettre leurs chiffres, l’actionnariat étranger perd des milliards de $.

Starr, toutefois, vient d’avoir un recours : sur contrat, il a pu faire appel à une cour d’arbitrage de Hong Kong qui, avec un tribunal du Delaware, vient (15/01) de condamner CCME et deux gros actionnaires à reverser 77 millions de $. Or, la justice chinoise, selon notre source, respecterait les verdicts des arbitrages internationaux à l’encontre de ses firmes. On pourrait ainsi avoir ici un premier cas de fraudeur chinois en bourse étrangère, puni en son pays !