Le Vent de la Chine Numéro 6

du 20 au 26 février 2011

Editorial : Pékin, à Bruxelles : «Y’a pas le feu à l’Europe» !

Le caprice du calendrier a placé, la semaine passée, un sommet Europe-Chine et une visite aux USA de Xi Jinping, successeur désigné de Hu Jintao (cf article p.2) : belle occasion pour la Chine de jauger ses priorités vis-à-vis des puissances de l’Ouest, aujourd’hui privées dans leur rôle d’arbitres exclusifs du monde.

Depuis 20 ans, les sommets sino-européens ronronnent dans une ambiance  studieuse, sans drame. Celui du 14/02, à Pékin, ne dérogea pas à la tradition.

Les Présidents européens H. van Rompuy (Conseil) et J. Barroso (Commission), étaient venus plaider un soutien chinois à l’Euro : la dette souveraine est « sous contrôle », et Pékin est invité à financer le fonds FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière), que Bruxelles veut porter à 500MM².

En réponse, le 1er ministre Wen Jiabao n’a fait que réitérer sa solidarité, sans joindre l’acte à la parole. Pékin sait bien qu’il doit soutenir le marché européen, son plus grand client (460MM² d’échanges), mais l’opinion est hostile à ce que la Chine    « gaspille » son épargne pour des pays 10 fois plus riches qu’elle. D’autant que la manoeuvre n’est pas sans risques. Le 14/02, après S&P en janvier, c’était à Moody de rogner la note de fiabilité de trois pays méditerranéens et de prédire ce sort à la France, au Royaume-Uni et à l’Autriche. Aussi Lou Jiwei, patron du fonds CIC (China Investment Corporation) (460MM$), excluait d’acheter des obligations du FESF. Xia Bin, Conseiller à la Banque populaire de Chine, tirait la flèche du Parthe : « nous sommes peut-être pauvres, mais pas idiots » !

Un autre conflit avec l’Europe peut  freiner le chèque chinois. Avec 27 pays, dont les USA et l’Inde, Pékin refuse la taxation des émissions de CO² des transporteurs aériens, (intra- et extracommunautaires) en son espace aérien. L’Union  l’a confirmé, ce mécanisme déjà voté est irrévocable. Mais pour le pouvoir chinois, ce combat contre l’Europe renforce sa stature internationale, et faute d’obtenir gain de cause, pourrait lui servir de monnaie d’échange. En sa demande de reconnaissance du statut d’«économie de marché» par exemple, contre lequel la Commission réclame une réforme du crédit en Chine, dont il n’est, pour l’heure, pas question à Pékin…

Sur le fond, la Chine a deux raisons de ne pas se presser au secours de l’Euro : [1] La part de l’exportation est de 1%, sur les 10% de croissance réalisés depuis 20 ans – l’Union Européenne représentant 30% de ses exportations. L’impact sur la Chine d’une chute du marché de l’Union Européenne resterait donc assez limité.    [2] La crise frappe moins fort qu’il y a deux ans. Les USA redémarrent, et Pékin ne croit simplement pas à l’hypothèse d’un effondrement de l’Euro ou de l’Europe !

Absence remarquée au communiqué final : le traité de partenariat stratégique, en panne malgré des années de palabres. Tout au plus les partenaires envisagent d’entamer des négociations pour un traité de protection des investissements (ce que Chine et Canada viennent de signer la semaine dernière, cf VdlC n°5). Un traité de libre échange est aussi dans les cartons, mais à longue échéance, faute d’intérêt chinois. « La Chine, dit ce témoin, n’a pas d’appétit pour l’Europe, marché de produits finis où elle a déjà ce qu’elle veut. Elle s’intéresse plus aux pays à ressources minières, Australie, Brésil ou Canada ».

Les choses pourraient changer, avec le tournant constaté par A Capital. En 2011, la Chine a doublé ses rachats en Europe, en actifs industriels, à 10,4milliards de US$, dont 4milliards$ de la CIC (China Investment Corporation) dans GDF-Suez et 2,35milliards$ de Bluestar rachetant Elkem (Norvège, silicone photovoltaïque).

Dans ce nouveau contexte, la Chine pourrait se montrer plus désireuse d’un accord de protection de ses investissements. Mais dans ce cas, face à elle, elle trouvera des Eurocrates réclamant en retour la suppression des chasses-gardées en Chine, et du catalogue d’investissements qui bannit pour l’heure les étrangers de secteurs comme les nouvelles technologies ou certains services…                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            

 

 


A la loupe : Crise identitaire à Hong Kong : « Sauterelles » contre « chiens courants »

Le 1er juillet 1997, à zéro heure, à Hong Kong, l’Union Jack s’abaissait, tandis que montait l’étendard écarlate. A bord du yacht royal, Sir Chris Patten, le dernier gouverneur, quittait la colonie. A l’époque, les insulaires étaient en majorité prêts à renouer avec leurs racines. La vie continuait au nom du slogan martelé par Deng,一国两制,  « un pays, deux systèmes », 50 ans de liberté promise, temps d’une intégration en douceur.

Pourtant 15 ans après, une série de feux orange clignote. Incidents cocasses, à la Clochemerle, qui feraient sourire s’ils n’étaient porteurs d’un sens plus préoccupant.

[1] le 15/01, dans Central, 1.500 femmes aux ventres ronds ou derrière leurs poussettes, marchent en criant « halte au tourisme obstétrique » ! C’est qu’en 2010, les Chinoises enceintes trustaient 41.000 lits, 47% des accouchements. Ce qu’elles aiment dans ces hôpitaux hors frontière, est le sourire du personnel mieux formé et le double passeport promis à leurs bébés. Aussi, pour certaines, un départ à la cloche de bois, laissant à la ville en 2010 une ardoise de 850.000HK$. Mais les futures mères locales protestent, réduites à s’inscrire sur listes d’attente. En janvier la situation vient d’être rectifiée : les Chinoises sont mises sous quota (34.400), et une « rabatteuse » a été arrêtée.

[2] Le 12/02, ce sont les automobilistes qui montent au créneau…à pied, contre l’ouverture de leurs rues aux chauffeurs continentaux. Ils craignent une conduite trop rude et des accidents inévitables, du fait que l’on conduit, à Hong Kong et en Chine, d’un côté opposé de la voie.

[3] D’autres plaintes concernent le lait en poudre, en rupture de stock : hantés par le scandale du lait à la mélamine, les visiteurs chinois vident les rayons. De même, concurrencés par les achats spéculatifs des riches Chinois, les locaux ne trouvent plus de logements à prix abordable.

Résultat : un sondage semestriel de la HK University vient d’établir que 1000 citadins se sentent citoyens «de Hong Kong à 79,1%» (un plafond depuis 10 ans), et « de la RP de Chine à 61,1%», (plancher depuis 12 ans). Les délégués de la RP de Chine jugent le sondage tendancieux, et s’irritent de l’ingratitude locale : la prospérité de la Région Administrative Spéciale tient pour beaucoup aux dépenses de ces 100.000 visiteurs par jour, lui permettant en 2012, de couper les taxes, subventionner l’électricité, et d’offrir trois mois de loyer aux logements sociaux.

Analysant la nervosité des insulaires, les sociologues s’accordent à y voir le reflet de l’enrichissement éclair des visiteurs, et des comportements hautains qui s’ensuivent. Les HKgais expriment aussi une perte d’identité et un déficit en démocratie. Ainsi le chef de l’Exécutif, à sortir des urnes le 25/03, est déjà connu : Henry Tang, l’homme de Pékin, plutôt que Leung Chun-ying, de l’opposition. Dans la rue, au dernier sondage, Tang pèse 26,1% des voix contre 49,2% à Leung, mais ce sont les 1200 grands électeurs qui votent, selon les voeux de Pékin…

Vu les efforts convaincants de la Chine pour préserver la prospérité de Hong Kong, sa bataille pour les coeurs n’est pas perdue. Mais le débat se radicalise entre Hongkongais traitant les visiteurs de «sauterelles» (cf image), et Chinois les sacrant « chiens courants de l’impérialisme britannique ». Dans ce climat tendu, Pékin devra jouer fin.

 

 


Joint-venture : Avion C919 – la marche forcée

Plan de vol tendu pour le C919, futur moyen courrier de 168 places de la Comac, consortium aux 50milliards de US$ d’actifs, créé pour faire entrer la Chine au club des constructeurs aéronautiques mondiaux.

Pour cet appareil « politique », c’est la course : 1er vol en 2014, certification pour 2016. Aussi les contrats de fournitures doivent être bouclés pour juin 2012 -Comac a déjà signé avec AVIC et Liebherr (trains), Moog (flaps) et CFM (réacteurs, JV General Electric-Safran). Bien sûr, ces commandes accélérées privent la Comac de sa marge de négociation. De même, deux ans avant les 1ères sorties, c’est court, surtout pour un groupe très jeune et sans expérience!

Mais la Comac a un atout : Bombardier, qui participerait d’ici avril au développement. Mais pourquoi le groupe canadien soutiendrait-il le C919, alors qu’il prépare lui-même sa « Série C » de 149 places ? C’est qu’il espère une seconde participation, de plus long terme, dans la construction.

Entre achats fermes et options, la Comac a déjà 235 commandes, et en espère 300 avant décembre 2012. Toutes viennent du secteur public : transporteurs, branches « leasing » de banques. Sauf la GECAS, de General Electric, dans le cadre de sa stratégie de réinvestissement en Chine de ses profits chinois.

L’avionneur tiendra-t-il ce pari ? Il peine à sortir l’ARJ21, son avion de 100 places : déjà quatre ans de retard, dus aux délais imprescriptibles de tests et de mise au point. Ce qui semble le prix à payer pour ce style « révolutionnaire » d’une industrie d’Etat vouée au volontarisme à tout prix…

 

 


A la loupe : La guerre des deux iPad a lieu

En 2000, Proview Int’l, groupe électronique de Taiwan enregistrait les droits de marque «iPad» pour 10 pays. En 2006, il revendait le nom à une filiale d’Apple, pour 55.000US$. Maigre profit, mais qui risque aujourd’hui de se convertir, d’un coup de baguette magique judiciaire, en un trésor. Car Proview Tech, sa lointaine filiale, a établi en justice qu’elle détenait les droits pour la Chine, cédés en 2001 par la maison mère. Voilà donc Apple « pirate » en Chine, avec ses tablettes. 

Bonne affaire pour Yang Rongshan, PDG de Proview Tech en faillite depuis l’été 2010 (0,5MM$ de dettes), mais qui, dès la sortie du iPad d’Apple enjoignit le groupe de Cupertino de changer de nom. Apple contre-attaqua en cour de Shenzhen. Ce fut pour se voir débouter, le 17/11. Après des mois de négociations, le géant californien coupa court.

Mais doté de bons avocats, Proview accumule les recours. Il a saisi une cour de Shanghai pour bloquer la vente des tablettes dans les deux magasins Apple (procès annoncé pour le 22/02). Il a fait lancer des enquêtes par 40 SAIC municipales, administrations des litiges commerciaux. A Shijiazhuang (Hebei), apparaissent les 1ères saisies, 45 unités (13/02), bientôt suivies par d’autres à Xuzhou (Jiangsu), Qingdao (Shandong) et Zhengzhou (Henan). La SAIC du district pékinois Xicheng octroie 38M$ de dommages, en sursis dans l’attente du procès en appel à Shenzhen (29/02). Peut-être pour « réduire la voilure » en Chine, en ces temps incertains, Apple fit retirer l’iPad d’Amazone.cn et de Sunning, galeries virtuelles…

C’est alors, le 14/02, que l’on réalise avec effarement ce que Proview Tech réclame : la saisie en douane (légale, sous le coup de la loi de propriété intellectuelle) de tout import ou export de l’iPad ! Au 4ème trimestre 2011, ce sont 15,7 millions de ces tablettes produites dans les usines Foxconn à Shenzhen et à Chengdu qui se sont vendues, pour environ 80MM$. Le plus vraisemblable, prédisent les avocats, est que le litige se résolve hors tribunal en médiation. Apple, qui garde le silence, est sous pression, devant sortir sa dernière version, l’iPad3, officieusement début mars. Proview Tech, gourmand, réclamerait 10 milliards de ¥uan (1,6 milliards de US$) « pour commencer »… Enfin le 17/02, Proview prétendait  porter le litige aux USA, en une double plainte. Apple, en 2006, l’aurait berné en rachetant la marque pour une misère, via une compagnie-écran,  et celle-ci aurait violé un accord de non-concurrence avec les produits « Proview » (qui vendait en 2009 sa propre tablette).

Deux remarques pour conclure : [1] l’affaire rappelle la mésaventure de Schneider, épinglé en 2009 par son copieur Chint. Chint avait découvert une lacune dans le brevet d’un de ses produits. Condamné en justice comme « pirate » de Chint, Schneider avait dû lui payer 17,5M², et un montant secret pour éteindre toute  action future. [2] Proview est ruiné, son QG de Shenzhen est désert. Contacté par tél., son PDG admet que sa plainte risque de porter un coup à l’image du groupe et que le blocage aux frontières, en tout cas, risque d’être irréalisable… Mais en Chine, allez savoir !

 

 


Pol : Coup de fièvre pour le test du VIH

« Vos papiers, svp ». A Nanning (Guangxi), c’est bientôt sur ces mots que seront accueillis les candidats au dépistage du Sida, une fois adoptée la loi locale qui supprime l’anonymat, et impose aux séropositifs d’en informer leurs proches.

L’ennui est que Pékin fin juillet 2011, après avoir adopté ce système (comme 10% des villes du pays), a vu le nombre des candidats au test fondre jusqu’à 75%.

Aux séropositifs, à vrai dire, ce système ne laisse pas le choix. Vu la discrimination très lourde contre le Sida et contre l’homosexualité, ceux qui avouent sont quasi-sûrs de perdre leur emploi, voire leur famille, et tout contact social.

De façon peu compréhensible, le projet du Guangxi a reçu le feu vert du ministère de la Santé (08/02). Ce qui trahit une agitation, motivée par les chiffres de 2011 : 740.000 HIV-positifs, dont 48.000 de l’année, et 28.000 morts. Et la province du Guangxi détient le record de cas au nombre d’habitants.

Aux yeux des cadres, l’enregistrement « en clair » des dépistages responsabiliserait les malades, « améliorerait leurs soins » et protégerait leur entourage. Mais ce qu’il fait surtout, est de re-stigmatiser les porteurs du virus, ce qu’il avait cessé de faire 10 ans plus tôt, influencé par l’expérience internationale. Seul modeste progrès : ceux qui craignent avoir contracté le mal, commencent à se tester au moyen de kits obtenus sur internet, seuls ou clandestinement, aidés par des ONG. Mais sur le fond, pas de doute : dans l’administration, en mentalité, c’est un retour en arrière !

 

 


Temps fort : Barack Obama – Xi Jinping, vers une nouvelle alliance ?

La visite de Xi Jinping aux USA (14-19/02) souligne 2 éclatantes différences :

[1] Celle de personnalités entre Xi Jinping et Wen Jiabao. Le 1er Ministre traita les Européens d’un discours affable  mais peu substantiel ; Xi lui, très à l’aise, n’hésita pas à se positionner comme leader du pays, à partir d’octobre 2012.

[2] Celle entre priorités chinoises dans le monde. L’UE a été reçue poliment mais sans passion. Mais dès le 1er jour, avec les 19 coups de canons et la garde d’honneur au Capitole, Xi Jinping fut reçu en star et chef d’Etat. Il rendit à son hôte la politesse, en lui proposant un programme de travail et des priorités.

Elections obligent, Obama tint un discours connu et convenu : « je ne resterai pas les bras croisés face à un partenaire … ne jouant pas selon les règles ». Mais l’allusion à un yuan « manipulé » tombait un peu à plat, le RMB ayant gagné 12% en 20 mois, et 40% depuis 2005.

Xi Jinping lui, surprit son monde en défiant Obama de suivre son programme. Il offrait une concertation monétaire, une ouverture du marché intérieur, et une discipline commune, sur les marchés extérieurs, de   subvention aux exports, du même type que celles de l’OCDE dont la Chine est absente. Il proposa aussi plus de coordination sur les points chauds du globe : Iran, Corée du Nord ou monde arabe.

Mais rien sans rien : en échange, il exigea une meilleure prise en compte des « intérêts primordiaux » chinois. Deux d’entre eux étaient nommés, Tibet et Taiwan. Implicitement, c’était la vieille demande de renoncer aux ventes d’armes à la Chine nationaliste et au soutien au Dalaï-lama. Mais au-delà, Xi murmurait que sous son règne, un dépoussiérage de la politique étrangère chinoise serait possible, dans ses principes comme dans ses alliances, et que les USA resteraient sa 1ère priorité. C’est presque un « G2 » qui était proposé, pas forcément rassurant pour les autres pays, surtout les riverains en Mer de Chine, 3ème « intérêt primordial » non cité mais implicite. Mais pour reprendre à Hu Jintao son dernier pouvoir, celui sur l’APL, l’armée populaire de libération, Xi Jinping devra faire le plein des voix au sein du haut commandement, et donc poursuivre et faire accepter par les USA, sa pénétration en Mer de Chine du Sud, au détriment de ses voisins !

Pour instaurer la confiance, Xi Jinping annonçait aussi une promotion en Chine de produits made in USA (électronique, machinerie), visant des ventes de 27MM$, pour contrebalancer le déficit américain record de 295milliards de US$ l’an passé.

Après Washington, suivaient l’étape sentimentale de Muscatine (Iowa) où Xi était passé en 1985, et Des Moines, la capitale : il y signait pour 6milliards de US$  d’achats de soja (12millions de tonnes). Achat de routine : dépendante en graines oléagineuses, la Chine emporte chaque année 60% de la récolte mondiale de soja.

Puis à Los Angeles, Xi confirmait sa passion pour le cinéma yankee, parrainant un studio shanghaïen de film d’animation 3D d’un investissement de 2milliards de US$, JV entre DWAShrek»), SMG (2nd diffuseur national de TV radio) et CMC (fonds d’invest « culturel »). Du jamais vu en Chine, un tabou brisé. Pour Hollywood, c’est la chance de pénétrer ce box-office de 2milliards de US$ en 2011 (+20%), et réduire ses coûts de production. Pour la Chine, c’est celle d’un saut qualitatif en audiovisuel. Et pour Xi, celle dont rêvent tous les leaders chinois depuis toujours : acquérir l’image de promoteur d’une vraie culture innovante.

 

 


Petit Peuple : Wuzhong – la grande prêtresse du « Petit blanc »

A Wuzhong (Ningxia), le lieu-dit Petit blanc, s’est rendu célèbre au-delà des frontières en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique, jusqu’aux confins du monde musulman. Le toit  bricolé ne paie pas de mine, ni ses murs de guingois. Du site n’en émane pas moins une sérénité, une joie discernable.

Déjà en soi, une mosquée de filles n’est pas chose courante. Mais que l’imam soit femme, c’est rarissime. Wang Shouying, l’imamesse, compte 68 printemps. Au plan doctrinal, quasi toutes les chapelles islamiques, shiites comme sunnites, rejettent l’idée d’une prêtresse. A part le Maroc (et ce dernier, depuis 10 ans seulement), la Chine est la seule nation à offrir à ses filles le droit d’administrer la foi musulmane—au Ningxia.

Bon, je rectifie. Shouying n’est pas vraiment imam, mais  A-hong 阿訇du persan akhund ou « lettrée ». Elle est Hui, de ces 10 millions de Hans convertis depuis le VIIème siècle par les marchands arabes de la route de la soie. Pour ce clergé féminin, tout a débuté en 1979 quand l’Etat remit à chaque paroisse (chrétienne, bouddhiste, islamique) le droit de  s’organiser localement à l’instar de toutes les structures de base. C’était à l’époque un principe de routine. Mais Pékin n’avait pas idée des conséquences qui l’attendaient en cette province pauvre, désertique et déshéritée – 5,5 millions d’âmes n’intéressant personne. Comme tout le reste là-bas, l’Islam lui aussi allait à vau-l’eau, avec des fidèles qui ne l’étaient plus que de nom, mangeant le porc et buvant la bière sans manières. Un tiers des mosquées n’était fréquenté que par des femmes : en consistoires, elles votèrent de devenir paroisses féminines exclusives. Mis face au fait accompli, les hommes ne purent que limiter les pouvoirs de la prédicante, lui interdisant le Salat (les cinq grandes prières du jour), rediffusées d’une mosquée mâle voisine. Pour le reste, tous les jours, Shouying revêt fièrement sa chasuble de velours émeraude, le voile de coton blanc, et prêche devant des dizaines de femmes du quartier. En plus de prières, de cours d’arabe et de Coran, elle enseigne à des analphabètes – le sort d’une Hui sur deux au Ningxia. Ensemble, elles discutent de l’éducation des enfants, des problèmes de couple, des chances d’études ou d’emploi. Elles y passent de longues heures solidaires – les maris attendent, ongles rongés. Comme le dit drôlement la A-hong, sa tâche est d’« éduquer les camarades à devenir de bonnes musulmanes ».

C’est alors qu’arrive l’autre chance. Enrichi par le pétrole, le Moyen-Orient pose les yeux sur la Chine centrale, y voit une mine d’or théologico-politique. Les mosquées sont rebâties, les radios et TV arabes rendues audibles par satellites. Boursiers, des milliers de jeunes Chinois partent en Egypte, Arabie Saoudite ou Malaisie apprendre l’arabe, l’Islam, le commerce. Rien que de Wuzhong, 500 jeunes s’envolent chaque année pour la Mecque d’où ils reviendront purifiés, anoblis : « Hadj ». Des centaines d’écoles ouvrent, sans oublier les filles, comme Hanqu à Wuzhong, pensionnat arabophone de 75 belles, qui ne paient que 800¥/an. Leurs carrières, toutes tracées, n’existaient pas hier. Elles seront interprètes, traductrices ou businesswomen, pour nourrir avec le Moyen-Orient des échanges qui explosent, (51MM$ en 2010). D’autres se feront A-hong, comme Wang Shouying ou Jin Meihua. Cette dernière fut la plus jeune de Chine, à 41 ans. En charge de la mosquée de Wunan, elle se vit nominée, en 2005, avec 999 autres femmes du monde, pour le Prix Nobel de la Paix, pour leur travail envers leur communauté.

Certes, tout n’est pas rose. Le salaire, par ex., 300 à 500¥/mois, le tiers de la normale, permet à peine de survivre. Mais ces prêtresses sentent qu’elles sont la génération de rupture, celle qui « plante les arbres pour l’ombre de demain » Qián rén zāi shù, hòu rén chéng liáng, 前人栽树, 后人乘凉. Pour ces mères et filles s’arrachant aux millénaires d’aliénation, la religion est un passeport potentiel vers une vie meilleure. Pour un tel défi, porter le foulard est un prix à payer, à tout prendre, modeste et acceptable !

 

 


Rendez-vous : A Pékin, les Salons des énergies

22 – 25 février Pékin : ISPO et ALPITEC China, Salons de l’industrie du sport et des technologies de la montagne et des sports d’hiver

23- 25 février, Pékin : Salons CIPV – Photovoltaïque, CIBE – biomasse, Wind Power Asia – énergie éolienne, et Clean Energy – énergies renouvelables.

27-29 février Shanghai : PCHI, Salon des soins et des cosmétiques

27 février – 1er mars, Pékin : Auto Maintenance & Repair

29 février – 2 mars, Shanghai : Intertextile Home Textiles

29 février – 3 mars, Canton : Musical Instruments, Salon des instruments de musique, et Soundlight, Salon des technologies du son et de la lumière