Le Vent de la Chine Numéro 11

du 26 mars au 1 avril 2006

Editorial : Trois regards neufs sur la Chine

Sous ce printemps précoce, voici trois regards neufs, bourgeons de la Chine de demain :

[1] Gorgées de devises, les banques, assurances, fonds de pension et firmes chinoises accélèrent les rachats d’actifs en Europe. Des deux côtés, les règlements s’assouplissent, telles les 85, bientôt 125 mesures préférentielles (baisses d’impôt, subventions), présentées par Clara Gaymard, ministre des investissements étrangers en France, de passage à Pékin le 20/3. En France, ces rachats chinois de 150M², sextupleront d’ici fin de l’année: montants encore modestes, souvent en R&D, mais préludes à des investissements industriels !

[2] Côté socio-économie, le professeur Li Qiang (université Qinghua, Pékin) vient d’évaluer le recensement de l’an 2000, et sonne l’alarme : une infime minorité s’enrichit, le reste stagne.

Li a classé 640.000 citoyens recensés, selon leur richesse, évaluée à travers la norme mondiale ISEI.

84% sont déclarés très pauvres ou pauvres, à moins de 31 points (paysans, recycleurs d’ordures, migrants). 10,3% sont très modestes, à 33-38 points : les métiers de transport et ouvriers. Les cols blancs suivent, 5% (journalistes, enseignants, commerçants).

Enfin, moins de 5% se partagent les positions de 43 à 88 points : professeurs, managers, cadres… Ce « gratin » salarial est d’autre part capable de s’enrichir en secret, via la corruption (15% du PIB, selon l’expert Hu Angang). Mécanisme qui n’apparaît pas dans ce recensement. Le déséquilibre pourrait donc être plus grave que ne laisse apparaître l’étude de Li Qiang, qui conclut pourtant que cette structure démographique déséquilibrée, est parmi les plus instables au monde.

NB : cette analyse est identique à celle de He Qinglian (cf VdlC n°35 de 1998), journaliste et économiste en exil.

[3] Après 3 ans d’OMC (Organisation mondiale du commerce), quel est le fruit de l’expansion chinoise dans le monde?

Selon la Mission Economique française et l’étude en cours de publication par l’OMC, 2005 constitue un triomphe commercial, avec 102MM$ d’excédent et 7% du marché mondial (double de 1999). Mais cet excédent cache un déficit envers Taiwan (58MM$), Corée (42MM$) et Japon (16,5 MM$).Ensemble, ils fournissent 30% de l’import chinois, surtout en pièces vitales de téléphone et d’ordinateurs, dont l’export chinois explose: 58MM$ pour les ordinateurs, contre 13MM$ en 2004 ! Il faut noter dans cet export, sa faible valeur ajoutée (26%) et sa domination étrangère croissante (59%).

Enfin, l’OMC recommande à Pékin de libéraliser ses services et sa monnaie, et de lutter contre la piraterie. Sans quoi, l’objectif de 100M d’emplois neufs en 10 ans, quoique incontournable, ne sera pas atteint !


A la loupe : Travail : la charrue de la loi, avant le boeuf syndical

Après première lecture, la future loi du travail est soumise (20/3) à consultation populaire pour 1 mois : processus démocratique exceptionnel, qui se justifie par la volonté du Président Hu Jintao de 小康 xiaokang, bien-être social, mais aussi par les remous qu’elle déplace — risques sociaux à bien soupeser !

A bon escient, la loi étoffe la protection des travailleurs. Mais elle renforce aussi le monopole du syndicat unique, fier de ses 150M d’affiliés (+10M attendus dans l’année), mais alignée sur le pouvoir.

Le projet accorde à la centrale une consultation en cas de licenciement massif, son accord sur le règlement intérieur, une taxe sur les profits.

Au travailleur, elle accorde un contrat (que 4/5 des firmes privées lui refusent), une période d’essai prolongée, une prime de licenciement en cas de contrat non renouvelé, et un an de salaire en cas de clause de non-concurrence. Aux firmes, elle n’accorde rien, pas même la stabilité face aux désertions des cadres racolés par la concurrence. Chez Loréal, ce « turnover » touche 15% du personnel/an !

Ceux qui se plaignent le plus ne sont pas les firmes privées (pourtant les plus touchées), mais les étrangères, notamment les américaines, hostile à la présence d’une structure «communiste» en leurs murs. Wal-mart, General Electric, P&G déplorent un « recul de la souplesse d’embauche et de licenciement ». Un vieux bras de fer se déroule depuis des années entre les irréductibles, bloquant l’ouverture de la section dans l’usine, tandis que le syndicat soutenu par les autorités et l’opinion, menace de les inscrire sur une liste noire, qui réduirait leur attractivité à l’embauche…

En conclusion, ce projet de loi explicite un double phénomène très propre à ce pays en mutation :

– La reconnaissance qu’avec le progrès social, doit suivre davantage de représentation des employés dans l’entreprise, un travail syndical.

– Mais en même temps, le régime nie la nécessité, pour que cela marche, d’un syndicat pluraliste, libre et indépendant face à l’Etat comme face aux firmes.

Cette carence privera la loi de l’acceptation des compagnies, et des employés, faute de se sentir concernés !

 

 


Joint-venture : Chute de l’immobilier à Shanghai – 2 réactions extrêmes

— Lancée 15 ans plus tôt, la vague de reprise du petit commerce d’Etat par les supermarchés entame sa descente.

La CCFA (China chain store and franchise association) est formelle : les 100 plus grands opérateurs ont vendu 42% de plus, à 73MM², mais en 2001, la hausse était de 65%. Ce qui incite des étrangers comme Wal-mart à  mettre toute la vapeur pour s’implanter tant qu’il en est encore temps.

Avec 56 magasins (dont 51 mégastores), l’Américain n’est pas dans la botte des 10 premiers, contrairement à Carrefour, avec 78 supermarchés et 1,8MM² de chiffre en 2005 (8ème). Wal-mart annonce donc, dans l’année, l’ouverture de 20 supermarchés, et d’ici cinq ans, jusqu’à 150.000 embauches.

 

— Après avoir doublé en trois ans, le marché shanghaïen de l’immobilier s’effondre moins par épuisement de la demande que suite à la coupure en 2005 du robinet du crédit.

Incapables de refinancer leurs hypothèques, les petits propriétaires doivent céder leur bien à la banque qui le revend à prix cassés, dictant le nouveau cours : cela donne en moyenne -32%, et des biens hier à 18.000¥/m2, aujourd’hui à 10.000¥.

Face à ce repli, vrai risque pour les banques locales, les institutionnels Chinois et étrangers préparent 2005 leurs réactions, qui vont dans des sens opposés.

Cosco, 5ème armateur mondial, obtient le feu vert pour céder au partenaire indonésien SMIL (Success medal international Ltd), les 51% qui lui manquaient, de sa branche immobilière à Shanghai : cédés pour 100M², dès juillet 2005, via la bourse locale.

L’intérêt pour Cosco est de limiter ses pertes, et de recentrer ses activités sur la marine, alors que la majeure part du trafic national est aux mains des flottes étrangères.

De son côté, Morgan Stanley, n°3 mondial du courtage annonce (15/3) 3MM$ d’achats de biens en Chine, suite aux 1,5MM$ réalisés entre 2000 et 2004. Pour Morgan Stanley, ce marché assaini, proche de sa valeur réelle, est celui où investir maintenant !

 

 


A la loupe : Chine – Russie (-Inde) : triangle ‘irréversible’

La Russie du Président Vladimir Poutine a peut-être fini par vaincre son hésitation face à la Chine, dont elle sent bien l’immense force de développement, mais qu’elle redoutait jusqu’alors, par peur qu’elle n’empiète sur sa Sibérie en panne de croissance.

Réclamant un oléoduc vers le Liaoning (Daqing), la Chine ne cachait plus son impatience, face au sur-place de Moscou depuis 3 ans, voire son quasi-choix de livrer au Japon plutôt qu’à elle. Mais la mariée chinoise était trop belle, et son marché trop alléchant. Aussi Poutine se rendait-il en Chine (21-22/3), avec ses min. de l’énergie et des mines, et ses PDG des grandes entreprises d’Etat Rosneft (pétrole) et Gazprom (gaz).

En gaz, CNPC – la compagnie pétrolière chinoise, et Gazprom doivent établir en 2006 une Joint Venture pour explorer et exploiter des gisements off-shore au large des îles Sakhaline, bâtir 2 gazoducs à l’Ouest (d’abord) et à l’Est sibérien, d’une capacité de 80MMm3/an.

En pétrole, avec Rosneft, la CNPC reçoit la quasi-promesse d’une ramification sur l’oléoduc destiné au Japon: d’ici 2011, elle lui fournira 82.000 t de brut/j.

Un deal «politique» qui laisse bien des questions en suspens :

[1] CNPC paiera 400M$ «pour les 72km jusqu’à la frontière». Une JV avec Rosneft créera une raffinerie (2MM$) et un réseau de stations service. Mais Tokyo qui payait 50% des 11,5MM$ de l’ouvrage, maintiendra-t-il l’offre?

[2] La Sibérie a t’elle assez de pétrole pour ces 2 énormes clients, sans compter l’Allemagne déjà contractée?

[3] Quid  de la demande d’entrée de CNPC à 15 à 20% dans Rosneft?

Enfin, un Poutine radieux évoquait les 22 accords de coopé signés, le colloque commercial ayant réuni 800 hommes d’affaires, et d’ici 2010, un commerce bilatéral plus que doublé à 80MM$/an. Poutine évoque une « alliance stratégique  irréversible », étendue aux secteurs de l’électricité et du nucléaire, de la technologie et des télécom. Poutine invite Hu Jintao au Sommet du G8, à St Petersburg, en août.

Cette alliance se définit d’emblée comme trilatérale, associant l’Inde. Entre ces trois, un mécanisme de coopération est déjà convenu, ainsi qu’un prochain sommet ministériel. La carte géopolitique mondiale se redessine. Un nouveau bloc émerge, face à celui  Euro-USA, et au monde arabe !

 

 


Argent : Téléphone 3G : pas de bousculade pour la licence TD-SCDMA

— Faire payer le luxe, protéger la ressource : tel est le sens des ajustements en taxation applicables au 1er avril, transcription technique de l’actuel slogan «écologique social». Hier encore bannies des centres-villes, les voitures à faible cylindrée (-1,5litre) sont réhabilitées, avec leur taxe tronquée de 5 à 3% et les 4×4 (+4litres) passent en enfer, de 8% de taxe à 20%.

 En plus de l’essence, sont désormais (légèrement) taxés fuel lourd, kérosène, huile de moteur et naphte. Taxés aussi les yachts, montres de luxe, clubs et balles de golf. De même les baguettes jetables, à 5% (peu de chose!), dans le souci louable mais probablement inefficace, d’écorner les 2M m3/an de grumes pillées sur les forêts d’Asie. Mais attention, il y a loin de la baguette aux lèvres. Dès 1999, Pékin candidate à ses Jeux Olympiques «verts», avait enterré ses baguettes jetables, puis s’était déjugée, une fois la candidature engrangée! Enfin, au bonheur des dames, une taxe de 1994 disparaît : celle sur les shampoings et les crèmes. L’Etat ayant compris depuis, que pour ses citoyens/ennes, nourrir sa peau ou sa chevelure, n’était pas du luxe!  

 

— C’est à l’automne que le MII (le Ministère des industries de l’information) octroiera la 1ère licence 3G, serpent de mer du tél. sans fil.

Cette 1ère attribution ira à la norme locale TD-SCDMA, les autres, WCDMA (Union Européenne) et CDMA 2000 (USA) devant patienter. Les 3 candidats annoncent leur stratégie, à travers leurs investissements pour l’année 2006. N°2 de la ligne fixe, Netcom pavoise, ayant quintuplé ses profits en 2005, à 1,4MM². Son Président Zhang Chunjiang voit l’avenir dans les abonnements panachés fixe et mobile, et investira en 2006, «hors 3G, 2,7 MM² dont seulement 20% en ligne fixe».

Chez China Mobile, la stratégie (décrite par le Président Wang Jianghou, est encore plus nette. Modifiant son plan, il alourdit de 60% son investissement à 8,5MM², et tout ira dans son réseau 2G. Comme si Mobile était convaincu de ne pas recevoir la 1ère licence, en TD-SCDMA!

Enfin, China Telecom (Président Wang Xiaochu) a vu ses profits en 2005 augmenter de 8% à 2,1MM², et mise son avenir «sur les campagnes», conformément aux voeux de Hu Jintao. Ses voeux à lui : «laisser le consommateur choisir», sous-entendu, la norme WCDMA ! 

NB : les trois opérateurs entretiennent un réseau expérimental en TD-SCDMA (Netcom à Qingdao, China Telecom à Baoding, China Mobile à Xiamen). Tous semblent craindre de réussir, car la 1ère licence irait (peut-être) au gagnant ! A « qui perd gagne » ! 

 

 


Pol : Universités : quelque chose de pourri au royaume du plagiat

— Vu de l’étranger, le plagiat académique fait moins de bruit que le piratage industriel, mais suscite dans l’opinion, une violente polémique.

Le ministre de l’éducation se sent obligé (15/3) de lancer une enquête sur la gravité du phénomène, et d’annoncer la création d’un organe national pour tenter de l’enrayer. Ces derniers mois, les cas de professeurs publiant les recherches des autres sous leur signature se multiplient.

Tel Zhou Yezhong, le juriste de l’université de Wuhan, conseiller de Hu Jintao ayant dépouillé «mot pour mot» un dissident qui avait fait de la prison pour ces mêmes idées. Selon une enquête, parmi 180 docteurs en titre, 60% ont payé pour publier, 60% ont pompé leur recherche ou utilisé des nègres (leurs étudiants).

A cela, plusieurs causes:

[1]  les professeurs promus sont ceux qui publient, mais la qualité de leurs écrits n’est pas vérifiée.

[2] Les plagiaires sont puissants, et leurs dénonciateurs ne sont pas protégés.

[3] Enfin, la croissance monstrueuse des effectifs (6M jeunes, +15% /an) fait de ce monde une jungle.

Si la Chine finit par réagir à sa dérive, c’est que la masse de sa recherche retombe comme un soufflé, tandis que les vrais chercheurs, spoliés, abandonnent : au risque pour la Chine, de tuer la «poule aux oeufs d’or» de sa reconnaissance scientifique future !

— Les grandes campagnes policières « frappez fort » ( 严打yanda) chères à Jiang Zemin, n’ont plus cours, telle celle de l’an 2000 qui avait abouti à l’interpellation d’1million de suspects.

Pour autant, la Chine semble perdre la bataille contre la mafia, comme Canton qui lance une action sine die. Une des 1ères victimes est Chen Kegen, «parrain» à Shenzhen, exécuté le 3mars, après avoir racketté durant 3 ans, trois marchés de fruits de mer. Zhang Guifang, vice secrétaire du Parti communiste chinois peint de ce chancre une image sombre : bus, marchés de gros, bars et discos, immobilier, sont sous contrôle de cette «société noire» (黑市会, heishihui), même la police, dont de hauts cadres lui assurent l’impunité.

Une telle dérive se retrouve partout en Chine, comme en atteste dans le Hubei, la perpétuité infligée en appel (21/3) à Yang Shihong, ex-chef de la Police de Wuhan. Le verdict initial l’avait condamné à mort. Au total, on lui reproche d’avoir reçu pour plus de 7M² -pas seulement de la part d’hommes d’affaires !  

— En 1995, N. Leeson écopait de 6,5 ans de prison pour avoir fait perdre frauduleusement en bourse de Singapour, 1,4MM$ à la Barings, sa maison londonienne.

Le 21/3, c’est à Chen Jiulin, l’ex-boss de la CAO (filiale de la holding publique du même nom) d’en prendre pour 4 ans et 3 mois. D’autres sous-fifres et la maison-mère reçoivent aussi peines et amendes. Chen voit retenus six chefs d’accusation, dont celui de “délit d’initié”, après avoir «repassé» le poids de ses fautes sur d’autres, telle la Deutsche Bank, sciemment escroquée. Intéressante, la manière dont Chen et ses patrons abordent son délit. Le trader s’estime «responsable mais non coupable». Du même avis, sa maison-mère écrit au juge pour exonérer Chen, affichant qu’il aurait « en tous temps agi dans les meilleurs intérêts de la CAO».

Cela signifie que Chen revendique sa fidélité envers sa Grande entreprise d’Etat et au-delà d’elle, au Parti. Pas envers les lois internationales (bourgeoises) et ses clients qui lui ont confié leur argent. Soulignant ainsi la continuité avec la révolution culturelle : « mieux vaut un cadre rouge (rouge, = fidèle), qu’expert » !

 


Temps fort : Cuir : bottes de sept lieues pour la Chine !

L’industrie du cuir a poussé un grand «ouf!», en voyant la montagne européenne accoucher d’une souris de sanctions antidumping (VdlC n°10), 20% de taxes sur 9% seulement de ses exports. Pékin doit pourtant activer la restructuration du secteur, en plein essor, mais gangrené de guerre des prix et protectionnisme local !

En 2004, 16.000 usines (dont la moitié dans la chaussure) assuraient 1,7 M d’emplois au sud et à l’est. Ses 20M de peaux de boeuf faisaient la moitié du marché mondial. Grâce à l’OMC (l’Organisation mondiale du commerce), l’importation explosait aussi, 5MM$ pour les peaux,+79% pour les sacs, +63% pour la chaussure.

En 2005, l’exportation a monté de 24% à 32,7MM$, dont 2,53MM de paires de chaussures. La Chine vend aussi 550M de sacs et valises, et 66M de vêtements— le secteur en pointe (+40%).Tout en traitant 550Mm² de cuir brut. Les investissements sont à l’avenant, avec 318 nouvelles usines dévorant 2,3MM$ de crédits.

L’envers de la médaille est bien connu : trop de concurrence, trop peu de valeur ajoutée, pas assez de design, cloné d’Europe. Donc, une majorité de groupes au bord du gouffre. Les plus puissants pourraient s’en réjouir, comme chance de voir le marché s’assainir. Pas les provinces, pour qui l’activité offre un débouché irremplaçable aux filles des campagnes, et pas Pékin, pour qui la stabilité est une fin en soi.

La solution pourrait résider, dans un travail de fond de la fédération CLIA (China leather industry association), vers l’autodiscipline et la formation. Avant 2015, la CLIA veut imposer hors frontières 3 à 5 marques internationales, et former des professionnels les yeux ouverts sur leur marché, moins gaspilleurs de ressources, misant davantage sur leur imagination et sur la qualité !

 

 


Petit Peuple : la nouvelle vague – l’homme au foyer!

Un nouveau statut émerge, inattendu en cette société d’ordinaire plutôt machiste et coincée: celui d’homme au foyer, préposé au ménage voire à l’enfant unique. «Métier» en vogue chez les jeunes diplômés, et très discuté, signe de mutation sociale.

On vient à ce choix pour bien des raisons:

– donner à sa femme la chance d’une carrière,

– forcé par une faillite,

– par désir de farniente après les études ou un 1er emploi éprouvants.

Surprise, ce mode de vie n’est vécu partout  pareil. Un sondage auprès des cols blancs de 28-32 ans révèle que, pourvu que leurs femmes puissent assurer, 22%, à Pékin sont y prêts, contre 34% à Canton, 32% à Shenzhen, et 70% à Shanghai !

Un bon exemple est celui de Yuan Dong, 30 ans. Cerveau de Mongolie Intérieure, vite drainé vers les écoles de la côte, il fut ingénieur, DG d’une filiale d’un groupe de télécom, membre de la jet-set.

Mais Zhang Ling sa femme pékinoise, avec son master US d’informatique, faisait mieux encore. Elle avait un poste en or, et s’usait à suivre son homme catapulté entre Canton en Shanghai. Quand des raisons de famille la poussèrent à retourner à Pékin. « Au fond, j’en ai assez fait», lui dit-il, «à toi de m’entretenir!» Tel fut le deal.

Depuis septembre, Yuan potasse ses manuels de cuisine et réalise des plats conceptuels. Il fait scientifiquement ses courses. Il invente une technologie du balai et du fer à repasser. Pour le reste, il lit, dort tard, et au volant de sa voiture, roule inlassablement (3000km/mois) dans les montagnes autour de Pékin. Pour l’ instant, cela leur convient. Ils auront, évidemment, bien des ornières à les guetter sur leur chemin —prix à payer pour vouloir jouer les 家 庭妇男 jiating funan, « l’homme-femme de ménage ». En attendant, ils poursuivent leur expérience de laboratoire, sous un ciel androgyne, utopiste, qui rappelle le Paris de mai ’68 : «courez, camarades, la révolution du couple est devant vous ! »