Le Vent de la Chine Numéro 39
Le 1er décembre, journée mondial du SIDA, a permis de faire, sur l’avancée du fléau en Chine, un bilan mitigé, avec excellentes et détestables nouvelles.
Au chapitre des victoires, grâce à la nouvelle équipe de Hu Jintao et Wen Jiabao, Pékin change de stratégie, et veut promettre aux malades, non plus exclusion, mais solidarité et soins, afin qu’ ils se déclarent. Dès le 28/8, la loi révisée des maladies infectieuses interdisait aux provinces de bannir les séropositifs, aux hôpitaux de refuser l’accès aux pauvres. A présent, un projet de loi veut encourager les administrations à recruter des cadres parmi les malades (rompre l’ostracisme). Les prix des thérapies ont été cassés. Un nombre limité de porteurs a été pris en charge. 1000 centres de sevrage à la méthadone seront ouverts en 5 ans, pour détourner 200.000 drogués de la seringue collective. Depuis juillet, 1045 bandes ont été démantelées, 12.243 arrêtés, 6t de drogue saisie : le cours de la blanche, au noir, s’est envolé à126% à la frontière birmane!
Mais d’autre part, la langue de bois reste!
Le Henan, qui lança 10 ans avant les collectes vénales de sang humain (1ère source de contamination), reste honoré, y compris son boss de la santé, et publie des chiffres invraisemblables («20.000» séropositifs locaux, quand en 2002, les sources médicales de l’ombre en donnaient 1M). Idem, à Pékin, deux universités viennent d’interrompre leur campagne de distribution de préservatifs, remplacée par le conseil lugubre : « abstention! »
Pourtant, le temps manque. Les homosexuels seraient 30M, 80% mariés, et 25% sortant aussi avec des femmes. A 3% de taux d’infection et 10% du total des malades, le vrai nombre des séropositifs chinois atteindrait 9M – 10 fois le chiffre officiel!
Heureusement, un allié précieux entre en lice : les milieux d’affaires étrangers !
Par ses Présidents M. Moody Stuart (Anglo American) et Bertrand Collomb (Lafarge), la Coalition mondiale d’affaires anti-SIDA lance à Pékin (17/11) un appel au recrutement de firmes membres (déjà 60). Par son implantation planétaire, elle dispose de fonds, techniques et expérience, et d’une implantation ramifiée en Chine. L’Etat est déterminé à aider la coalition, pour arracher les provinces à la torpeur : contre le fléau, c’est peut-être un new deal, car le coût social du SIDA en Chine (comme ailleurs) ne s’arrêtera pas aux frontières, mais sera supporté par toute l’humanité!
Le Conseil d’Etat vient d’innover en droit du travail, avec audace, mais sans outil pour l’appliquer!
L’article 26 illégalise l’emploi en dessous du salaire minimum, et la mise à pied sans indemnité. En cas de violation, l’inspection du travail et la Sécurité sociale donneront au patron fautif un délai de conformisation qui, une fois franchi, lui vaudra une surtaxe salariale de 50 à 100%. D’autres articles visent les heures supplémentaires illégales : l’amende sera de 100 à 500¥. Bonnes paroles, mais en 2003, les impayés sur les chantiers atteignaient 32MM$, et les firmes coupables étaient avant tout celles publiques !
Autre surprise: dans sa croisade (mondiale) anti-syndicale, Wal Mart baisse pavillon et toute honte bue, accepte dans ses 39 hypermarchés chinois l’entrée de l’ACFTU, le syndicat unique.
Laissée sur place par le tsunami de privatisation, en plein stall, la centrale ouvrière (123M d’inscrits d’office) avait devisé un plan de la dernière chance appuyé par l’Etat, pour forcer l’ouverture de sections en toutes firmes nouvelles, privées ou étrangères. En ce combat, Wal Mart (WM) était devenu son bouc émissaire, objet d’enquêtes parlementaires, menaces et sommations. Le groupe de l’Arkansas risquait rien moins que le gel de son expansion chinoise : il préfère passer la main! Mais, prétend-il, il n’a « jamais » interdit l’ACFTU dans ses murs : ce sont les 20.000 employés qui ne l’auraient jamais demandé!
Pragmatique, l’ACFTU n’a cure de ces gestes de face. Magnanimement, elle félicite WM de sa «souplesse » : l’essentiel est acquis, l’accès aux postes lucratifs pour ses ouailles, et aux 3% réglementaires de la masse salariale, nerf de son pouvoir de demain. Toutefois, son entrée en force chez WM et d’autres multinationales rétives, ne réglera pas la question de la représentation des travailleurs en Chine. Ce qui serait le meilleur biais pourtant, pour prévenir les émeutes qui fleurissent ces derniers temps!
— Rançon de son succès, le trafic maritime chinois se voit aux deux tiers aux mains de l’étranger.
Plus pour longtemps: Cosco Pacific acquiert (17/11) 25% du nouveau terminal conteneurs d’Anvers, qui ouvrira en 2006 à Deurganckdok-Est sur l’Escaut. Pour 132,5M², Cosco s’assure la co-propriété de six appontements (3,5MTEU/an) qui valent de l’or, vu l’engorgement des ports de la façade nord de l’Europe. Le reste de l’outil revient surtout à P&O/Nedlloyd.
Mais la coopé maritime sino-belge va dans les deux sens : le plus gros minéralier du monde, un capesize de 177.000 TJB vient d’être commandé (23/11) à Waigaoqiao (Shanghai) par Bocimar, armateur qui avait acheté au même chantier 4 vraquiers de 175.000t, dont l’un vient d’être baptisé (22/11) sur place, par la Princesse Mathilde, lors de la mission Prince Philippe de 270 industriels d’Outre-Quiévrain. La dernière commande sera livrée en 2007 : sa taille record (292m long, 3 de plus) correspond au maximum acceptable à Dunkerque, après ses travaux d’approfondissement en 2003!
— Pour 10M$ d’investissement, Nestlé et General Mills (US) ouvrent à Tianjin (TEDA) leur 1ère usine locale de céréales déjeunatoires (24/11). Très efficace (38 emplois, 3500t/an!), elle fournira la Chine et l’Asie. La meunerie est au bord de l’eau, permettant de transborder les céréales de Chine, et l’avoine d’Australie. Son nom : CPW, (Cereals Partners Worldwide), la JV de ces majors de la céréale alimentaire, qui fournit 130 pays, à travers 15 usines !
— Quoiqu’elle l’ait porté au 1er rang mondial, la fusion de sa filière TV avec TCL n’a pas apaisé la faim d’acquisition du groupe Thomson, qui paie (23/11) 20M² pour 8% des parts de Konka, concurrent de son partenaire.
Les 2 groupes se disent “au stade préliminaire de discussion pour la production commune de boîtiers décodeurs, de téléphones mobiles et de lecteurs vidéo”. La logique de ce rapprochement apparaîtra en son temps.
Pour l’heure, elle semble permettre de contourner l’interdiction par Pékin de prise de contrôle d’un groupe “stratégique” chinois par l’étranger : au lieu d’une majorité, on prend deux minorités!
— Mi 2004, en un fracassant verdict, la Cour Intermédiaire n°2 de Shanghai déclarait Lacoste “pirate” de Crocodile International, marque du rival singapourien Cartelo.
Le 22/11, Celle de Changsha (Hunan) lui offre sa revanche en condamnant le magasin Parkson à 5000¥ de dommages, et en lui enjoignant de ne plus vendre les copies (par Cartelo) de Lacoste. Nigaude en apparence, l’empoignade entre deux vénérables maisons s’explique par l’enjeu : que Cartelo ait copié ou non son aîné 50 ans plus tôt, l’issue peut signifier, pour le crocodile perdant, l’élimination du marigot chinois !
Depuis ses débuts en ’86 à Carantoir (Bretagne / Morbihan), Ubisoft a chaussé ses bottes de sept lieues pour s’imposer major du jeu vidéo, avec 2350 jobs dans 12 studios sur terre.
A Shanghai depuis 1996, il emploie 350 concepteurs, et techniciens, dont une 30aine d’étrangers (Français, Américains, etc), et s’est hissé au 1er rang national des jeux sur ordinateur. Son atout local: le bas coût, l’abondance et la qualité de la matière grise, qui lui permet jusqu’à la moitié de réduction du temps de conception. Dernier né de la célèbre série Splinter Cell, son Pandora Tomorrow made in Shanghai, sorti en mars s’est vendu en millions d’exemplaires dans le monde—mais quelques dizaines de milliers en Chine.
Responsable, le piratage, qui assèche «90 voire 99% des ventes » en Chine, pense Julien Le Bigot, directeur du marketing. La copie force aussi à casser les prix (7² contre 40² ailleurs), fermant la porte, au nom de la rentabilité, aux recherches de personnages et scénarios typiquement chinois!
Autre distorsion: le protectionnisme!
Ubisoft-Shanghai est sevré des aides qui pleuvent sur les géants locaux, et de l’enregistrement local de ses produits pourtant réalisés sur place, à 95% par des chinois. La tutelle GAPP semble redouter la pollution de ses chères têtes brunes par les valeurs étrangères : gare à toute allusion au Tibet, à Taiwan, à la corruption publique chinoise – thèmes qui foisonnent impunément dans les jeux vendus sous le manteau!
Malgré tout, la technique très sure d’Ubisoft, son plus large portefeuille de titres et son choix haut de gamme lui assurent sa place au top des éditeurs. Et puisque la Chine favorise le jeu en ligne (+ facile à contrôler), il s’avance sur ce marché en co-développant (2004-2005) Heroes of Might and Magic Online, spécialement pour la Chine/Asie, tout en caracolant dans le jeu PC (20 titres prévus pour 2005). Les jeux consoles viennent aussi : le 1er jeu d’Ubisoft sur Playstation-II de Sony (aujourd’hui sur les marchés de Shanghai et Canton) est pour janvier…
Enfin, Ubisoft l’admet à demi-mot, le piratage a du bon en donnant aux 234M de jeunes (dont 15M de joueurs en ligne) accès à la crème du jeu virtuel mondial: si le pari est gagné, le groupe et ses concurrents se partageront en 2008 un océan de fidèles solvables et une manne de 1,5 MM$.
S’il est perdu, il leur restera un inépuisable vivier de talents producteurs : à tous les coups l’on gagne !
— La Chine importe 200M$ de pétrole/jour : ceci inspire une floraison de projets d’énergie alternative!
La filière essence de houille décolle. Premier minier chinois, Shenhua négocie sa seconde usine dans le Shaanxi, JV avec Sassol (Afrique du Sud), détenteur du procédé de liquéfaction du charbon via gazéification. Sa 1ère unité se construit en Mongolie Intérieure, au coût de 3MM$. Shell négocie la sienne avec Ningxia Coal. Les 2 unités visent chacune 65000 barils/jour, moyennant 10MM$ d’investissements en 10 ans. La rentabilité est assurée à un coût d’extraction de 12$/t, et un cours de l’or noir à + de 30$ /baril. Par ailleurs, au plan national, la NDRC – instance babylonienne en charge des orientations économiques – fixe des objectifs drastiques d’épargne d’ici 2010 : 2,25t équivalent charbon à brûler pour obtenir 10.000¥ de PIB, soit 0,43 de moins qu’en 2004. Hôtels, usines, tous recevront des quotas, qui devraient épargner 0,3MMt de houille/an.
NB : fautif inattendu dans le gâchis de calories, le secteur tertiaire : en retard, il n’assure que 33% du PIB (contre 63% en moyenne mondiale)!
— La Chine se démarque de la frilosité de l’Union Européenne et fonce dans les cultures OGM : dès 2003, déjà 3M d’ha plantés en transgénique, surtout en coton (90% de la récolte), poivron, tomate, peuplier… Elle est aussi en avance en riz, dont elle s’apprête à commercialiser en 2005, une souche à haut rendement, résistant aux maladies (produisant ses propres pesticides), enrichi en acides aminés.
— L’érosion quotidienne du billet vert laisse de marbre l’autorité chinoise, mais non les utilisateurs.
De facto, la Chine a rendu le RMB “convertible”, dans une micro-zone, le long de la frontière nord-coréenne. Depuis début novembre, la BPdC, la Banque centrale, autorise les transactions en ¥ Yuan – les banques du Liaoning peuvent ouvrir des comptes frontaliers…
Tandis qu’au Pays du matin calme, la devise exigée des étrangers est subitement devenue l’² Euro !
Entre-temps à Shanghai, China Business News prête à la BPdC une vive fonte de son patrimoine en bons du Trésor, à 180MM$. Jusqu’à présent, le volume de ses réserves atteignait 514MM$, dont 80% placés en US$. Ainsi, ce seraient jusqu’à 60% de ses avoirs américains que la banque nationale aurait écoulé en quelques mois, expliquant en partie l’intense dépression qui frappe la monnaie US. La BPdC a été prompte à démentir (26/11)!
— Lundi et mardi (29-30/11) à Vientiane (Laos), ce seront pour 100MM$ de tarifs douaniers que la Chine et les 10 de l’ASEAN s’engageront à jeter au feu au 1er janvier 2010, faisant ainsi un pas nécessaire pour maintenir le rythme de leur longue marche à l’intégration.
Ceci ne signifie pas, tant s’en faut, un “marché commun” : même entre eux, les partenaires de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) s’entravent mutuellement leurs exports, et tentent de protéger leurs industries encore vagissantes. Mais le résultat sera toujours meilleur que celui de l’APEC, (Coopération économique de la zone Pacifique), qui vient de se séparer à Santiago sur des phrases creuses. Se reconnaître riverains de l’océan Pacifique ne suffit pas pour créer des liens. Tandis qu’avoir des frontières communes, asiatiques, éveille à l’évidence une communauté de destin!
— Pourquoi le vol China Eastern, Baotou-Shanghai, s’est-il écrasé le 21/11?
Quelques secondes après décollage, l’avion de type CRJ-200 plongeait dans un lac gelé, tuant ses 53 occupants. Des témoins oculaires décrivirent une instabilité de l’appareil, et une explosion en l’air. En attendant l’analyse de la boîte noire, les autorités excluaient provisoirement l’hypothèse de l’attentat – mais dans tous les aéroports chinois, les contrôles étaient exacerbés ce jour-là.
Quelle que soit la cause, c’est une mauvaise nouvelle : pour Bombardier le constructeur, dont se ternit le bilan jusqu’alors excellent (900 appareils, 9M d’heures de vol); pour China Eastern, dont un autre appareil faisait 2 jours plus tard un atterrissage d’urgence : et pour la Chine, qui voit s’avancer le spectre, jusqu’ alors évité, d’un attentat aérien sur son sol.
Dans sa tournée latino-américaine, le Président Hu Jintao s’est réservé pour la bonne bouche la visite à Cuba, la perle des Caraïbes, étranglée depuis sa Révolution par le blocus des Etats-Unis.
L’accueil chaleureux du dictateur Fidel Castro se comprend bien : depuis les années ’90 et la chute de l’URSS, Pékin a su reprendre une part de la place du géant disparu, allongeant quatre lignes de crédit d’Etat entre 1990 et 1994, et offrant 1,6M de bicyclettes, ainsi que des cargos de riz, pour éviter la disette.
Durant sa visite, Hu Jintao tendit 12M$ de dons sociaux, sans compter des ré-étalements de dettes. Cependant, pour faire fête aux visiteurs, le Parti communiste cubain avait une raison de plus que la simple reconnaissance. La Chine est un des seuls à pouvoir l’aider dans sa croissance d’escargot, disposant des techniques industrielles à bas prix, d’une soif inextinguible en ses produits de base (comme le sucre de canne), et n’ayant pas de comptes à rendre à Washington.
Aussi, plus de 200 hommes d’affaires accompagnant Hu, négocièrent pas moins de 16 contrats. Le plus important fait passer 49% de la mine de nickel de Las Cariocas, sous contrôle du chinois Minmetals. Pour un investissement (chinois) de 500M$, la capacité sera portée de 75 à 100.000t/an et les livraisons à la Chine, de 4000t (en 2005) à 22.500t/an à terme. Le paiement se fera par troc, en fournitures de systèmes de télécommunication, d’électroménager, et de vêtements. Il est aussi question de lancer une liaison aérienne directe, pour doubler le tourisme l’an prochain—à 2000 célestes amoureux de la guitarra, des cayo et du mojido.
Mais sur le fond, qu’on ne s’y trompe pas : exotisme caraïbe mis à part, la Chine renforce petit à petit son expérience et son influence sur le monde—cette fois, dans le pré carré du rival yankee !
Par son génie, Wang Meishan brûla les étapes, étant successivement nommée docteur, maître assistant, professeur, avant d’émerger à 50 ans rectrice d’une célèbre université pékinoise. Wu Bajie, son indolent mari, était le contraire : sans elle, ce bon à rien inapte à plus d’1heure d’effort par jour aurait eu une vie amorphe et ratée.
Bonne fille, Wang le pantoufla PDG d’une Cie créée pour lui, avec brevets innovants et clients juteux.
Tout aurait été au mieux, si Wu ne s’était avisé de découcher près d’une veuve accorte et drue et prendre tout reproche de très haut : sa fortune, son nid d’amour, la vieil-le ne pouvait plus les reprendre, pas vrai? C’était compter sans le génie pragmatique d’une femme blessée, mais fidèle!
Trois jours après, quand il entrait chez son amante, un athlète l’accosta, l’accusant âprement de lui avoir pris sa femme. Avec un acolyte, il le battit comme plâtre et lui tailla à la joue en souvenir, le caractère infamant de 淫 yi(“obsédé”). Redevenu depuis doux comme un agneau, Wu ne quitte plus la chambre, caché derrière son énorme pansement -il s’est blessé, dit-il, sur un carreau cassé. Mais qu’on ne s’y leurre pas: c’est l’âme qui est la plus meurtrie, de la trahison supposée de sa poule. Wang elle, rit de sa ruse, ayant faussement créé l’apparence d’un rival jaloux.
En chinois, on appelle cela 樹上開花 shu shang kai hua, “planter des fausses fleurs sur un arbre mort”! Pour ce coup de maître, il ne lui en a coûté que 5000¥, cachet des deux malfrats : pour récupérer son homme, c’est donné, non ?
— 3-4-Déc., Shanghai : Foire de l’aliment biologique
— 11 Dec. : Adhésion définitive de la Chine à l’OMC.
— 30 Nov-2Déc., Pékin : Salon Pièces Auto