Le Vent de la Chine Numéro 8-9 (2023) – Spécial Parlement
2952 votes « pour », 0 « contre ». Comme en 2018, le Président Xi Jinping a été réélu à l’unanimité pour un 3ème mandat par les délégués réunis au Grand Palais du Peuple, à l’occasion de la session annuelle du Parlement. Ce titre vient ainsi compléter celui de Secrétaire général du Parti et celui de Président de la Commission militaire centrale, déjà sécurisés lors du XXème Congrès du Parti en octobre dernier.
Certains voyaient déjà le pouvoir de Xi fragilisé par les difficultés domestiques et internationales que rencontre la Chine. Cependant, force est de constater que le Secrétaire général du Parti ne cesse de renforcer son contrôle personnel sur le Parti-État et le contrôle du Parti sur l’État.
Même si Xi Jinping ne s’est exprimé publiquement qu’en fin de session parlementaire, ses commentaires durant l’évènement sont venus rythmer le rendez-vous politique et révèlent les préoccupations du chef de l’État.
Chose rare, Xi s’est laissé aller à une critique ouverte des États-Unis devant des industriels chinois : « Les pays occidentaux, menés par les États-Unis, ont mis en place une politique visant à nous contenir, nous encercler et nous étouffer, qui pose des défis sans précédent au développement de la Chine ». Le lendemain, le nouveau conseiller d’État et ministre des Affaires étrangères, Qin Gang, mettait en garde Washington : « Si les États-Unis continuent de foncer dans la mauvaise direction, il y aura inévitablement des conflits et des affrontements ».
Le n°1 chinois s’est également montré particulièrement inquiet des mesures américaines visant à restreindre l’accès de son pays aux semi-conducteurs. « Vos puces sont-elles ‘made in China’ ? », a-t-il interrogé un fabricant d’engins de chantier. En effet, atteindre l’auto-suffisance dans certains domaines-clés est l’un des objectifs prioritaires du leader, « insatisfait » du manque de progrès technologiques ces dernières années
C’est la raison pour laquelle le ministère des Sciences et des Technologies sera désormais placé sous une nouvelle commission centrale du Parti qui supervisera son travail. Ce changement fait partie intégrante d’une restructuration gouvernementale plus large, qui consiste à donner davantage de pouvoirs au Parti au détriment de celui de l’État. La tutelle bancaire et financière (CBIRC) et la Banque Centrale sont, elles aussi, concernées par ce remaniement et placées sous l’autorité d’un nouveau régulateur financier.
Désireux de rassurer les entreprises privées et les entrepreneurs, le dirigeant chinois s’est adressé à eux durant le Parlement : « Éliminez vos problèmes, oubliez vos préoccupations et développez-vous avec audace ! (…) Vous êtes des nôtres ! », leur a-t-il lancé. Les patrons ne demandent qu’à y croire, mais pour cela, il faudra joindre l’acte à la parole. Et les appels du chef de l’État à se comporter de manière « aimante et responsable » en redistribuant leurs richesses au nom de l’objectif de « prospérité commune » n’ont rien pour les rassurer…
Redonner confiance au secteur privé est pourtant l’une des priorités du nouveau gouvernement, constitué de fidèles de Xi Jinping ou d’alliés de ses alliés. Le maintien en poste du gouverneur de la Banque centrale, Yi Gang, ainsi que bon nombre de ministres (commerce, finances…), laissent entrevoir une continuité des politiques existantes, ce qui devrait venir rassurer les investisseurs.
De même, la nomination de Li Qiang, ancien secrétaire du Parti de Shanghai, bien connu des communautés d’affaires, étrangères notamment, en tant que Premier ministre, est une nouvelle encourageante puisqu’il pourrait bien jouir de davantage de latitude que son prédécesseur Li Keqiang.
En effet, en s’entourant uniquement de personnes qu’il juge dignes de confiance, Xi Jinping sera peut-être plus enclin à écouter leurs conseils ou à les laisser prendre des initiatives. L’inconvénient bien sûr de ce genre de configuration étant qu’il n’aura personne sur lequel se défausser en cas d’échec…
Et si tout le monde s’était trompé sur Li Qiang, le nouveau Premier ministre tout juste intronisé lors de cette session du Parlement ?
Avant son ascension, les analystes jugeaient déjà peu probable qu’il devienne le patron du Conseil d’État. D’une part, l’ex-secrétaire du Parti de Shanghai n’avait aucune expérience au sein du gouvernement central, contrairement à tous ses prédécesseurs. D’autre part, sa réputation avait été passablement écornée après avoir imposé un confinement généralisé de la municipalité au printemps 2022.
Et pourtant, lors du XXème Congrès du Parti fin octobre 2022, Li Qiang se voyait propulsé n°2 du Comité Permanent, devenant ainsi de facto le bras droit du Secrétaire général du Parti. Cela conduisit les observateurs à s’interroger : est-ce que son statut d’homme de confiance de Xi Jinping lui permettra de jouir de davantage de latitude que son prédécesseur Li Keqiang, un Premier ministre que Xi n’avait pas choisi et qui représentait un centre de pouvoir alternatif au sien ? Pourra-t-il exercer une certaine influence sur Xi ? La plupart d’entre eux étaient pessimistes, ne voyant en Li Qiang qu’un fidèle exécutant, voire un libéral par opportunisme.
Une enquête exclusive de Reuters permet de nuancer cette analyse. Juste après le XXème Congrès, Li Qiang fut nommé directeur du groupe de travail chargé de la lutte contre le Covid-19. Sous son impulsion, la Chine annonça le 11 novembre une série de mesures assouplissant les restrictions sanitaires en vigueur. Lorsque le pays entier fit face à un raz-de-marée épidémique, Xi Jinping fut tenté de revenir à la stratégie « zéro Covid ». Malgré cela, Li Qiang aurait résisté aux pressions du chef de l’État et l’aurait convaincu d’abandonner cette politique pour de bon.
Plusieurs facteurs sont entrés en ligne de compte : l’état alarmant de l’économie chinoise et des finances des gouvernements locaux, le mécontentement de la population suite à la diffusion de la Coupe du Monde de football au Qatar, montrant des dizaines de milliers de spectateurs sans masque, et bien sûr les manifestations contre la politique « zéro Covid » dans plusieurs grandes villes du pays fin novembre. Ce mouvement populaire inédit depuis 1989 poussa le leadership à opter pour un assouplissement accéléré, considérant la menace posée par les manifestants à la stabilité du régime, plus dangereuse que la libre-circulation du virus, selon les sources citées par Reuters.
Résultat : le 7 décembre, Pékin mettait un terme aux confinements généralisés, aux quarantaines obligatoires et aux restrictions aux déplacements. Un projet initial prévoyait de maintenir les campagnes de tests, mais Li Qiang aurait plaidé pour un abandon total. Les effets ne se firent pas attendre : les hôpitaux furent pris d’assaut et les pharmacies dévalisées… Au total, le Covid-19 aurait fauché plus d’un million d’âmes, d’après les estimations des experts étrangers. Deux mois plus tard, Xi Jinping jugeait « complètement corrects », « les ajustements majeurs apportés à la stratégie sanitaire » et qualifiait cette sortie de la politique « zéro Covid » de « miracle ».
Cet épisode en dit long sur la marge de manœuvre dont dispose Li Qiang et sur sa capacité à influencer les décisions de Xi Jinping, même s’il n’obtient pas toujours gain de cause.
Originaire d’une petite ville près de Wenzhou (Zhejiang), Li Qiang a passé toute sa carrière dans la région du Delta du Yangtze. À chacune de ses affectations, Li n’a eu de cesse de prêcher pour davantage d’ouverture aux investisseurs étrangers tout en exhortant la bureaucratie locale de créer un environnement propice aux affaires, notamment en réduisant les tracasseries administratives.
Lors d’une interview donnée au magazine Caixin en 2013, il décrivait sa vision d’un gouvernement idéal, c’est-à-dire sans intervention excessive dans les activités micro-économiques. Une position qui semble aux antipodes de la tendance actuelle. À Wenzhou, berceau du capitalisme chinois, il n’hésitait pas à donner la priorité aux entreprises privées au détriment des groupes d’État – un geste plutôt audacieux pour l’époque et qui va à l’encontre des principes prêchés par Xi Jinping aujourd’hui. Lorsqu’il était au Zhejiang, il échangeait régulièrement avec les patrons de grands groupes de l’internet et a confié avoir de l’admiration pour des entrepreneurs comme Pony Ma, le fondateur de Tencent, et Robin Li, à l’origine de Baidu – quoique ces derniers aient perdu leurs sièges au sein de la Conférence Consultative du Peuple Chinois (CCPPC). À la tête de Shanghai, il a joué un rôle important dans l’implantation de Tesla dans la zone de libre-échange. Il a également œuvré en faveur du partenariat entre Fosun et BioNTech autour de la production de vaccins à ARN messager – un projet finalement suspendu par Pékin.
Il est clair que Li Qiang ne voit pas toujours les choses du même œil que Xi Jinping. À tout le moins, le climat de confiance qui règne entre les deux hommes permet à Li de partager sans crainte ses préoccupations et ses suggestions au chef de l’État, qui semble les prendre en compte. Alors, cette proximité permettra-t-elle à Li Qiang de le convaincre de la nécessité de faire coexister un agenda libéral avec ses grands principes tirés de l’époque maoïste (auto-suffisance, prospérité commune…) ? Tous les espoirs sont permis.
Comme à leur habitude, les délégués de la Conférence Consultative du Peuple chinois (CCPPC) ont rivalisé d’inventivité dans leurs propositions législatives. Même si elles n’ont presque aucune chance d’être adoptées, c’est une manière pour les parlementaires de se faire remarquer, voire de pousser le gouvernement à agir sur des sujets qui préoccupent le « petit peuple ». Voici un petit florilège d’idées plus ou moins farfelues.
En tête de liste, la proposition de Xiong Shuilong, délégué du Guangdong, qui consiste à instaurer une semaine de six jours de travail, suivie d’une autre de quatre jours. L’objectif est de stimuler le tourisme domestique en permettant aux Chinois de profiter une semaine sur deux d’un week-end de trois jours au lieu du traditionnel samedi-dimanche. Cette suggestion n’a pas convaincu les internautes qui n’ont pas tardé à lui rappeler qu’ils ont parfois à travailler le week-end (les fameux « jours rattrapés ») pour pouvoir rallonger leurs congés lors de certains jours fériés.
Une autre proposition surprenante consiste à développer la filière des fruits secs et autres aliments comestibles que l’on trouve en forêt. Ces produits ne dépendant pas de l’agriculture traditionnelle, ils représenteraient un moyen d’augmenter la production alimentaire du pays.
Enfin, Zhou Xiaoping, délégué-blogueur nationaliste qui a connu son heure de gloire lorsque Xi Jinping en personne a loué ‘l’énergie positive’ de ses essais en 2014, a cherché à faire parler de lui en suggérant d’introduire une nouvelle règle soumettant à l’approbation du public le contenu des manuels scolaires avant leur impression. Il fait par-là référence à l’affaire des illustrations qui avait fait scandale l’an dernier, qualifiées de « laides, vulgaires, voire pornographiques ».
Loin d’être à court d’idées, Zhou a également suggéré d’exiger des étrangers qui envisagent de venir travailler ou étudier en Chine, de passer un test en langue chinoise avant d’être autorisés à déposer leur demande. « Certains étudiants étrangers se font plaisir pendant deux ans en mangeant, buveant et en s’amusant, sans être capables de parler un mot de chinois lorsqu’ils repartent. Ils traitent leurs études en Chine comme des vacances », s’est indigné le commentateur. Le prétendu traitement de faveur acccordé aux étudiants étrangers est un débat qui ne date pas d’hier. Néanmoins, depuis le début de la pandémie, leur nombre a fondu comme neige au soleil, faute de pouvoir obtenir un visa d’entrée sur le territoire chinois…
Président de la RPC : Xi Jinping
Vice-Président de la RPC : Han Zheng
Président de l’ANP : Zhao Leji
Vice-président de l’ANP : Li Hongzhong
Président de la CCPPC : Wang Huning
Premier ministre : Li Qiang
Vice-premier ministre exécutif, en charge de la science et des technologies : Ding Xuexiang
Vice-premier, en charge de l’économie, du commerce et des finances : He Lifeng
Vice-premier, en charge des entreprises d’Etat, de l’industrie et des technologies de l’information : Zhang Guoqing
Vice-premier, en charge de la santé et de l’agriculture : Liu Guozhong
Conseiller d’Etat et Secrétaire général : Wu Zhenglong (bras droit du premier ministre Li Qiang)
Conseiller d’Etat, en charge de l’emploi : Mme Shen Yiqin (ex-secrétaire du Parti du Guizhou, seule femme au sommet de l’Etat)
Conseiller d’Etat et ministre des Affaires étrangères : Qin Gang (à 56 ans, le plus jeune haut-gradé du gouvernement après avoir bénéficié de deux promotions successives en quelques mois – cf photo)
Conseiller d’Etat et ministre de la Défense : Général Li Shangfu (sanctionné par les Etats-Unis)
Conseiller d’Etat et ministre de la Sécurité Publique : Wang Xiaohong
Gouverneur de la Banque Centrale : Yi Gang (réélu)
Président de la Cour Suprême : Zhang Jun (nouveau)
Procureur général : Ying Yong (nouveau – ex-secrétaire du Parti du Hubei)
Commission Nationale de Supervision : Liu Jinguo (nouveau – un vétéran de l’anti-corruption)
Directeur de la NDRC : Zheng Shanjie (nouveau – ex-secrétaire du Parti de l’Anhui et proche de He Lifeng)
Ministre des Finances : Liu Kun (réélu)
Ministre du Commerce : Wang Wentao (réélu)
Ministre des Sciences et Technologies : Wang Zhigang (réélu)
Ministre de l’industrie et des technologies de l’information : Jin Zhuanglong (réélu – ex-président de la COMAC)
Ministre des transports : Li Xiaopeng (fils de l’ex-Premier ministre Li Peng – réélu quoiqu’ayant perdu sa place au Comité Central)
Ministre de la Sécurité d’Etat : Chen Yixin (réélu)
Ministre de l’Environnement : Huang Runqiu (réélu)
Ministre de l’Agriculture et des Affaires rurales : Tang Renjian (réélu)
Ministre de l’Education : Huai Jinpeng (réélu)
Directeur de la Commission Nationale de Santé : Ma Xiaowei (réélu)
1 milliard : c’est le nombre d’utilisateurs à travers le monde de l’application de courtes vidéos TikTok , mieux connue sous le nom de Douyin en Chine. Malgré un incroyable succès ces dernières années, son propriétaire, la licorne pékinoise Bytedance, est accusé de collecter les données de ses utilisateurs étrangers et d’être susceptible de les mettre à disposition du gouvernement chinois. Malgré les dénégations de la compagnie, Washington vient de bannir l’APP de tous les appareils des employés des agences fédérales et envisagerait même une interdiction plus large. Même chose à Bruxelles, où plus de 8 000 parlementaires ont été priés de supprimer TikTok de leurs smartphones.
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41 millions : c’est le nombre de travailleurs que la Chine a perdu ces trois dernières années. Cela équivaut à presque la totalité de la population active allemande. Au total, 774,7 millions de Chinois avaient un emploi en 2019 contre seulement 733,5 millions en 2022. En cause, les effets indésirables de la politique sanitaire sur l’économie, provoquant une hausse du chômage chez les jeunes notamment, mais surtout le déclin de la population en âge de travailler (entre 16 et 60 ans), causé par le vieillissement de la population et les départs en retraite (55 ans pour les femmes, 60 ans pour les hommes). Pas étonnant que les industriels misent massivement sur la robotisation !
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531 : c’est le nombre de centres de R&D à financement étranger installés à Shanghai fin 2022. 20 nouveaux centres devraient ouvrir en 2023. Même si ce chiffre devrait réjouir le gouvernement qui cherche désespérément à attirer les investissements étrangers dans les domaines de pointe, de manière à favoriser les transferts de technologie, la tendance globale est plutôt aux départs, les groupes étrangers craignant de se retrouver pris entre deux feux (américain et chinois) et préférant ainsi délocaliser ailleurs. Leur salut viendrait d’une trêve entre Pékin et Washington qui est tout sauf à l’ordre du jour.
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5% : c’est le pourcentage annoncé de coupes d’emplois au sein du gouvernement central suite à un remaniement ministériel. Même si cette décision ne devrait au final impacter que quelques milliers de postes, dont de nombreuses réaffectations et départs en retraite anticipée, le plan a suscité pas mal de discussions sur les réseaux sociaux, la fonction publique ayant longtemps été synonyme de sécurité de l’emploi. La situation est plus inquiétante au niveau local, où les fonctionnaires se sont vus amputés d’une partie de leur salaire. En cause, les finances inquiétantes des gouvernements locaux, ruinés par le coût des mesures de contrôle de l’épidémie et la baisse de leurs recettes provoquée par la chute des ventes de terrains aux promoteurs immobiliers.
Li Yinglai, recycleur de 74 ans, vit avec sa vieille mère de 96 ans et son grand frère. Très tôt chaque matin, il enfourche son triporteur, et s’arcboutant sur ses pédales, s’enfonce dans le dédale des venelles de Kunming (Yunnan). Qu’il pleuve ou qu’il vente, hiver comme été, il fait la tournée de trois bâtiments, avec la complicité des gardes qui le laissent entrer. A chaque étape, le vieux cycliste va droit aux poubelles. Là, il trie les bouteilles en verre et plastique, canettes d’aluminium et barquettes en carton. Une à une, il les vide de leur air, les écrase du pied, les enfile comme perles d’un collier de fil de fer de récup’, des ballots qu’il empile sur sa plateforme. En fin de matinée, son petit tricycle s’est transformé en un monstre trois fois plus haut que lui, en surplomb d’un mètre sur chaque flanc, quoique son chargement compressé ne dépasse pas quelques dizaines de kilos. Il est alors temps de retourner au dépôt qui pèse et lui donne sa paie. Son labeur lui permet de gagner au mieux 6 à 7 yuans par jour, de quoi acheter au marché un paquet de nouilles sèches, une livre de légumes, quelques morceaux de tofu.
Ces humbles emplettes, Yinglai les rapporte à son frère aîné qui prépare le repas de midi. Parfois la chance n’est pas au rendez-vous – endurcis par les dernières consignes, sourds à ses prières, les gardiens refusent de le laisser passer, ou bien suivant l’humeur imprédictible du consommateur, la marée des déchets du jour ne contient rien de recyclable. Alors, Yinglai dépité, doit se rendre au marché, non en client mais comme implorant…
Avec un tel métier, Yinglai n’a jamais pu se marier : qui voudrait pour compagnon d’un va-nu-pieds négligé ? Vacciné par la vie, Yinglai n’y pense guère : sa mère lui suffit, et il a assez entendu les plaintes de ses copains mariés, sur les criailleries de leurs épouses. N’avoir pas d’enfant, dans l’absolu, ne le fait pas souffrir plus que ça – il évite d’y penser. Sauf pour sa mère, qu’il déplore d’avoir déçu. En effet, Yinglai a passé plus de la moitié de sa vie à culpabiliser sur le précepte de Mencius : « des trois manières d’insulter ses ancêtres, la pire est de ne pas avoir d’enfant » (不孝有三,无后为大 bùxiàoyǒusān, wúhòuwéidà). Et le fait que son frère, pas plus que lui, n’ait pu fonder un foyer, ne l’aide pas à diluer sa gêne…
Depuis 14 ans toutefois, à l’âge symbolique de 60 ans (celui de l’accomplissement de cinq cycles du zodiaque chinois), notre recycleur a trouvé le moyen de s’affranchir de cette disgrâce. Chaque dimanche, il sort de son placard une bonne dizaine de vêtements, et se compose avec soin un look correspondant au temps et à son humeur, joyeuse ou espiègle. Parfois, il sollicite l’aide de sa mère pour quelques ajustements. Puis il prend congé et se rend au parc du lac vert.
Là, sur une aire pavée entre les arbres centenaires et les stèles rocheuses, ayant enclenché sa petite sono et son haut-parleur récupérés, il se met à danser. D’abord lentement et comme emprunté, puis de plus en plus naturel, Yinglai virevolte avec grâce, multiplie les pas chassés, pas glissés, les tournants sur lui-même, suggérant toute la gamme de sentiments
amoureux, les gestes de la séduction et de la passion. Avec légèreté, il brandit, ouvre et ferme habilement son éventail multicolore, adresse des sourires mutins de ses lèvres rehaussées de rouge, lance vers la foule des clins d’œil câlins de ses cils passés au mascara. Il faut à peine quelques minutes pour que ses admirateurs soient un, dix, puis approchant la
centaine, applaudissant en rythme. Car on l’aura compris, Yinglai s’est déguisé et porte selon les saisons, des tenues largement féminines, données par des voisines bienveillantes, excessivement voyantes : chapeau à fleurs ou bonnet rouge de garde impérial Qing, kimono brodé de tournesols et de parasols, juste-au-corps de soleil noir et blanc, collants verts brillant sur ses puissants mollets, sans compter ses extraordinaires lunettes rondes fluo, conférant à son visage des éclats clownesques.
L’accueil est enthousiaste—nul ne penserait, fût-ce une seconde, à se moquer du vieux travesti, et c’est sans l’ombre d’un sarcasme que les enfants l’interpellent « grand-mère » (奶奶, nǎinai). Car de la sorte, Yinglai prétend offrir à sa mère la fille qu’elle n’a pas eu. C’est ainsi qu’après une belle journée au parc, il retourne auprès de sa vieille mère et après l’avoir enlacée et lui avoir réitéré à multiples reprises son affection, il lui conte son excentrique après-midi… De la sorte, parfois, il parvient à la faire rire.
Ce que Yinglai ne dit à personne, c’est que sa mascarade porte pour lui un autre sens, bien plus secret. Durant tout le temps de sa performance, il cesse d’être le mendiant et le gueux que tout le monde méprise en semaine. Finis, les haillons et les mauvaises odeurs. Il est transfiguré, propre et soigné jusqu’aux ongles. Envolée, l’image d’un misérable rejeté et à la marge : Yinglai est sur scène, fier de se produire, arborant sa dignité retrouvée. Et s’il était un pauvre solitaire, en fin d’une vie ratée, le voici au cœur d’une fête bon vivant, dont il est le héros. N’est-ce pas là, d’une pichenette, avoir changé le cours de l’existence, et joué un bon tour au destin ?
Cet article a été publié pour la première fois le 24 mars 2017 dans le Vent de la Chine – Numéro 12 (2017)
10 – 12 mars, Wenzhou : WIE – Wenzhou Industry Expo, Foire industrielle internationale de Wenzhou
14 – 16 mars, Shenzhen : INTERWINE, Salon chinois international du vin, de la bière, et des boissons
15 – 17 mars, Shanghai : FIC- Food Ingredients China, Salon international des additifs alimentaires et des ingrédients
16 – 18 mars, Shenzhen : DTC – China (Dongguan) International Textile & Clothing Industry Fair, Salon international des tissus et de l’habillement
18 – 21 mars, Canton : CIFF – China International Furniture Fair, Salon international de l’ameublement
19 – 22 mars, Pékin : Build + Decor, Salon international de la construction et de la décoration
28-30 mars, Shanghai : CHIC/Intertextile Shanghai,, Salon chinois international de la mode, de l’habillement et des accessoires
28-31 mars, Shanghai : Hotel & Shop Plus, Salon international de l’hôtellerie et des espaces commerciaux
29 mars-1 avril, Shenzhen : ITES – Industrial Technology and Equipment Shenzhen, salon des technologies et des équipements de fabrication de pointe
1-3 avril, Shanghai : SIOF – Shanghai International Optics Fair, Salon international de l’optique
7-9 avril, Shenzhen : CEF – China Electronic Fair, Salon chinois de l’électronique
7-9 avril, Shenzhen : Toy & Edu, Salon international du jeu et du jouet en Chine
8 avril, Pékin : CIEET – China International Education Exhibition Tour, Salon chinois international de l’éducation