Le Vent de la Chine Numéro 35 (2020)

du 2 au 8 novembre 2020

Editorial : Au 5ème Plenum, Xi Jinping orchestre l’après 2022
Au 5ème Plenum, Xi Jinping orchestre l’après 2022

Le contraste est saisissant. Alors que les États-Unis s’apprêtent à élire leur prochain Président, assaillis par la Covid-19, le virus semble sous contrôle en Chine, seule grande économie qui pourra se targuer d’une croissance positive cette année (autour de 2%). Malgré le fait que l’image de la Chine n’ait jamais été aussi mauvaise en Occident et qu’elle suscite le ressentiment dans bon nombre de pays européens qui se reconfinent, le Président Xi Jinping comptait bien capitaliser sur son succès sanitaire pour s’assurer du soutien des 364 membres titulaires et suppléants du Comité Central réunis à huis clos à l’hôtel Jingxi à Pékin pour le 5ème Plenum du 19ème Congrès (26 au 29 octobre).

Traditionnellement, le 5ème Plenum valide les recommandations concernant le prochain plan quinquennal, et les grandes promotions internes, préparant la succession de l’équipe dirigeante suivante, comme la nomination de Xi Jinping en tant que vice-président de la Commission militaire centrale en 2010.

Cette année faisait exception puisque durant quatre jours Xi Jinping a fait campagne pour convaincre les hauts cadres que lui seul a les ressources politiques, la détermination et l’expérience nécessaires pour naviguer en ces eaux (internationales) agitées, plaidant ainsi pour se maintenir au pouvoir au-delà des deux mandats initialement prévus, c’est-à-dire après 2022.

Et il semble avoir réussi son pari puisque le communiqué déclarait « qu’avec Xi Jinping à la barre du navire « Chine » (…), nous serons certainement capables de surmonter toutes les épreuves et tous les dangers sur notre chemin ». Le document relevait aussi un « profond ajustement des équilibres internationaux, jamais vu durant le siècle passé » mais également « une période d’opportunités stratégiques à saisir » pour la Chine. Il reflétait les priorités actuelles, mentionnant plus de vingt fois les termes « sécurité », « innovation », et « technologie », contre seulement deux fois « croissance économique ».

Ce n’est pas un hasard si l’implication personnelle de Xi Jinping dans l’élaboration de non pas un, mais de deux plans de route (le 14ème plan quinquennal de 2021 à 2025 et « Vision 2035 ») – une tâche habituellement du ressort du Premier ministre – était soulignée. En temps normal, la mise en œuvre d’un plan quinquennal sur deux incombe à la prochaine équipe dirigeante, pouvant parfois diluer son exécution. Mais cette fois, Xi Jinping n’a aucune intention de confier son second plan à quelqu’un d’autre, puisqu’il a toutes les chances d’être encore aux manettes jusqu’en 2027, qui serait la fin de son troisième mandat. Cela peut expliquer le nouvel objectif annoncé d’une armée « entièrement modernisée » capable de rivaliser avec celle américaine (et de la décourager d’intervenir dans le détroit de Taïwan) en 2027, l’année du centenaire de l’APL.

Autre nouveauté : le plan « Vision 2035 », qui ambitionne de faire de la Chine une « grande nation socialiste moderne » d’ici 15 ans avec un « PIB par habitant qui atteindra le niveau des pays moyennement développés », soit le double du niveau actuel de 10 000 $, selon Tian Yun, vice-directeur de la « Beijing Economic Operation Association ». Pour y parvenir, le PIB devrait croître en moyenne de 3,5% par an. Cette « vision » pourrait-elle suggérer une extension du leadership de Xi Jinping jusqu’en 2035 ? Impossible d’exclure cette possibilité…. À cette échéance, le leader aura 82 ans et assisté à trois autres élections présidentielles américaines. Mais pourquoi 2035 ? Probablement parce que cette date est à mi-chemin entre les deux objectifs centenaires de 2021 et 2049, permettant à Xi Jinping d’influencer la politique du pays à moyen terme, qu’il reste au pouvoir ou non.


Portrait : Chen Yixin, l’assurance « tous risques » de Xi
Chen Yixin, l’assurance « tous risques » de Xi

Jusqu’à février dernier, son nom était encore peu connu du grand public. C’est lorsqu’il a été envoyé à Wuhan en tant que directeur adjoint du « groupe central de la lutte contre l’épidémie » que Chen Yixin (陈一新), 61 ans, a réellement fait parler de lui. Sur place, il était loin d’être un inconnu puisqu’il a été secrétaire du Parti à Wuhan, puis vice-secrétaire du Hubei, entre 2016 et 2017. Son passage de 15 mois n’a pourtant pas marqué les esprits, si ce n’est pour avoir sermonné les cadres locaux de ne pas s’être attelés à la réduction des tracasseries administratives…

Alors, pourquoi envoyer Chen  Yixin à Wuhan ? D’abord,  Chen disposait de suffisamment d’appuis sur place, mais pas trop non plus, pour permettre le départ de Ma Guoqiang, qui lui avait succédé, et  de Jiang Chaoliang, un allié du vice-président Wang Qishan. Mais surtout, envoyer Chen permettait au président Xi Jinping d’avoir un homme de confiance sur place. Fidèle à sa réputation d’homme ordonné, déterminé, calme et de bon communicant, Chen transmettait ainsi ses premières consignes via WeChat aux cadres de Wuhan : « je m’appelle Chen Yixin, et je suis de retour (…) pour me battre à vos côtés ».

Né en 1959 dans le Zhejiang, Chen Yixin a eu la chance de côtoyer Xi Jinping lorsque le futur président était gouverneur puis secrétaire du Parti de cette province (2002-2007). On peut donc considérer Chen comme un membre de la « nouvelle armée du Zhijiang », au même titre que le patron de la propagande Huang Kunming, le secrétaire de Pékin Cai Qi, ou le nouveau secrétaire du Hubei Ying Yong. Depuis l’ascension de Xi au pouvoir, Chen Yixin a été promu cinq fois.

Chen Yixin et Jack Ma, fondateur d’Alibaba en 2018

Durant ses 17 mois à Jinhua (Zhejiang) à partir de 2012, Chen brillait pour avoir réussi à convaincre Alibaba d’installer sa plateforme logistique Cainiao sur un terrain de 23 000 mu, dont les habitants ont été expropriés en seulement 100 jours. Promu fin 2013 en tant que secrétaire de Wenzhou, la « Jérusalem chinoise », Chen aurait joué un rôle important dans la vaste campagne de destruction des croix au sommet des clochers d’églises aux côtés de Xia Baolong (aujourd’hui directeur du Bureau central des affaires hongkongaises) et aurait contribué à sortir la ville de sa pire crise financière. À peine deux ans plus tard, Chen obtenait son premier poste à Pékin et devenait vice-directeur de l’unité de travail du nouveau groupe central pour l’approfondissement de la réforme, le « think tank de Zhongnanhai », fondé par Xi Jinping mais dirigé par l’influent Wang Huning. Dans un effort d’assainissement de l’appareil de la sécurité publique, Xi plaçait ensuite Chen, son homme de confiance, en tant que secrétaire général de la Commission centrale des affaires politiques et légales en mars 2018. Grâce à ce soutien au plus haut niveau, Chen détient considérablement plus de pouvoirs que son prédécesseur Wang Yongqing, lui permettant ainsi de court-circuiter son chef Guo Shengkun, issu de la faction de l’ancien vice-président Zeng Qinghong. Chargé d’assurer la stabilité du pays en une période de turbulences « venues de l’extérieur » (principalement de Washington), Chen identifiait en avril 2019 pas moins de 30 « risques » menaçant la sécurité politique du pays (du Parti). « À mesure que notre pays se rapproche du centre de la scène internationale, les risques ‘importés’ sont en augmentation et deviennent la plus grande source d’incertitudes à notre sécurité domestique », écrivait-il dans le Study Times, journal affilié à l’Ecole centrale du Parti. Lors de la crise à Hong Kong cet été-là, Chen veilla à ce que la surveillance soit renforcée sur internet. Il tenait le même discours à Wuhan début 2020, admonestant les cadres de se préparer sur les deux champs de bataille, « en ligne et hors ligne » : « il faut traiter scrupuleusement les rumeurs et promouvoir les histoires touchantes qui ont lieu en première ligne de l’épidémie ». C’est donc en partie à Chen que l’on doit les vidéos d’infirmières et malades de la Covid-19 dansant ensemble dans les hôpitaux d’urgence.

Chen Yixin visite un hôpital d’urgence en construction à Wuhan

Une fois sa mission de deux mois terminée à Wuhan, Chen était chargé d’une autre tâche, toute aussi délicate : mener une campagne de « rectification » du système politico-légal, visant à s’assurer de « la loyauté absolue, la pureté absolue, la fiabilité absolue » des juges, policiers et agents de la sécurité d’état à tous niveaux, et à débusquer les « doubles visages » (双面)- cadres soupçonnés de ne pas être loyaux à Xi, malhonnêtes ou hypocrites. En phase de test dans quelques villes jusqu’à la fin de l’année, la campagne sera étendue à la nation entière en 2021 et devrait prendre fin en 2022. Parmi les premières victimes : le chef de la police de Shanghai, le chef de la police de Chongqing, le patron des prisons de Mongolie-Intérieure, le chef de la sécurité publique à Jiangmen (Guangdong)… Jusqu’à présent, 373 cadres ont été mis sous enquête, 1 040 autres ont été sanctionnés. 1 500 se sont dénoncés d’eux-mêmes… Pour mémoire, la campagne « anti-triades » des trois dernières années a attrapé plus de 67 190 flics « corrompus », de mèche avec les criminels. Cette fois, cette « campagne de rectification » a pour objectif de prévenir tout incident interne, « à la Wang Lijun » ou « à la Meng Hongwei », qui pourrait se transformer en une crise domestique majeure et contrarier les plans de Xi Jinping, qui ambitionne d’être reconduit pour (au moins) cinq ans supplémentaires lors du décisif 20ème Congrès d’octobre 2022, brisant ainsi toutes les règles préétablies de succession au sein du Parti, mais se mettant également à dos un certain nombre de cadres qui pouvaient prétendre à une promotion… 

Finalement, deux théories s’opposent quant à l’avenir de Chen Yixin : certains analystes le voient déjà prendre la place de Guo Shengkun en 2022 avec montée au Politburo à la clé, l’actuel conseiller d’État et ministre de la Sécurité Publique Zhao Kezhi devant prendre sa retraite d’ici deux ans. Problème : Chen n’est même pas encore membre du Comité Central, n’étant que suppléant. Selon Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius, ce n’est pas un obstacle à la promotion de Chen Yixin, lorsque l’on sait que des « doubles non » (« 双非 », ni membre du Comité Central, ni même suppléant) comme Cai Qi ou Chen Jining (respectivement secrétaire du Parti et maire de Pékin) ont été promus d’une traite, parfois jusqu’au Politburo. Toutefois, l’analyste canadien prévoit un scénario de transition plus long pour Chen Yixin : pourquoi pas secrétaire adjoint de la Commission centrale des affaires politiques et légales entre 2021-2026 (à la place actuelle de Zhao Kezhi) pour ensuite faire le test du «七上八下», permettant aux cadres jusqu’à 67 ans d’être nommés et à ceux ayant atteint les 68 ans d’être remplacés. « Afin de conserver le pouvoir, Xi Jinping doit se concentrer sur les cadres nés entre 1962 et 1963, ceux qui peuvent vraiment tenir jusqu’en 2027. Or, ceux nés en 1958 et 1959 , comme Chen Yixin, devront prendre leur retraite avant cette échéance ». Même s’il n’accède pas à une place de premier plan, Chen se verra sûrement confier d’autres missions de première importance dans les prochaines années pour le compte de son puissant patron. A ce titre, il reste un personnage à suivre.


Automobile : Les taxis pékinois s’échangent leurs batteries

La Xiali (FAW), la Fukang (Citroën), la Jetta (Volkswagen)… Mr Huang, chauffeur de taxi à Pékin depuis trois décennies, les a toutes connues. Il y a quelques mois, il a pourtant dû se séparer de sa Hyundai Elantra à essence, après huit ans de bons et loyaux services, pour prendre possession d’un modèle électrique du constructeur pékinois BAIC : la « EU300 », offrant une autonomie de 300 km. « C’est suffisant, déclare Mr Huang, je fais plus d’une centaine de km par jour en ville ». Pas de problème non plus pour emprunter l’autoroute : « elle peut monter à 120 km/h », affirme-t-il. Le chauffeur apprécie également la transmission automatique, moins fatigante dans les bouchons… La véritable originalité se situe sous le capot : en effet, Mr Huang n’a pas besoin de recharger sa voiture à une borne, il lui suffit d’échanger sa batterie dans l’une des 90 stations en opération à l’intérieur du 5ème périphérique, à Tongzhou et près des deux aéroports.

Après avoir expérimenté le système de bornes de rechargement des taxis à Shenzhen, Taiyuan ou Xiamen, l’Etat a désigné deux « zones pilotes » pour tester celui de permutation de batteries : Pékin et l’île tropicale de Hainan, EDF et CF Energy ont mis en service une première station (d’échange de batteries). Cette technologie, dont les constructeurs BAIC et NIO sont les leaders sur le marché, présente plusieurs avantages : non seulement l’échange de batterie est beaucoup plus rapide que le rechargement à des bornes, mais il prolongerait la durée de vie des batteries de 30%. De plus, les stations d’échanges prennent six fois moins de place que les bornes de recharge, un atout majeur dans les grandes villes, où l’immobilier est souvent hors de prix.

De l’extérieur, une station lambda ressemble à un petit entrepôt, composé de trois conteneurs marron (cf photo), que la voiture traverse comme un « car wash ». Mr Huang n’a même pas besoin de descendre de son taxi : « c’est la machine qui change ma batterie, je n’ai rien à faire ». Un employé est tout de même présent pour s’assurer du bon déroulement des opérations.

En 3 minutes, la batterie est remplacée et Mr Huang n’a plus qu’à régler via une application mobile nommée Aodong (奥动), qui permet aussi de géolocaliser la station la plus proche (cf capture d’écran) de savoir combien de batteries y sont disponibles et combien de véhicules y font la queue. Et le prix est plutôt compétitif : « je paie 0,35 yuan par kilomètre parcouru, cela me coûte donc moins cher que l’essence », explique-t-il. Pour parcourir 200km, Mr Huang paie donc 70 yuans d’électricité contre environ 120 yuans d’essence. Cela lui permet d’économiser 50 yuans par jour environ, ce qui vient compenser la perte de 1 yuan par course au titre de participation aux frais d’essence. De plus, depuis le début de l’année, l’application distribue des coupons de réductions d’une valeur de 18 yuans (soit 50km) à tous les taxis ayant parcouru plus de 150 km. Et en cas de retard à la station, un dédommagement est prévu : entre 5 à 10 yuans pour 30 minutes d’attente. De même, le groupe BAIC devrait lancer un service de livraison de pièces détachées en moins de 24h.

D’ici deux ans, la municipalité ambitionne d’avoir converti à l’électrique les 70 000 taxis en circulation, dont 20 000 taxis d’ici fin 2020, pour un investissement total de 1,3 milliard de $. A cause de l’épidémie, elle a toutefois pris du retard : seuls 8 256 taxis ont été convertis.

Attiré par les généreuses subventions de la mairie, à hauteur de 73 800 yuans par véhicule BAIC (soit l’équivalent de la batterie, l’élément le plus cher du véhicule) sur un prix total de 120 000 yuans, Mr Cui, patron d’une compagnie, va changer sa flotte de taxis. Il n’est toutefois pas entièrement convaincu par le système : « chaque véhicule devra changer sa batterie au moins une fois par jour, il est donc inévitable à terme que de longues queues se forment devant les stations. De plus, l’autonomie affichée de la batterie n’est pas fiable. Il faut donc prévoir une alternative ».

En grande majorité, les chauffeurs rechignent à troquer leur taxi à essence pour un électrique : « ce passage forcé à l’électrique est prématuré, la technologie est immature » ; « ce système est plus adapté pour les villes de second ou de troisième tiers, mais à Pékin, les distances sont trop grandes » ; « on en sait trop peu sur la durée de vie des batteries, qui perdent en plus leur charge durant l’hiver » ; « les sièges sont trop durs, inconfortables »… Malgré leur scepticisme, souvent l’apanage du changement, les chauffeurs de taxi n’auront d’autre choix que de se laisser convaincre par l’électrique, de passer chez Didi, ou de changer de métier. L’un d’entre eux soulève néanmoins un point important : « on prétend lutter avec ces voitures électriques contre la pollution de l’air, mais leurs batteries sont elles aussi très polluantes à fabriquer, et nuisent à l’environnement si elles sont mal recyclées ».

Justement, Greenpeace vient de tirer la sonnette d’alarme à ce sujet : « un raz de marée de vieilles batteries va inonder la Chine », avertit Ada Kong. La prochaine décennie, la Chine va devoir recycler 7,05 millions de tonnes de vieilles batteries selon les calculs de l’ONG. Un chiffre amené à augmenter alors que les véhicules à énergie nouvelle (NEV) devront représenter 50% des ventes en Chine d’ici 2035, dont 95% seront des véhicules électriques à batterie. « Pour que les véhicules électriques soient réellement une solution durable et écologique, il est de la responsabilité des producteurs de trouver un moyen de réutiliser les batteries, en tant que système d’alimentation de secours pour les stations 5G par exemple. Le gouvernement doit également rendre leur recyclage (ou leur réutilisation) obligatoire », explique Ada.

Autre aspect environnemental : un récent rapport du think tank « Arval Mobility Observatory » révèle que le bilan carbone d’un véhicule électrique roulant en Chine serait équivalent à celui d’un véhicule thermique, puisque l’énergie de ses batteries est essentiellement fournie par des centrales à charbon… La transition énergétique chinoise prendra certes des années, mais ne dit-on pas qu’il faut bien commencer quelque part ?


Petit Peuple : Wuli (Jiangxi) – La quête de l’enfant perdu (1ère partie)

En 1992 à Wuli, dans le district de Jiujiang (Jiangxi), Li Guoming et son épouse Li Fen vivaient plutôt heureux dans leur fermette, à proximité de leur clan, bossant dur, avec juste assez de légumes et de riz pour vivre hors du besoin. Ils avaient eu Fang Fang, leur fillette de deux ans, et le frère aîné de Guoming venait d’avoir des jumelles. Mais le soir du banquet pour fêter l’événement en famille, s’était produit un incident : après avoir sifflé quelques coupes de vin jaune sans sourire ni piper mot, le patriarche s’était brusquement levé pour quitter la salle. Suivi à distance, il s’était dirigé vers le cimetière au sommet de la colline pour se mettre à sangloter bruyamment, reprochant aux dieux de ne pas lui avoir donné d’héritier mâle. L’événement avait bouleversé Guoming, qui avait décidé alors de lui donner coûte que coûte satisfaction.

Cela faisait longtemps qu’il y pensait, et qu’avec Fen, ils tergiversaient. Car faire un second enfant était un pari plein de risques. Cela faisait dix ans que les naissances étaient limitées à un enfant par couple, et la police spéciale du planning familial y veillait durement. Certes depuis deux ans, une seconde naissance était tolérée à la campagne, si la première avait été une fille. Mais si cet enfant s’avérait être une autre fille, Fen risquait fort de se retrouver très fermement « invitée » à se faire stériliser. Voilà pourquoi, tout en visant à faire cet enfant, ils prirent le parti de le faire en secret.

Pour la jeune femme suivirent neuf mois terribles. Elle dut en permanence cacher la grossesse par des vêtements beaucoup trop serrés. Par prudence, s’étant réfugiée chez sa mère, elle vivait loin de son mari. Si elle se faisait prendre, suivraient non seulement la ligature forcée, mais peut-être aussi la destruction de leur maison – la poutre faîtière de leur ferme, tirée par un tracteur pour faire s’effondrer le toit sur le mobilier.

La naissance, le 9 décembre 1993, elle dut l’affronter seule – faire venir une sage-femme était hors de question, sous l’œil du voisinage ! L’accouchement fut interminable, sous les spasmes et douleurs. Enfin à l’aube, l’enfant parut – une fille, ce qu’ils avaient redouté ! Pire, la gamine ne pouvait être déclarée – elle serait donc privée de carte d’identité et de tous les droits qui en découlaient : prise en charge à l’école, à l’hôpital… Et plus encore que durant la grossesse, Guoming et Fen voyaient peser l’épée de Damoclès d’une sanction lourde s’ils étaient découverts : l’époque était au déchirement politique, au sein du Parti. Trois ans après la fin sanglante du printemps de Pékin, Deng Xiaoping venait une fois de plus de tourner casaque, en mettant fin à la chasse aux dissidents. Entre conservateurs et réformistes, la bataille faisait rage : l’heure n’était ni à la compassion ni à la réconciliation !

C’est alors que Guihua, le frère de Li Fen, fit une séduisante proposition. Son beau-frère, chef de village à 100 km, rêvait d’avoir une fille, au moins pour quelque temps. Connaissant la situation des Li, cela ne lui ferait rien d’héberger la petite Mengyuan (ainsi l’avait nommée Guoming), le temps que se calme la tempête. Mais il fallait faire vite : la police des berceaux était sur le qui-vive, pour débusquer les naissances illicites, et leur risque était haut, sous les pleurs incessants de la petite, que tous les voisins pouvaient entendre !

Fen et Guoming vécurent alors une semaine difficile, confrontés à cette offre. Guoming ne voulait en aucun cas lâcher la petite : et si ce gars qu’ils ne connaissaient pas décidait soudain de la garder ? Guihua les rassura : entre Chinois, on ne se faisait pas ce genre de coup, et moins encore entre gens du même clan. Et puis son beau-frère était homme à tenir parole. De plus, c’était notoire, l’épouse du chef du village exprimait les plus fortes réticences à la perspective d’élever l’enfant issu des entrailles d’une autre femme, et ne se résoudrait à le faire que pour un temps limité, pour satisfaire les lubies de son mari. En résumé, il n’y avait aucun danger. Aussi ce fut Li Fen qui trancha : au nom de la sécurité, elle convainquit Guoming d’accepter la séparation d’avec Mengyuan.

Le 16 décembre, le poupon de 8 jours fut chargé dans une voiture, avec quelques layettes, biberons, alèse, pot de lait maternisé, une liasse de billets pour les frais, et un petit stock de nouilles séchées et de nougat au riz soufflé. Ces vivres, selon la croyance populaire, devaient faire que la gamine se rappelle l’adresse des parents et y revienne. Li Fen ne participa pas au voyage : épuisée, elle s’était remise en couche où, selon la tradition, elle était supposée rester 100 jours.

Arrivés deux heures plus tard devant la maison du chef du village, Guoming et son frère frappèrent trois coups, selon le signal convenu. La porte s’ouvrit. Dans un silence total, Guoming remit le nourrisson avec sa valise. Puis ils se retournèrent sans un mot. La porte se referma. Guihua actionna le démarreur. En Guoming, cet instant fit circuler à travers son corps un éclair incandescent, une onde de douleur ineffable, comme si « la chair lui était raclée des os » (gǔ ròu fēn lí,骨肉分离) !

Quand Li Guoming et Fen pourront-ils revoir leur petite fille ? On le saura, ami lecteur, dès la semaine prochaine !


Rendez-vous : Semaines du 2 au 28 novembre
Semaines du 2 au 28 novembre

2-3 novembre, Shanghai : Fugitive Emissions Summit China, Salon international et conférence dédiés aux émissions fugitives

3-5 novembre, Shenzhen : LEAP EXPO, Exposition industrielle axée sur la fabrication électronique, l’automatisation industrielle et l’industrie laser

3 – 6 novembre, Shanghai : CEMAT Asia, Salon des matériels de manutention, des techniques d’automatisation, de transport et de logistique

5-10 novembre, Shanghai : CIIE – China International Import Expo, Salon International des importations

9-11 novembre, Canton : Interwine China, Salon international du vin, de la bière, et des procédés, technologies et équipements pour les boissons

10-12 novembre, Shanghai : Prowine ChinaSalon international du vin et des spiritueux en Chine

10-15 novembre, Zhuhai : Airshow China, Salon international de l’aéronautique et de l’espace – Repoussé à une date ultérieure (TBC)

10-15 novembre, Shenzhen : CHTF – China Hi-Tech FairSalon international des ordinateurs et des télécommunications, des applications et services logiciels, de l’électronique grand public, de l’électronique pour l’automobile

12-15 novembre, Tianjin : Tianjin Meijiang Tea Industry and Tea Culture Expo, Salon de l’industrie du thé et de la culture du thé

13-15 novembre, Pékin : CIOGE – China International Organic & Green Food Expo,Salon des technologies et équipements de production d’aliments et de boissons, des condiments et autres produits alimentaire d’origine biologique

16-18 novembre, Shanghai : CEF – China Electronic Fair, Salon chinois de l’électronique

16-18 novembre, Shanghai  : PCIM Asia, Salon international et congrès sur l’électronique de puissance, le contrôle de déplacement, les énergies renouvelables et la gestion de l’énergie

19-21 novembre, Shanghai : CHINASHOP – China Retail Trade Fair, Salon dédié aux technologies de pointe et aux nouvelles solutions pour le commerce de détail

19-21 novembre, Shanghai : PAPERWORLD, Salon professionnel des fournitures pour le bureau et pour l’école, de la papeterie et des matériaux pour les arts graphiques

19-22 novembre, Shanghai  : Shanghai International Art Fair, Salon international de l’art de Shanghai

25-27 novembre, Shanghai : PROPAK, Salon spécialisé dans la transformation alimentaire et l’emballage