Le Vent de la Chine Numéro 25 (2018)

du 1 au 7 juillet 2018

Editorial : Drôle de guerre commerciale

Pékin, Washington et les autres acteurs du bras de fer commercial en cours, semblent bien partis pour s’enfoncer dans une guerre de tranchées.

La Chine manifeste une nouvelle priorité urgente : s’auto-absoudre du reproche de patriotisme technologique.  Le 26 juin, elle soulève la possibilité que ses concours scientifiques, aujourd’hui strictement réservés aux chercheurs chinois, s’ouvrent aux étrangers. Plus tôt dans l’année, elle leur ouvrait déjà la candidature à des bourses et projets scientifiques nationaux. Dédramatiser, voilà la nouvelle ligne. Prise d’humilité, Pékin ne veut plus se vanter de ses prouesses technologique nationales : Liu Yadong, rédacteur en chef du Science & Technology Daily (du ministère éponyme) déclare à présent que « la Chine se ment à elle-même, en se croyant leader mondial en ces domaines »…

La Chine veut aussi rassurer l’Union Européenne. Avec le commissaire  J. Katainen (cf photo) le 25 juin, elle lance un groupe de travail pour réformer les règles de l’OMC sur les sujets qui fâchent : l’accès aux marchés respectifs  et les transferts de technologies, que le plan « Made in China 2025 » force les firmes étrangères à céder en échange de leur accès au marché national. Le groupe de travail débutera à Bruxelles en juillet lors du sommet Europe-Chine. Egalement victime des règles protectionnistes de Pékin, l’UE veut négocier avec la Chine pour remettre l’OMC à flot –car pour le commissaire, l’organisation de Genève est structurellement dépassée, incapable de faire face aux mutations rapides de l’économie mondiale. « Si rien n’est fait, craint-il, l’environnement du commerce multilatéral disparaîtra ». 

Il y a urgence : en son dernier rapport, la Chambre de Commerce Européenne constate que 19% de ses 532 entreprises membres s’estiment forcées par la Chine de céder leurs brevets, taux qui passe à 27% dans l’automobile, 36% dans l’aéronautique, et 100% dans les télécoms et industries de l’information.

De son côté, Trump reste le doigt sur la gâchette. Le 6 juillet, date prévue de publication de ses rétorsions contre la Chine, il s’apprête aussi à durcir une loi restreignant les investissements « étrangers » dans la technologie. En son cabinet, entre P. Navarro le faucon et St. Mnuchin la colombe, un compromis a été trouvé pour garder la porte entrouverte, mais empêcher des forces hostiles de prendre des parts dans des start-ups de secteurs tels la robotique ou l’intelligence artificielle. A Washington, des voix proches du pouvoir assurent que ces défenses ne concerneront que la Chine, et non  l’Europe.

En bref, pour éviter la guerre commerciale, la seule solution pacifique qui se présente, est ce groupe de travail sino-européen. Encore faudra-t-il que la Chine y fasse de vrais compromis, ce qui est aujourd’hui illusoire : le 28 mai encore, Xi Jinping déclamait que « ce n’est qu’en gardant la main sur les technologies-clé… que nous pourrons garantir notre sécurité nationale, au plan économique comme militaire ». Et encore faudrait-il que les Etats-Unis acceptent de s’y rallier… Pour Scott Kennedy du Centre d’études stratégiques internationales de Washington, un tel pas est probablement inéluctable : « Il ne sera pas dans l’intérêt des USA de rester retranchés dans leur forteresse‘ America’, quand les autres seront en train d’inventer les règles du jeu du siècle prochain »…

En attendant, la Chine prend des mesures préparatoires, qui n’ont rien de rassurant . Fin avril, elle revendait déjà pour 5 milliards de $ de bons du trésor US. Le 25 juin, elle réduisait ses réserves obligatoires aux banques, pour leur donner latitude de prêter aux entreprises en difficulté 100 milliards de $. Et en 10 jours jusqu’au 23 juin, son yuan se dépréciait de 3,7%, à 6,6 yuans pour 1 $. 

Toutes ces mesures témoignent d’une volonté chinoise de se prémunir des sanctions, de protéger ses entreprises publiques. Mais elles promettent aussi un endettement futur accru et une érosion préoccupante de l’esprit de multilatéralisme que la Chine prétend pourtant défendre. C’est préoccupant pour l’avenir.


Diplomatie : La visite de courtoisie d’Edouard Philippe

Sous bien des aspects, la visite chinoise du Premier ministre français E. Philippe (23-25 juin) eut un petit air de déjà vu. Certes, le chef du gouvernement avait tenté d’innover en s’entourant d’une vingtaine de start-ups. Mais au reste, le voyage sembla calqué sur d’autres de ce gouvernement et de précédents et d’autres leaders européens, de par ses étapes (Shenzhen-Shanghai-Pékin) et par ses visites de sites industriels. A Shanghai, E. Philippe découvrait la première ligne de métro automatique de Chine (cf photo), exploitée par Keolis, ou ce porte-conteneurs de CMA-CGM à quai au port en eaux profondes de Yangshan, situé dans la baie de Hangzhou.

A Pékin, il était reçu par Xi Jinping et Li Keqiang, manifestement désireux de donner de la face à l’hôte, sans pour autant faire de concessions. En cette période de tension avec les USA, il s’agissait de cultiver l’amitié, sans remettre en cause des règles du jeu qui tant profitèrent à la Chine depuis 25 ans. Xi fit une homélie sur l’urgence de « cultiver de nouveaux moteurs de croissance », « dans un souci de confiance mutuelle et d’égalité de traitement ».

Hélas, les fruits de la mission n’apparaissent pas frappés au coin de ces principes. E. Philippe croit pouvoir affirmer que Pékin s’apprête à « honorer bientôt » une commande de 184 Airbus A320, déjà miroitée en janvier lors de la visite d’Emmanuel Macron.  La promesse gagne en plausibilité du fait de la mauvaise passe dans laquelle se trouve tout produit d’exportation américain, Boeing inclus. Pékin lève aussi l’embargo de 2001 sur le bœuf français avec un quota de 30.000 tonnes par an. La Chine ouvrira un peu plus l’export de semence bovine, de porc (2 abattoirs agréés – Bigard et Tradival), et de lait maternisé (2 usines agréées – Baby Drink et Candia).

Côté nucléaire, 10 ans de palabres s’éternisent, sur le centre de retraitement de combustible à 12 milliards d’€ livrable par Orano (anciennement Areva). Seul sort est confirmé un contrat de 20 millions d’€, pour travaux « préparatoires ». Par comparaison, Pékin signe avec la Russie, un contrat de 4 voire 6 réacteurs nucléaires, pour un budget supérieur à celui guigné par Orano. C’est peut-être ce qui pousse M. Aglietta, chercheur au centre d’études CEPII, à voir en cette médiocrité l’effet d’une méfiance mutuelle entre Chine et l’Occident. Sur les « routes de la soie » (BRI), E. Philippe a plaidé pour des projets « transparents » où des firmes françaises reçoivent leur part, en contrepartie d’un soutien français au BRI. Il a même remis à Li Keqiang une liste de chantiers en pays tiers, pouvant être réalisés conjointement—comme pour « prendre la Chine au mot »…

Au final, l’impression qui se dégage de cette visite, est celle d’une courtoisie bien élevée, qui cache le peu d’envie de parler clair. Cela permet de pallier la mésentente, tout en restant bons amis !


Religion : Pékin-Vatican : Une reprise cahin-caha

L’accord qui s’esquissait en janvier entre le Vatican et Pékin, n’a pas eu lieu. Le concordat annoncé par les deux parties reposait sur un rapport personnel entre Xi Jinping et le Pape François, qui cultivait cette relation depuis son élection en mars 2013. Mais des résistances de part et d’autre, ont fait reporter le deal.

Côté église de l’ombre, soutenue par le cardinal Joseph Zen de Hong Kong, on redoute que l’accord n’aboutisse à une mise au pas, approuvée par Rome : les églises au foyer refusant toujours la mainmise du Parti sur leur vie spirituelle.

Côté église officielle, la structure mise en place à partir de 1949 (l’Association patriotique des catholiques chinois) n’est nullement prête à céder quelque assouplissement que ce soit à ses privilèges et prérogatives, sur les 12 millions de fidèles estimés, dont 30% à 50% « officiels ».

Signe parlant, fin mars, Vincent Guo Xijin, évêque de Mindong (Fujian, église de l’ombre), disparaissait 24h, au moment où il devait se retirer sur demande du Pape, dans le cadre d’un accord projeté avec Pékin sur la quinzaine de prélats nommés par un bord et non reconnus par l’autre…

Cui Tai, évêque de Xuanshua (Hebei) a été enlevé mi-avril, et n’est pas ressorti. Depuis 2018, une nouvelle loi punit les paroisses organisant messes, processions, repas publics, sans permis, ou acceptant les dons de l’étranger. Le Henan bannit les moins de 18 ans dans les églises, et depuis 5 ans, à travers le pays, des milliers de croix ont été arrachées de lieux de cultes pas en règle…

En dépit de ces contraintes, le Pape fait contre mauvaise fortune bon cœur, et tente de reprendre la main : en interview, il déclare les pourparlers « en bonne voie », et les palabres « suivent le temps de Dieu» (fin mars, une équipe de diplomates chinois était signalée au Vatican). Conscient de la tendance dure qui règne dans un Parti aujourd’hui hostile aux concessions, le Pape « préfère prendre le risque du dialogue, à la certitude de défaite liée à son absence »…

En réalité, remarque l’ecclésiastique belge Jeroom Heyndrickx, fin connaisseur de la Chine, « le pape a dû composer avec son opposition interne, pour ne pas risquer la déchirure. D’autre part, l’accord visé est très limité, ne portant que sur la nomination des évêques », et non sur des questions aussi essentielles de la restitution des biens d’église, de la catéchèse, ou des lettres pastorales lues en chaire. « Pour arriver à une réconciliation complète, estime J. Heyndrickx, ce ne sont pas 1 à 2 ans qu’il faudra, mais 50 à 70 au bas mot » !


Monde de l'entreprise : Jin Jiang—Louvre Hôtels, l’imagination au pouvoir
Jin Jiang—Louvre Hôtels, l’imagination au pouvoir

Quand il fut repris en 2015 par Jin Jiang, groupe protéiforme filiale de la mairie de Shanghai, Louvre Hôtels, fondé 40 ans plus tôt par la maison de Champagne Taittinger, disposait de 1200 hôtels sous une palette de marques telles Première Classe, Kyriad, Campanile ou Golden Tulip. Suite à l’acquisition, Jin Jiang Group passait n°5 mondial avec plus de 7000 implantations sur 3 continents. Surtout, il devenait international et accédait à une source précieuse d’innovation hôtelière.  

Dès 2013, les groupes avaient entamé un rapprochement : 15 hôtels allaient proposer le petit-déjeuner français en Chine, et chinois en France, à une clientèle surtout chinoise. Suivait un accord de vente de nuitées sur les réseaux réciproques. Après la reprise, Jin Jiang confiait à Louvre Hôtels la gestion de 1700 établissements, et le développement en Chine des marques Campanile et Golden Tulip. L’enjeu était de transférer la technologie et la « french touch » d’hospitalité et de service.

Pour les marques de Louvre Hôtels aussi, c’était une bonne affaire : Jin Jiang leur offrait les moyens d’une expansion en cet eldorado hôtelier où le retour sur investissement est atteint en 4 ans en moyenne, contre 7 en Europe. Une structure de management dédiée, baptisée Jin Jiang Louvre Asia, permet d’accélérer les ouvertures de Campanile et Golden Tulip, mais aussi des enseignes chinoises Metropolo et Magnotel. Une formation est dispensée selon les normes, processus et standards de Louvre Hôtels : quelques 100 managers chinois auront été formés dans l’année, dont 30 en France.

En liaison avec le siège Europe à Paris, Jin Jiang développe à Shanghai une plateforme d’innovation : en 2018 cinq nouvelles marques sont en préparation, aux styles les plus divers, affûtés pour les goûts de voyageurs, d’âges, de moyens financiers et d’attentes culturelles différents.
Un showroom unique au monde, est également en cours de réalisation, à destination de ses investisseurs et franchisés : un hôtel dont chaque chambre résume l’esprit de chaque griffe – décoration scandinave et chic, ou bien chaleureuse et ludique… Françaises, hollandaises ou chinoises, toutes les marques y seront représentées.

Louvre Hôtels ne redoute pas la copie de ses styles de chambres et de services. Au contraire, celle-ci accélérera l’avènement en Chine des standards de qualité, sans lui faire ombrage puisque lui-même fait évoluer en permanence ses hôtels, pour suivre au jour le jour les besoins versatiles de cet Empire du voyage. En somme, entre Jin Jiang et Louvre Hôtels, le fruit du mariage, c’est l’imagination au pouvoir.


Monde de l'entreprise : A l’hôtel Campanile, l’avenir c’est maintenant !
A l’hôtel Campanile, l’avenir c’est maintenant !

Dans ce quartier d’affaires de Shanghai, l’édifice cache bien son jeu ! Ce Campanile « smart » est un laboratoire professionnel du groupe Jin Jiang Louvre : 180 chambres concentrent des innovations-clés susceptibles de bouleverser dans les décennies à venir, la perception traditionnelle de l’hôtellerie.

Poussant la porte d’entrée, le voyageur cherche en vain la réception. Encastrée dans un mur, une machine la remplace, invitant à introduire sa pièce d’identité, puis à préciser le nombre de nuitées et le type de chambre désiré. En échange, le client reçoit sur un ticket son numéro de chambre, et c’est son smartphone qui lui servira de clé.

A l’intérieur de la chambre, la décoration est sans luxe ostentatoire, étudiée pour inspirer une ambiance chaleureuse, un « chez soi ». Au mur, l’écran TV salue le client par son nom dans sa langue (chinois ou anglais pour commencer). Au pied du lit, un petit robot est prêt à converser avec lui, à régler ses rideaux, son éclairage ou sa climatisation selon ses instructions… Le futur robot, nouvelle génération, assurera le check-in du client, le conduira à sa chambre, lui proposera un room-service

Au rez-de-chaussée, le voyageur évolue dans un vaste open-space modulable de 800m2. Il peut y bouquiner un ouvrage pioché dans la bibliothèque partagée, regarder un film dans l’auditorium, profiter de la salle de coworking, ou jouer au baby-foot—objet culte du groupe hôtelier Louvre Hôtels. Selon Joël Guiraud, CEO de Jin Jiang Louvre Asia, « cet espace doit élargir la vie de l’hôtel, entre la clientèle internationale et le voisinage du quartier » par diverses animations interculturelles – diffusion de matchs sportifs, concerts, tournois de pétanque… Servies par une machine, des boissons sont proposées – vin ou bière au verre, café à la tasse – payables via WeChat ou Alipay

Pas de personnel, donc ? En fait si, l’employé est là, prêt à se substituer au service robotisé. « Nous avons voulu faire tomber la barrière entre le réceptionniste et le client, précise J. Guiraud, pas pour supprimer le personnel, mais pour le rendre plus disponible ».

Lors de l’ouverture officielle à Shanghai le 15 juillet, la chambre coûtera 480¥ (65€), 20% de moins que la moyenne en ville. A travers le pays d’ici décembre, Louvre Hôtels veut ouvrir 20 Campanile « smart » et 200 sous 4 ans, en toute confiance dans le succès de la formule. « Ce marché ‘moyenne gamme’ n’est pas encore saturé en Chine, remarque Christophe Gabé, directeur des Ouvertures Campanile, et c’est notre capacité à nous démarquer de la concurrence qui va nous permettre de réussir ! »


Culture : Un cinéma chinois très « clair obscur »
Un cinéma chinois très « clair obscur »

Le box-office chinois fait recette, avec 8.7 milliards de $ en 2017 (n°2 mondial) – un succès qui cache diverses réalités. Conformément aux goûts d’un public largement composé de jeunes adultes (21/22 ans), sensibles aux effets de mode, la programmation est concentrée sur des « blockbusters » (productions à gros budget), films historiques ou légendaires, d’art martiaux, comédies « fleur bleue » ou de propagande.

Mais surprise : les 50.000 salles du pays (qui seront 80.000 d’ici 2022), ne s’emplissent qu’à 15%. Les exploitants cherchent donc la formule pour améliorer ce taux d’occupation : en attirant les familles par exemple, avec des films d’animation – dont le succès ne se dément pas depuis Kung Fu Panda en 2008, œuvre hollywoodienne de DreamWorks. Côté production, elle est partagée entre maisons publiques (China Film Group, Huaxia Films, Shanghai Film Group), et privées (Huayi Brothers, Stellar Media Group), rejointes récemment par la cohorte des entrants du monde digital, Alibaba Pictures, iQiyi Motion Pictures (Baidu), Heyi Films (Youku Tudou), ou Tencent Pictures…

Pour assurer l’avenir, le cinéma chinois compte de plus en plus sur l’international. Par chance au même moment, les majors américains visant le marché chinois, cherchent à faire des coproductions avec l’Empire du Milieu — seul pays avec lequel ils acceptent un tel partage de marchés et de ressources. Problème : pour l’heure, le seul film chinois qui a du succès à l’étranger, dans les festivals, est celui d’art et d’essai…  Ainsi, le ministère de la Culture chinois cherche à développer ce segment, en y affectant 1000 écrans en 2018. 

Une des causes de cette faible diversité de la programmation dans les salles chinoises, est la censure : depuis 2013, chaque ville ou province décide séparément – un titre visé à Chengdu, peut être rejeté à Dalian… Chaque niveau décide selon sept critères nationaux : violence, sexe, politique, mafia, drogue, moralité, religion, critique d’un pays tiers.

Sous la tutelle de la Propagande, le China Film Bureau octroie les visas d’exploitation, y compris pour les 70 titres étrangers par an, dont la moitié sous quota, et l’autre en coproductions qui permettent de contourner cette limite. Il régit également les productions destinées à diffusion sur internet, à la TV et aux festivals intérieurs.

On notera enfin que le cinéma entre dans la panoplie des rétorsions de l’Etat chinois contre les pays qui lui déplaisent. Ainsi durant la crise nord-coréenne, suite au déploiement des rampes antimissiles américaines Thaad en 2017, films et séries sud-coréennes ont été éradiqués de toute programmation en Chine—jusqu’à ce jour.


Culture : Les Huayi Brothers dans le collimateur
Les Huayi Brothers dans le collimateur

Par Alex Payette, analyste

Le scandale Fan Bingbing n’en finit pas de faire des vagues. Alors que débutait en mai le tournage de « Cell Phone 2 », réalisé par Feng Xiaogang, l’actrice était accusée par l’animateur TV Cui Yongyuan de frauder le fisc par la technique de contrats « ying-yang », consistant à oublier la majeure part du cachet (50 millions de ¥ pour 4 jours de tournage, dont seuls 10 déclarés). Par la suite, Huayi Brothers, la maison productrice, 7ème du pays, était visitée par des inspecteurs des impôts : son action en bourse de Shenzhen dévissait alors de 10%, le 4 juin—2,3 milliards de ¥ partis en fumée… Puis le 12 juin, les frères Wang, Zhongjun et Zhonglei, grands actionnaires, montaient au créneau pour garantir la « quasi-totalité » du capital. C’était pour rassurer, mais ils obtenaient l’effet inverse, paniquant les petits porteurs. C’est que depuis 2017, Huayi Brothers croule sous les dettes, ayant grillé de 25% de sa valorisation boursière..

Milliardaires, ces frères Wang sont issus d’une famille militaire influente au réseau étendu, notamment auprès du groupe CITIC, une des grosses compagnies d’investissements « privées » du pays. Sans nul hasard, la mise de fonds initiale du groupe Huayi Brothers en 1994, venait de la CITIC. À en croire la rumeur, une partie des actions de Huayi seraient aux mains de Jia Yueting, le PDG-fondateur de LeEco, consortium électronique privé, aujourd’hui également dans la tourmente. Mais selon d’autres sources, l’origine des ennuis de Huayi Brothers aurait moins eu à voir avec des dettes, qu’avec des accointances avec des alliés de l’ex-Président Jiang Zemin, pas au goût de l’actuel maître du pays Xi Jinping.

D’autres compagnies privées dans l’univers du 7ème art et du divertissement, souffrent des mêmes maux. Pour se désendetter, Wanda ces derniers mois n’en finit pas d’écouler ses actifs, y compris dans sa branche « cinéma ». Même tendance chez d’autres grandes compagnies privées comme HNA ou les assurances Anbang… Xi Jinping semble ainsi démanteler un à un les réseaux financiers des législatures ayant précédé la sienne : c’est dans la logique de son concept « Rêve de Chine » (中国梦). Les dernières promotions au Bureau Politique, suite au Congrès d’octobre 2017, vont dans la même ligne : Wang Chen (68 ans), directeur de l’agence Chine Nouvelle de 2002 à 2008, et Huang Kunming (62 ans) – directeur du bureau de la Propagande, sont là pour renforcer le rôle du message public, idéologique, dans un esprit de reconquête et de contrôle plus étroit de l’opinion – et bien sûr du cinéma « grand public ».


Petit Peuple : Everest — Xia Boyu, trompe-la-mort (1ère partie)

Toute sa vie, Xia Boyu se souviendrait de ce 27 mai 1975, jour du début de la tempête qui l’avait coincé avec son peloton à 8600m d’altitude sur l’Everest. Deux jours, trois nuits, les hommes avaient souffert des pics de froid de moins 40°C et des rafales de vent aux gémissements effrayants qui couvraient le son de leurs voix.

Ordonnée par le Parti Communiste chinois, l’équipée se préparait depuis 1974, avec moult slogans idéologiques tapageurs, mais sans grande compétence. Xia lui-même ne connaissait rien à l’alpinisme – il n’était qu’un footballeur amateur. Il n’avait rejoint l’équipe nationale d’alpinisme que 11 mois plus tôt, à 24 ans, attiré par la perspective de tests médicaux gratuits. Xia en avait besoin pour passer professionnel à son club de foot, et pour les payer, il n’avait pas un sou vaillant. Autant le dire, il s’était présenté par opportunisme, sans croire à sa chance de succès. 

Il était resté baba quand les sélectionneurs lui avaient annoncé qu’il était pris, autant pour son physique exceptionnel que pour sa bonne attitude idéologique, prêt à sacrifier sa vie pour offrir à la patrie l’honneur de la conquête du versant nord chinois de l’Everest encore indompté. Et c’est ainsi que 11 mois plus tard, Xia était au camp de base à 5151m d’altitude, du côté tibétaine de la chaîne des Himalayas, aux côtés de 433 autres membres de l’expédition. Quoique incapable de se prévaloir d’un seul sommet à son actif, Xia avait été intégré aux 179 grimpeurs de la phase finale. Avec son groupe de 20, il devait porter le matériel du camp supérieur à 6797m, l’installer, puis poursuivre jusqu’à la cime. Mais passé 8000 m, ils pénétraient dans la « zone de la mort » où l’oxygène raréfié n’est plus que le tiers de la normale. Dans ces conditions extrêmes, ils pouvaient subir « l’ivresse de l’altitude, » un état délirant qui arrivera à Xia, comme à bien d’autres. Mais surtout, ils risquaient œdèmes pulmonaires dont certains décéderaient.

Neuf membres de l’expédition (8 hommes et 1 femme) réussirent à atteindre le sommet, d’y planter le drapeau écarlate aux cinq étoiles jaunes. Ils entamèrent alors leur descente. Xia et ses 19 compagnons eux, avaient été surpris par le blizzard alors qu’ils tentaient l’ascension finale. Au bout de quelques heures dans leur refuge glacial, les hommes ne sentaient plus l’élan patriote, rien que l’effroi, la peur d’y rester… La veille, durant l’ascension, l’un d’eux en plein délire, croyant suer de chaleur, avait abandonné son sac de couchage. A présent, il toussait en crachant du sang sur la glace, sans pouvoir s’y allonger pour se reposer. 

Mais Xia Boyu, depuis l’enfance, vivait dans l’idéal moral du « service du peuple », à la mode Lei Feng. En outre, son endurance au froid l’avait fait surnommer « Dieu du feu ». Il n’en fallut pas plus pour que, constatant l’agonie de son compagnon, Xia ota son duvet pour l’en revêtir. Il resta dans cet état vulnérable des dizaines d’heures, tentant de tromper le gel sournois par des mouvements de gym – défense illusoire.

Quand le blizzard tomba, permettant la redescente, Xia souffrait des jambes où le sang s’était figé. Porté vers la vallée, évacué sur Pékin par avion, il fut amputé des pieds.

Les mois qui suivirent marquèrent le deuil de ses rêves. Une fois crépités les derniers flashs, remballées les caméras TV, il se retrouva seul avec lui-même. Sa fidèle épouse et leur bébé atténuaient sa peine, mais le laissaient écrasé par la souffrance post-opératoire. S’ajoutait une autre peine, la perte de son père, la même année. Surtout, Xia avait perdu sa bataille de l’Everest, et devait dire adieu à sa vie de grand sportif, ainsi qu’à une certaine image de soi.

Miraculeusement, c’est un étranger, un prothésiste allemand qui lui rendit l’espoir. Après l’avoir longuement examiné, il lui communiqua son diagnostic : ses fonctions de base étaient intactes, et rien de physique ne l’empêchait de retourner à la montagne. « Tout est dans le mental, lui dit-il, entraînez vous – votre vie est en vos mains ».

Cette phrase résonna comme une renaissance ! Xia se lança alors avec ardeur dans la rééducation, s’astreignant à des mois d’exercices sans se plaindre. Même une seconde amputation en 1996, au niveau des genoux (imposé par un très rare cancer sanguin), ne put briser sa détermination.

En ces années de lutte, il s’était mis à hanter tous les compétitions handisports de Chine et d’ailleurs. Très vite, il s’y découvrit une vocation, un métier—car il gagnait ! À 30 ans, il engrangea des médailles en tir et en basket. A 60 ans, il traversa successivement, grâce à ses prothèses, les déserts de Gobi et de Tengger. A 69 ans en 2011, il décrocha deux médailles d’or au championnat du monde d’escalade d’Arco (Italie). Ces victoires entretenaient son patrimoine d’argent et de célébrité.

Il se trouvait désormais dans une situation paradoxale : plus il vieillissait, plus il s’appropriait l’expérience qui lui avait manqué du temps de sa folle jeunesse. En même temps, son entraînement constant conservait sa puissance physique, son endurance. Cette discipline sportive le menait vers un but, dont il resta pourtant longtemps inconscient et vers lequel il ne cessait de s’entraîner avec ses prothèses américaines dernier cri. Avec ses épaules herculéennes, ses abdominaux surpuissants, il grimpait des dizaines de mètres en rappel. En 2012, il conquit plusieurs sommets de « 8000 m ». C’est sur l’un d’eux, à 61 ans, qu’il prit conscience que sa destinée le ramenait vers l’Everest. Le sens de sa vie était là, enfin révélé ! Il le conquerrait ou bien irait mourir en héros (英勇牺牲 « yīng yǒng xī shēng »)…

Sur ces péripéties haletantes, Xia Boyu réussira-t-il son pari ? La réponse au prochain numéro !


Rendez-vous : Semaine du 2 au 8 juillet 2018
Semaine du 2 au 8 juillet 2018

2-3 juillet, Wuhan : International Conference for Smart Health

5-7 juillet, Shanghai : ISPO, Salon international des sports, de la mode et des marques de vêtements

5-7 juillet, Shenzhen, INTERTEXTILE, Salon professionnel international des textiles pour la confection et les accessoires

6-9 juillet, Chengdu : ICWOC – International Conference on Wireless and Optical communications

8-11 juillet, Canton : CBD Guangzhou, Salon international du bâtiment et de la décoration