Le Vent de la Chine Numéro 18 (2024)
Deux événements qui ont eu lieu la semaine passée, sont l’illustration claire et définitive de la naissance d’une nouvelle ère géopolitique : celle de la « guerre froide 2.0 » dont le déroulement n’est pas sûr de suivre le trajet relativement « pacifique » de l’ancienne.
La première guerre froide était définie par l’opposition entre le bloc états-uniens, dit « libéral » ou « capitaliste », et le bloc de l’URSS « stalinienne », « communiste » ou « bolchévique » (selon les bords politiques). L’objectif des deux camps était de promouvoir son mode de vie au reste du monde, de façon plus ou moins « soft » à travers la culture et la propagande, ou « hard » avec l’envoi de chars (Prague) et les assassinats politiques (Allende). La règle était d’éviter la confrontation directe pour éviter l’apocalypse nucléaire que le monde évita de peu à Cuba.
On pourrait donc penser que la « seconde guerre froide » se définirait par le remplacement de la Russie par la Chine comme nouveau leader de l’anti-américanisme qui chercherait à nouveau à rallier à sa cause anti-occidentale le « Sud Global », et que la Chine et les Etats-Unis sauraient se mettre d’accord pour éviter le conflit direct en s’affrontant par proxys interposés (la Russie jouant le rôle du premier proxy de Pékin).
Cependant, rien ne dit que la Chine de Xi Jinping saura éviter l’hybris d’une confrontation directe avec une puissance qu’elle estime en phase de déclin, persuadée que l’Histoire est de son côté.
De plus, la Guerre Froide 2.0 pourrait bien être multi-blocs : l’Inde de Modi ayant pour ennemis tous les amis passés, présents ou futurs du Pakistan, ce qui comprend aussi bien les Etats-Unis que la Chine, pourrait refuser de s’aligner sur un bloc ou l’autre, se servant simplement de la rhétorique postcoloniale, anti-hégémonique et anti-occidentale pour préserver son indépendance culturelle et stratégique. Il n’en est pas moins évident que, ces derniers jours, les blocs se sont solidifiés.
D’un côté, Joe Biden a déclaré la guerre commerciale à la Chine, avec des taxes de 100% sur les véhicules électriques, de 60% sur les semi-conducteurs, et de 50% sur les composants solaires, éoliens… Le Président américain a décidé de s’attaquer à ce qui se situe au cœur de la nouvelle politique économique de Xi Jinping des « nouvelles forces productrices » : les produits à haute valeur technologique. Alors que Donald Trump a annoncé dans sa campagne vers la présidentielle des taxes à 200% sur les véhicules électriques et à 60% sur tous les produits issus de Chine, Joe Biden, qui ne compte que quelques points d’avance dans les sondages, se devait de réagir pour prendre en compte les attentes des électeurs et des syndicats métallurgiques et automobiles américains. Pour autant, la mesure n’est pas certaine de produire l’effet désiré, malgré le côté spectaculaire de l’annonce : en effet, les taxes ne peuvent s’appliquer qu’aux véhicules directement importés de Chine. Or, il est bien connu que depuis quelques années, la porte d’entrée massive des produits chinois vers les Etats-Unis se trouve au Sud (Brésil, Mexique).
Quelques jours plus tard, Vladimir Poutine, était reçu avec tous les honneurs par Xi Jinping à Pékin, pour sa première visite à l’étranger depuis le début de son nouveau mandat de Président russe. A l’occasion, les deux dirigeants se sont mutuellement qualifiés de « partenaires prioritaires » tandis que le communiqué commun proclamait que les relations sino-russes ont résisté « à l’épreuve des changements rapides dans le monde, démontrant leur force et leur stabilité, et connaissent la meilleure période de leur histoire ». Voilà qui devrait mettre un terme à l’illusion d’une modération possible ou volontaire de la Chine par Xi, au sujet de la guerre en Ukraine. A ce sujet, Poutine s’est dit favorable à un accord de paix si les causes structurelles du conflit étaient levées (ce qui signifie une démilitarisation du pays, un retrait de l’OTAN des pays riverains et l’annexion définitive des territoires conquis) et redisant son désir de réaliser avec Xi Jinping un monde « non-hégémonique », où chacun sera libre … de s’opposer aux Etats-Unis et d’accepter la Chine et la Russie comme puissances libératrices tutélaires.
En outre, Xi et Poutine ont déclaré qu’ils « approfondiraient la confiance et la coopération » dans le domaine militaire en élargissant la portée des exercices conjoints et de l’entraînement au combat, en effectuant régulièrement des patrouilles maritimes et aériennes conjointes et en améliorant « les capacités et le niveau de réponse commune aux défis et aux menaces ». Ils ont également critiqué l’édification d’un OTAN du Pacifique, redouté depuis que Séoul, Tokyo, Washington et Manille s’alignent géostratégiquement : « nous pensons que la création de telles alliances est contre-productive et nuisible ». En réalité, de même que la guerre en Ukraine a poussé des pays longtemps neutres à rejoindre l’OTAN (comme la Finlande), c’est la pression de la Chine en mer de Chine du Sud et sa tactique forcenée d’accaparation des ressources halieutiques et d’étouffement naval des Philippines, qui poussent les pays de l’Indo-Pacifique vers les Etats-Unis…
Ainsi, entre les Etats-Unis et la Chine, la guerre froide est donc déclarée : les États-Unis usant du levier économique et technologique et la Chine du levier géopolitique et informationnel, via notamment la Russie, l’Iran, la Corée du Nord et leur puissance de déstabilisation locale par le biais des réseaux terroristes, narcotiques et cybercriminels.
Entre les deux, l’Europe se donne l’illusion de croire qu’elle peut hésiter encore. Résistant à l’idée d’être au service de Washington, elle se trouve en première ligne d’un triple tsunami : migratoire (nourri par l’instabilité en Afrique soigneusement entretenue par les réseaux criminels susmentionnés), économique (généré par l’export des excédents commerciaux et industriels chinois) et militaire (produit par l’attaque russe contre l’Ukraine et le déploiement d’une industrie de guerre à la vertu mobilisatrice pour une machine productive en délabrement). En attendant, la guerre froide 2.0 des proxys monte en grade et tend à se diffuser. De l’Afrique sub-saharienne aux îles de l’Océanie, la France est aux premières loges : de par son indécision « stratégique », Paris voit les coups pleuvoir sans apparemment savoir à qui les attribuer ou en feignant l’ignorance par peur sans doute de voir les frappes redoubler.
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