Le Vent de la Chine Numéro 20

du 4 au 10 juin 2006

Editorial : Maux d’un été dans les langes…

Une des règles du jeu de la presse chinoise, est de n’évoquer jamais les crises à chaud, mais à  travers d’autres problèmes moins urgents.

C’est ce qu’elle fait pour évoquer la pollution aérienne, qui frappe cette année d’une nuisance inouïe les villes du nord. C’est, croient les scientifiques, dû à un effet de serre géant au nord du pays, causé par un élevage excessif épuisant la prairie mongole, et au réchauffement global. La presse se tait sur cet inquiétant fléau, sur les millions d’hospitalisations qui en découlent, mais elle se met à jour sur le problème de l’eau : le professeur Yuan Aiguo (de l’université nationale des Géosciences) décrit le «cancer» du Yangtzé, dont toute faune et flore auront disparu sous 5 à 10 ans, sous la pollution cataclysmique et croissante des effluents, égouts,  engrais et des navires. Le fleuve avale 25 MMt de déchets liquides, 35% de plus qu’en 2004 et 40% du total national. A l’évidence, l’effort manifeste d’équipement en centrales de retraitement, n’empêche pas le Yangtzé de s’embourber, tandis que 300M de Chinois boivent une eau mal purifiée de ses traces chimiques. Le coût de maintenance des centrales, l’aveuglement des apparatchiks et la censure, font mur contre toute remise en cause !

Selon le même principe, pour marquer la journée mondiale anti-tabac (31/05), la presse annonce l’interdiction dès 2007 de la tabagie dans une poignée d’hôpitaux dits «olympiques», les transports et bureaux. C’est pour taire qu’1,2M de Chinois/an meurent de l’herbe de Nicot qui loin de régresser, gagne des parts de santé humaine.

Sur les 350M d’accros, 100 ont – de 18 ans, qui suivent l’exemple des 50% de  leurs profs et médecins fumeurs. Les débutants n’ont plus que 19 ans, contre 24 en 1997. La pub est interdite, mais les marques (qui vendent 1600 MM cigarettes/an, 12 par jour et par fumeur en moyenne)  contournent aisément la loi en recrutant des idoles tel Liu Xiang, médaille d’or à Athènes, qui pose pour Baisha.  A ce rythme, le cap des 2M de morts/an sera franchi en 2020. Le seul antidote, disent les médecins, serait la hausse du paquet, aujourd’hui à 2¥, prix plancher. Mais en fait, comment demander à l’Etat de renoncer à ses 16MM$ de taxes tabagiques représentant 12% de son budget?

Enfin, Pékin s’inquiète de l’apparition de hooligans chinois dans les grandes messes sportives mondiales : le ministère des affaires étrangères avertit ses 10aines de milliers de nationaux aux Championnats du monde de football en Allemagne (9/06-9/07) de ne pas mal se tenir, boire ou violer le code de la route. C’est pour Pékin un compte à rebours, et sans doute un lourd souci d’image pour l’avenir !

 

 

 

 


A la loupe : Piratage internet : les nouvelles armes

Face au piratage intellectuel faisant rage sur son territoire, et à l’impatience du monde envers un pays désormais membre de l’OMC (Organisation mondiae du commerce), la Chine sait qu’elle doit agir.

Elle présente son énième plan d’action ambitieux (11 ministères, 17 lois nouvelles, 7 campagnes aux noms chatoyants : « aigle des montagnes » ou « rayon de soleil »), mais dont la capacité à changer les choses reste à démontrer. Sa bonne foi est évidente : 90% du préjudice est supporté par ses citoyens. Bien que n°2 mondial des ordinateurs, la Chine n’est que 25ème en logiciels!

Le plan s’ajoute à l’obligation d’un DOS légal (31/3) pour tout ordinateur importé ou exporté. A ce jour, elle reste lettre morte —même si Lenovo paie à Microsoft 1,2MM$ de royalties sur 12 mois pour équiper sa production.

L’Etat promet aussi (18/05) 10.000² d’amende aux distributeurs de musique, films ou logiciels piratés sur le  net, et confiscation du matériel. N°1 de la recherche chinoise en ligne, Baidu peut se sentir visé. En 2005 Sony et d’autres ont mené contre lui un procès pour vol de leurs produits audiovisuels. D’autres sanctions viseraient les équipementiers du piratage. Cependant, là aussi, tout sera affaire d’application des textes !

D’autre part, l’action évite studieusement les consommateurs, et parmi ceux-ci, les administrations et grandes entreprises d’Etat, 1ers fauteurs -des MM$ de droits d’auteurs détournés!

Enfin, la priorité de l’Etat concernant la toile, reste ailleurs : dans la limitation des échanges et de l’information!

 Dans le cadre de la nouvelle «initiative internet civilisé», des milliers d’étudiants volontaires à travers le pays,  touchent 100¥ de frais pour hanter les forums internet, y lancer des sujets innocents, réorienter les débats scabreux, dénoncer les fortes têtes. « Nous ne voulons pas de pollution sur le net », dit un de ces agents. Halte aux sites encourageant suicides, drogue, pornographie, spam, pour la paix de nos citoyens et enfants…

En soi, le principe peut se défendre, et ces milices virtuelles proposent une technique originale, pour une nuisance qui frappe aussi le reste du monde. Mais on note deux faiblesses : l’action est secrète, et perd donc sa légitimité. Ses membres manipulés  accepteront-ils longtemps leur image de délateur? Et  les candidats à un vrai débat non noyauté, trouvent aisément leur place à travers la jungle de l’internet !

 

 


Joint-venture : Beijing Securities, UBS fait l’impasse et gagne

— En transports aériens, la hausse du kérosène, ajouté au fait que 66% du fret soit aux mains des étrangers, favorise la concentration du secteur. Aussi Air China Cargo et China Cargo Airlines, les deux principaux groupes vont convoler fin septembre 2006, pour former à Shanghai le 5ème groupe mondial en capacité, sans doute rejoints par le Hongkongais Dragonair.

ACC, c’est Air China, Citic et Pékin-Aéroport.

CCA, c’est China Eastern et Cosco.

Pendant ce temps, SIA lance sa JV négociée depuis un an, avec China Great Wall Industry corporation et Temasek, et sa 1ère ligne Shanghai-Rotterdam, avec un avion, et cinq dès 2009. Commençant avec 25M², SIA détiendra 25% de la JV, plafond des parts autori-sées aux étrangers dans une Cie aérienne.

 NB: Tianjin, berceau d’une usine Airbus : notre information exclusive (VdlC n°19) est confirmée (1/06).

L’investissement sera de 7MM². Lancement de la chaîne, fin ’06. Sortie du 1er A320 : fin 2008. Hormis Hambourg et Toulouse, Tianjin sera la 3ème usine Airbus, et 1ère hors d’Europe. Par cet engagement à long terme, en 20 ans, Airbus devrait placer en Chine,1.600 appareils, dont 200 A380.

UBS, le super poids lourd de la banque helvétique, viendrait d’obtenir la gestion de Beijing Securities, une des 1ères maisons de courtage du pays, mise à mal par la crise boursière des dernières années.

Pour 140M², UBS éponge les dettes. Pour 30 autres M², elle prend le contrôle de ce nouveau UBS Securities.

L’exploit véritable est d’avoir percé la Grande Muraille d’hésitations de la CSRC (a commission de régulation des bourses), qui tolère l’installation d’un étranger dans ce  jardin secret.

Pour ce faire, UBS limite ses ambitions à 20% des parts, et surtout renonce à son droit de veto au conseil d’administration, troqué pour une lettre d’intention avec chaque autre actionnaire tels l’IFC (le bras financier de la Banque Mondiale), COFCO (consortium des huiles et céréales), ou Jianyin.

UBS nous propose ainsi sa version suisse de la maxime de Deng, « peu importe que le chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape la souris ».

 

 


A la loupe : Guangdong Bank — la dernière bataille

Pour la reprise de la Guangdong Development Bank, le régulateur avait fixé au 29/5 la remise des dernières offres, dans les limites de 20% des parts du repreneur étranger.

Société Générale avait déposé le 12/5 une enveloppe baissant son exigence de 24 à 19,9%. Citigroup, avait plus de mal, ayant d’abord réclamé 40% pour lui sur les 85% offerts. Après annonce par l’Etat que la règle restait intangible, COFCO, un de ses partenaires de Citi, s’était désisté…

C’est 3 jours après la deadline que la banque new-yorkaise présente ses nouveaux partenaires : China Life (1er assureur-vie) et Guodian l’électricien.

Une voilure suffisante pour affronter le 3ème banquier français et ses partenaires : Baosteel le 1er sidérurgiste chinois et Sinopec le 2d pétrolier.

Dans chaque consortium, la gestion sera exclusivement confiée aux professionnels bancaires: c’est là l’innovation du deal en cours, qui fait qu’une banque étrangère sera catapultée à la tête d’un réseau de 500 agences – très loin devant toutes ses concurrentes non chinoises!

NB : l’assainissement de la GDB, la rendra tributaire d’acteurs non bancaires, industriels ou de services : expression classique de la vague furieuse de fusions-acquisitions en cours à travers le monde!

A la question, vers lequel des deux, a Société Générale ou Citigroup, penche la faveur publique : les mois passés ont montré que le niveau cantonais et sans doute une partie des décideurs pékinois favorisaient l’américain. Mais ceci a  failli lui coûter cher, en lui laissant indûment  espérer un changement de la loi en sa faveur.

Deux autres interrogations restent en suspens:

[1]  la capacité chinoise à choisir selon ses intérêts et non selon les pressions intenses des deux pays, en faveur de leur poulain respectif,

[2] la qualité d’un partenaire donnant accès au marché américain ou européen : choix stratégique!

Enfin, une péripétie pourrait compliquer la décision : la querelle entre Canton et Pékin, pour savoir qui épongera les 3MM² de mauvaises dettes avant la cession. En tout état de cause, la décision n’attendra plus —elle est sans doute déjà prise : avant fin mai, un vainqueur doit émerger, sauf à rouvrir tout le dossier et de voir s’allonger la note !

 

 

 

 

 

 


Argent : Fret aérien, ménage à 3: Air China Cargo, Cargo China Airlines, Dragonair

— 13 mois, c’est ce qu’il a fallu à la tutelle pour assainir la bourse chinoise en écoulant 250MM$ de parts publiques.

A la réouverture le 1er juin, CAMC, firme d’ingénierie de Pékin essuie les plâtres en émettant 60M de parts sur la place de Shenzhen.

Cette émission prélude à  une masse d‘autres, pour 10MM² au total (à peu près la recette obtenue par la seule Bank of China au Hong Kong Stock Exchange). Parmi ces valeurs en gestation figurent la banque Citic North Star (branche immobilière de la mairie de Pékin), ou la Bank of China (qui se présente, cette fois, sur le marché intérieur) ! Après cette traversée du désert, le succès auprès des acheteurs est assuré—mais la BPdC  – la Banque centrale – n’a pas pris de risque, en laissant aux banques 3 à 4MM² de liquidités cette semaine, afin d’«appâter le poisson» et de permettre plus de prêts, de quoi financer cette fringale boursière !

NB : à Shanghai, la bourse capitalise 384MM$ sur 875 actions de PME. Les meilleures valeurs sont à HK, 97 firmes pour 475MM$. Vu sous cet angle, l’entrée d’un poids lourd tel Bank of China, semble un geste plutôt «patriotique», destiné à insuffler de la vie à cette place encore palotte!

— Pas de Chine des affaires sans celle du droit. La demande en avocats est criante et leur nombre est passé d’une dizaine en 1978, à 120.000 aujourd’hui, tandis que les 60 cabinets privés de 1993 sont 30.000.

On reste encore  loin du 1,1M d’attorneys américains. Les cabinets chinois restent petits, peu spécialisés et mal formés aux multiples litiges émergents, entre firmes et individus, Etat et privé…

Déjà puissante, la concurrence étrangère s’étend, extension de groupes d’Union Européenne et d’Amérique.

Exception au tableau : King & Wood (Pékin) est un cabinet 100% mandarin, aux 450 avocats locaux, entre ses bureaux de la capitale à Shanghai, Shenzhen, Canton, Tokyo et aux US. K&W compte recruter 100 juristes sous deux ans. Les cabinets étrangers ne s’y trompent pas. Déjà présent à Pékin et à Shanghai (60 avocats), Gide Loyrette Nouel s’apprête à ouvrir à Hong Kong. Tout comme K&W, qui de plus, prépare son entrée à New York- qui dit mieux ?

 

 


Pol : Chen Shui-bian à Taiwan : un pied dans la tombe

— La série d’ordinations unilatérales d’évêques a ouvert un conflit entre l’Association patriotique catholique (APC) et le Pape. Par les voix de Mgr Lajolo («ministre des affaires étrangères» du Saint Siège) et de Joseph Zen, cardinal de Hong Kong, Benoit XVI envoie 3 messages vers la Chine :

[1] Une fois les liens rétablis, le Vatican ne se mêlera pas de politique, «affaire des autres», mais ne laissera pas les autres s’occuper des siennes en nommant des prélats.

[2] Révélant que «Pékin a interdit à l’APC de procéder à d’autres intronisations» – Mgr Zen isole Liu Bai nian, vice Président de l’APC, comme l’homme tentant d’opposer pouvoir socialiste et Vatican.

[3] Toute nouvelle consécration sonnerait une rupture «définitive»! Ici, le Vatican prendrait des risques, s’il n’en savait (comme c’est probable) plus qu’il n’en dit. Car si l’APC osait relever ce défi, Rome serait bien placée, avec ses 2000 ans d’histoire, pour savoir que rien en ce bas monde n’est éternel -même une rupture.

Mais le sens réel du coup de poker de Rome, est de traduire l’affaiblissement de l’APC, structure anachronique, et surtout de Liu Bai nian, qui semble bien seul…

— Pour la 1ère fois, Téhéran pourrait avoir du mal à « ne pas se soucier de l’avis de l’ONU» sur son programme de recherche nucléaire militaire.

Deux événements viennent lézarder son bouclier diplomatique russo-chinois.

Le 1er est ce paquet encore secret d’encouragements pour qu’il quitte sa course à la bombe (sans doute une centrale nucléaire civile), convenu à Vienne (1/06) entre les 5 membres du Conseil de Sécurité (Russie, Chine, US, France, UK)  et le ministre des affaires étrangères européen (MAE)  J. Solana

Le 2d est l’échange le même jour entre G. W. Bush et Hu Jintao, qui a signifié son soutien à cette démarche. S. Lavrov, MAE russe, avait déjà annoncé celui de Moscou. Selon ce plan, l’Iran aura quelques semaines pour arrêter son programme, ou faire face à des sanctions, acceptées par les deux protecteurs traditionnels du régime des Mollahs.

De son côté Li Zhaoxing, le MAE chinois appelait son collègue iranien M. Mottaki pour l’avertir du vent qui se levait. Téhéran a si bien entendu, qu’il se déclare déjà prêt à « reprendre un dialogue avec les US interrompu depuis 27 ans». La proposition de reprise, vient de G. W. Bush : pour l’Iran, sa concession est déjà un début de victoire, mais qui s’accompagne en filigrane, de la fin d’une dangereuse aventure !

Démission perlée pour Chen Shui-Bian, Président de Taiwan depuis 2000, dans son 2d mandat jusqu’en 2008. Accablé par des échecs à toutes ses tentatives de confrontation avec la Chine, «A-bian» se traînait dans les sondages autour des 20% de popularité, quand éclata l’ultime mine, une affaire de délit d’initié mouillant son gendre. Au Yuan Législatif  (Parlement) et dans la presse, c’en était trop.

Le 31/05 au soir, après réunion de crise, Chen qui n’a plus que 11% de soutien de l’opinion insulaire, remet « l’essentiel de ses pouvoirs » au 1er ministre Su Tseng-chang, mais surtout pas son mandat de Président !

Su devient ainsi le dauphin plausible du parti indépendantiste DPP au scrutin présidentiel de 2008. Prompt à apprendre, Su annonce une politique plus «pragmatique vis-à-vis de la Chine », moins agressive, et notamment la réouverture de certaines liaisons aériennes pour dans quelques mois.

NB : Le lâchage de Chen par les siens, ne signifie pas que les Minnan et Hakka, 80% de l’île renoncent à leur quête identitaire. Mais ils savent qu’elle ne peut plus passer par Chen Shui-bian!

 


Temps fort : Tibet : une ouverture pétrolière inédite !

Au Tibet, région sensible, règne un ordre malaisé, combinant force des armes et méga investissements, dans l’espoir de gagner la paix. L’effort est symbolisé par ce chemin de fer Golmud-Lhassa en MM$, record de difficultés techniques, qui ouvre au public au 1er juillet et sera prolongé vers Shigatse.

Mais il est des choses que Pékin ne peut faire seul, comme exploiter les réserves tibétaines de pétrole, estimées à 10MMt rien qu’à Qiantang.

La CNPC – la compagnie nationale pétrolière – n’a su forer aucun des 10 puits prévus par son plan sur trois ans: c’était trop cher, trop profond (à 5200m), et sous des conditions géologiques et climatiques extrêmes. Aussi Pékin prépare-t-il l’ouverture aux étrangers, au 2d semestre 2006, 10 blocs de prospection au Tibet, sous supervision de la CNPC.

Pour la Chine, c’est une ouverture audacieuse et l’indice d’une confiance dans la stabilité locale. Mais là aussi, il y a loin de la coupe aux lèvres.

Le Dalai Lama en exil et la très forte image du Tibet à l’étranger (nourrie par les visites officiel-les du Dalai, commis voyageur du Toit du monde), rendent l’implantation périlleuse pour les firmes étrangères. Holiday Inn et Sinogold (groupe minier australien), voire la Banque Mondiale le savent bien, ayant tous été contraints, par la presse et la bourse, à quitter le Tibet…

Une dernière note n’allégera pas le tableau : Rigzin Choekyi et Lhundrub Zangmo, les « nonnes chantantes » libérées après 9 et 12 ans de prison pour cantiques indépendantistes, ont gagné l’Inde via le Népal (à pied), pour échapper aux sévices, faute d’avoir obtenu le droit de regagner leurs couvents. Autre signe qu’entre Chine et bouddhisme tibétain, l’absence de réconciliation commence à peser, et se paie au prix fort !

 

 

 


Petit Peuple : Riches et pauvres – la rage de gagner

Dans toute ville depuis 2000, elles explosent, ces fosses grandes comme des terrains de football, dont la poussière ocre s’élève en tourbillons vengeurs, sans attendre le béton des camions-toupies.

Les gratte ciel apparaissent, apparts et bureaux à vendre : la  publicité envahit les rues, qui promet, contre ces millions, l’échappée solitaire d’un monde autoritaire. Un bon exemple, à Pékin, en est le showroom (qui vient d’être démoli, mission accomplie) de la tour « the Space » : statue géante de vitres et pans asymétriques tendus d’ardoise, qui réfléchit une lumière d’ombre le jour, blanche la nuit, lui donnant un petit air d’aérolithe.

A travers sa paroi scintille le n°de téléphone de réservation, 58.78.8888. Subjugué de tant de luxe, le Chinois ne peut s’empêcher de le prononcer in petto : «wu fa, qi fa, babababa» : c’est le piège ! La formule s’anime, l’interpelle : «sans fortune?» (wufa?), lui répond : «invoquer la fortune!» (qifa!), avant de lui prédire un avenir radieux, fortune faite, à travers les pétards de bon augure (babababa) !

Ce message subliminal exerce une formidable attraction : fini l’égalitarisme maoïste, la richesse sera réservée à celui qui s’affirme – en achetant son appartement ici et maintenant !

Mais voilà que surgit du trottoir un ‘pékin’, portant sur son vélo une caisse d’objets hétéroclites, tel ce court mais large tuyau noir en boudin. Un carton révèle sa raison d’être : «nettoie hottes aspirantes». C’est un petit métier qui n’existait pas l’an dernier. Un chômeur a eu l’idée brillante d’offrir l’entretien d’un accessoire de cuisine encore rare mais en expansion. Pour sa trouvaille, le cycliste récupérera les miettes du festin dont jouit le riche néophyte. Jusqu’à ce que prolifère la concurrence.

Tout cela pour dire que si à l’Ouest le «bon sens» est la chose la mieux partagée, en Chine, c’est la rage de s’enrichir qui fait vibrer es hommes riches comme pauvres, et telle l’indomptable puissance de la houle, «déferle et roule comme la marée!»,  汹涌澎湃, xiong yong peng pai !