Le Vent de la Chine Numéro 15

du 1 au 14 mai 2005

Editorial : Le chant du cygne du textile européen, cheap

Après les mois d’ explosion de l’export textile chinois vers l’Union Européenne (OMC oblige!), Bruxelles lance la clause de sauvegarde, qui devrait rétablir sous 60 jours (avant le référendum français du 29/5!), des quotas pour 9 produits jusqu’en  2008 :  en 3 mois, les prix européens s’étaient effondrés de 47%!

L’incurie provient des 2 bords.

En Europe, les producteurs n’ont pas su profiter des 10 ans de transition pour s’adapter (c’est le reproche du Secrétaire général de l’OMC!).

En Chine, faute de marché unique (protection provinciale!), des milliers d’usines survivent de l’export, à perte !

Face à  l’enquête, Pékin réagit: « Pour acheter un Airbus, il nous faut vous vendre 20M de chemises », dit le 25/4, un diplomate. Bo Xilai, ministre du commerce s’oppose « résolument » au retour aux quotas:

« la base des échanges euro-chinois est en cause » ! Réponse qui rappelle celle faite (25/4) aux US, suite à leur attaque du ¥ surévalué, cause selon eux de leur déficit bilatéral: «Mettez d’abord votre maison en ordre, avant d’accuser votre voisin »!

Sous l’angle du droit, la Chine a de solides arguments. Elle a payé sa contrepartie, en ouverture de son marché (coupe des droits douaniers, révision de 2000 règlements/lois).

L’action de l’UE arrive en même temps que d’autres, US, Australie : « tir groupé » qui suppose une concertation discrète, mais efficace. Face à telle attaque multipolaire, toute rétorsion chinoise sera risquée, sauf à parvenir à convaincre un seul (US par ex.), à quitter la coalition. Dans cette crise, le doigté est de rigueur : l’Européen Peter Mandelson parle d’amitié, concertation, refuse toute mesure unilatérale, et fait le gros dos, face aux 13 Etats-membres réclamant une «réaction plus urgente » !

Mais Pékin sait qu’elle ne franchira pas la tempête sans larguer du lest. Pragmatique, elle s’y prépare déjà pour éviter les rétorsions.

Deux concessions sont envisagées – du bout des lèvres :

– la taxe à l’export chinoise, 2 à 3%, serait portée à un niveau « conséquent », dissuasif, et

– un ¥ réévalué (+3% ?) suite aux pressions US.

Offerte par la Chine, une telle solution «raisonnable» lui permettrait d’espérer une levée rapide de l’embargo sur ses achats d’armes, et d’ alléger la pression sur la réévaluation du Yuan ( ¥).

Enfin, les emplois menacés seraient 7000, en France en 2005 : face aux contrats en jeu (TGVAirbus, nucléaire) en Chine, on se demande si les capitales européennes tiennent tant que cela à voir se réinstaurer leurs barrières douanières contre les T-shirts made in China – si leur geste, et celui de Bruxelles ne sont pas plutôt un honorifique baroud d’honneur, ou si la démarche ne viserait pas plutôt le référendum hexagonal !

 

 


A la loupe : Justice – un pas, en bottes de sept lieues!

Quoique mieux formés qu’il y a 20 ans, les 140.000 juges chinois ont mauvaise presse, à tous les échelons de leur pyramide (national, province, district, base) : absence d’indépendance face à l’Etat et au Parti (qui lui dictent son verdict plus souvent qu’à son tour), corruption, esprit autoritaire, puisque le juge a tout pouvoir.

En pratique, le recours est souvent impossible, faute de moyens financiers des usagers, de connaissance de leurs droits voire, en raison de pressions.

Dans ce contexte, les nouveaux acteurs émergeant le 1er mai sur la scène judiciaire, constituent une chance de changer les choses : suivant le système judiciaire anglo-saxon, 27.000 jurés entrent en fonction. Ils seront un à deux aux côtés du juge. Ils délibéreront avec lui. Leur voix comptera autant que la sienne.

Il s’agit d’un renforcement plus que d’une création. Le juré existe déjà, mais sans pouvoir, ni éducation.

Cette amélioration était une des 9 priorités fixées dès décembre 2004 par la Cour Suprême, anxieuse (pressée par le pouvoir) d’améliorer sa désastreuse image !

Entre janvier et février, sur des listes de volontaires ou de gens désignés pour leur connaissance du droit et leur moralité, ils ont été « élus » (700 sur 3000 à Shanghai).

Ce partage du pouvoir devrait permettre un frein naturel à deux faiblesses du juge : celles dues à sa formation juridique légère, et celles dues à la corruption. Par contre, un flou flotte sur le type exact de procès «civil» ET «pénal» où le juré peut officier, et sur la pression politique qui peut s’étendre sur lui comme sur le juge.

Vue sous cet angle, cette réforme à elle seule, ne produira pas l’indépendance de la justice chinoise. Elle n’en constitue pas moins une étape respectable, vers une séparation des pouvoirs qui n’a jamais existé historiquement.

Au moins, elle démontre le besoin ressenti, et la volonté politique d’aboutir — le but est encore loin, mais la Chine n’en fut jamais si proche !  

 


A la loupe : Salon auto 2005 – pas le droit à l’erreur!

A Shanghai (22-28/05), les constructeurs ont clairement estimé le salon de l’auto un rendez-vous capital,  y étant venus à 1360, deux fois plus nombreux qu’en 2004, avec 40 modèles de plus (125).

Ce salon pendulaire entre Shanghai et Pékin est passé 3ème mondial.

Raison de l’engouement, selon Stephen Odell, directeur marketing chez Mazda : «de notre réussite chinoise, dépend notre survie»! Or, ce marché va mal, admet Christoph Stark, Président BMW-Chine: «nous (constructeurs) sommes en surcapacité (40%), avec guerre des prix, valse des parts de marché et coûts de production supérieurs (15 à 20%) au reste du monde…»

Face à la crise dans les langes, l’édition de 2004 tablait encore sur un zeste de fantaisie: à présent, après le sacrifice de têtes telle celle de B. Leissner Président de VW Volskwagen Chine (18,9% du marché au 1er trim. contre 50% en 2002 et -28% de ventes, pour cause de vieillissement de la gamme), le « no-non-sense » est de rigueur, et la remise en cause de 10 ans d’expansion aveugle.

La berline confortable tremble devant la petite familiale à bas prix et peu gourmande : Hyundai triple ses ventes en 2004, à 100.000 unités, et le champion (en croissance des ventes) est le Chinois Chery avec sa QQ (piratée de la Daewoo Matiz), à 4000$. Sur le créneau de l’économie d’énergie, arrive la Prius de Toyota (hybride essence/batteries, bientôt produite en JV avec le nordique FAW)…

Le luxe résiste, avec la Rolls Phantom,  le come-back nostalgique de la Hongqi chère à Mao, ou le monstre sportif de la Maybach 57 (Daimler, V12, 312CV).Explose aussi  le marché à l’export.

Douteux et mégalo, le projet d’exporter 250.000 Chery par an aux Etats-Unis d’ici 2007.

Mais le ministère du commerce voit ce marché, surtout en pièces détachées, passer de 12MM$ en 2004, à 70MM$ en 2010, annonçant des pertes d’activité aux Etats-Unis et en Union Européenne (UE).

Enfin, PSA (Peugeot Citroën) redresse la barre, ayant vendu +44% au 1er trimestre 2005 (33.000 unités), grâce à des baisses de prix et un nouveau modèle. Il ralentit le doublement de son usine, et espère une hausse annuelle de 28%. Renault Trucks annonce 2 JV de camions, dont une avec Dongfeng (50%) et Nissan (18%), de 120M$, à Liuzhou pour produire d’ici 2010, 60.000 poids lourds de type Kerex

 


Argent : CCB, vers la séparation du Parti et de la banque

— En 2005, l’acier chinois croîtra de 16%, à 345Mt.

De ces monts sidérurgiques, plus de 50% soit 180 petits acteurs, produisent à basse qualité.

L’investissement national baisse de 1,4% au 1er trimestre : trop tard pour empêcher la Chine de passer exportatrice nette, cassant les prix mondiaux. Tardif aussi, trop, le plan de restructuration qui veut porter la part des 10 majors de 40% à 70% en 15 ans, par coupure de crédits, chasse au gaspillage, et normes écolo.

L’objectif étant bien sûr les fermetures et fusions.

Ainsi, Baoshan s’apprête à racheter les plus belles unités de Baosteel, sa maison mère, et pour ce faire, retourne (27/4) en bourse de Shanghai avec 5MM de parts à vendre, avec 15à 26% de discount (vu la déprime du marché!), et l’objectif de tirer 3MM$ d’épargne. L’opération portera sa capacité de 11 à 20Mt, pour faire de Baoshan le n°3 mondial en 2010!

Autre « gros » (8Mt en 2004), Maanshan (Anhui) paie cher d’avoir privilégié le volume sur la qualité : il voit 30% de ses profits se volatiliser dans les 57% de hausse du charbon et minerai. Tirant la leçon, il puise 3,6MM$ dans ses profits passés, pour porter de 3 à 5Mt sa bonne capacité de laminés à froid et à chaud, et en tôles revêtues.

— 1èrebanque  de Chine (20.000 agences, 0,4M d’employés, 100M de clients), l’ICBC est la 3ème dont Pékin tente le dépannage : avec ses  85MM$ de mauvaises dettes avouées (19% du capital), en fait sans doute le double, c’est un sauvetage plus périlleux que ceux de la BOC et CCB!

L’Etat lui offre (22) 15MM$ sur ses 659MM$ de réserves en devises. Un chèque identique devrait suivre, ce qui laisse l’ICBC, (l’Industrial and Commercial Bank of China) loin des 70MM$ minimum nécessaires, selon les experts, pour repasser sous la barre des 8% de dettes exigée pour aller en bourse où, si le vent est bon, l’ICBC espère pomper 10MM$ en 2006.

Parmi d’autres actes chirurgicaux en cours, comptent l’entrée minoritaire d’une banque étrangère (encore à trouver), et la liquidation par les 4 structures de défaisance (agences d’Etat spécialisées) de 45MM² d’actifs faillis (pour 10% de récupération, peut-être). Toutes ces recettes, on le voit, sont anciennes, et doivent encore faire leurs preuves.

La seule initiative inédite vient d’une autre banque, la CCB (la Banque de la Construction) dont deux leaders révèlent (27/4) que ses décisions (même mineures) et nominations sont moins prises par le Conseil des directeurs que par un Comité occulte du Parti communiste. 90% de ses managers seraient de ce fait incompétents.

Avec l’aval de leur Président Guo Shuping, ils précisent que ce comité est en cours de démantèlement, au nom de ce principe : “(avec sans doute deux tiers d’un an du PIB national en mauvaises dettes), la banque chinoise ne peut pas se permettre un nouvel échec”!

 


Pol : Japon – Pékin rafistole le bol de riz

— Méthodiquement, la Chine tisse son nouvel (et en fait antique) habit de puissance régionale.

Suite au sommet Asie-Afrique de Jakarta (25/4), le Président Hu Jintao ajoute une pièce à sa collection de “partenariats stratégiques”: l’Indonésie de S.B. Yudhoyono, 240M d’âmes.

De ce pays, la Chine attend deux choses : la stabilité et les matières premières, bois et pétrole.

Hu offre 2M$ d’aide et 300M$ de prêt, pour la reconstruction post-tsunami voire l’amélioration de la marine locale, pour  tenir le détroit de Malacca, hantise de Pékin, avec ses pirates menaçant sa ligne d’approvisionnement en pétrole. Au total, estime Pékin, les échanges doivent monter de 40% d’ici 2008, à plus de 20MM$, alors que d’autres coopérations démarrent, en énergie, infrastructures, agriculture et armement (léger).

Dernière minute !

Président du KMT à Taiwan, Lien Chan récupère lors de sa visite un droit d’habitude réservé aux partis au pouvoir : celui de traiter d’Etat à Etat.

En direct à la CCTV (la TV nationale chinoise), il déclare (29/4) que le « peuple des 2 rivages a besoin de réunification », question qui divise à Taiwan, alors que le gouvernement élu du DPP (le Parti Démocratique du Progrès) est opposé, comme 85% de la population, au retour à la mère patrie. Pékin reçoit Lien Chan en chef d’Etat.

Avec Hu, Lien doit conclure un accord de fin d’hostilité. Pour éviter la critique de retour chez lui, il ajoute que la Chine devrait poursuivre sa réforme politique, mais qu’elle la fait déjà, avec ses élections villageoises. Hu doit offrir à Taiwan, via Lien, un paquet de concessions douanières permettant aux insulaires de faire de meilleures affaires sur le continent. Mais ces petits gestes suffiront-ils à faire accepter telles initiatives, que Lien n’était pas mandaté à faire, et qui engagent l’avenir de son île?  

— Entre Chine et Japon, “la crise se calme et la racine demeure”, dit Pékin.

Après coup, il apparaît que si une frange du régime a soutenu les manifestations, le sommet n’avait rien à y gagner, n’y était pas favorable. Aussi le hola est-il mis le 25/4 par l’arrestation et la parade à la TV de 42 xénophobes des plus excités : à deux fins utiles!

[1] pour donner un gage ferme à Tokyo et à ses investisseurs,

[2] pour prévenir un printemps chaud, par exemple le 4 mai, anniversaire d’une marche de 1919, qui appela la Chine vers “les sciences et la lumière”.

Enfin, si des voix anti-nipponnes tentent encore de polémiquer sur l’existence d’un deal secret que Tokyo aurait violé (effort qui tombe à plat), rendez-vous est pris en mai pour régler le problème des forages off-shore, et cette fois, la volonté politique chinoise devrait être du voyage – question de crédibilité!

 


Temps fort : Luthiers de tout le pays, en avant la musique !

La Chine perce aussi en lutherie classique.

Domaine inattendu, puisque ses instruments et sa musique ont évolué historiquement dans des sens tous différents de ceux de l’Occident, inventant d’autres harmonies, timbres et tessitures. Mais trop de facteurs favorables jouent, pour faire reprendre par la Chine à l’Ouest ce métier traditionnel:

[1] Les techniques de fabrication du erhu, du zhen ou du pipa sont proches de la lutherie occidentale.

[2] Le Chinois n’a jamais oublié la musique classique jouée sur son sol avant 1949. Il exprime le besoin d’art, et d’Occident : pour la famille moderne, que son enfant étudie le piano est signe de statut social.

[3] L’artisan chinois est excellent copieur, capable de vite assimiler les gestes du facteur d’instrument.

[4] La lutherie est un métier à forte valeur manuelle ajoutée, qui va mal avec la mécanisation : la main d’oeuvre chinoise inépuisable trouve ici un terrain idéal.

[5] Avec tous ces atouts, la Chine est nécessairement la moins chère, prête à ne faire qu’une bouchée d’un marché mondial pour des instruments de qualité passable mais en hausse constante.

Aussi, à présent, deux tiers des violoncelles, pianos, et cuivres créés au monde sont made in China soit, en 2004, 370.000 pianos, et 0,9M d’instruments à vent.

Sous les coups de boutoir de la «furia cinese», les prix mondiaux sont cassés de 60%. Il ne reste de place que pour les meilleurs : quand Steinway fait 5000 pianos l’an pour 200M$, Xinghai en vend 40.000, pour 80M$!

Bientôt, le marché mondial, avec sa hausse de 1%/an, sera saturé : mais la Chine a son plus fort potentiel chez elle, avec 38M pianistes, et seulement 1% des foyers équipés, contre 20% en Union Européenne et Etats-Unis. La demande est déjà bien là : 8000 pianos par an rien qu’à Pékin, et +10% par an : voilà ce que coûte de reboiser l’âme humaine !

 

 


Petit Peuple : Triple échec pour un garçon

Immigré du Shanxi à Shanghai, Zhang avait toujours voulu un garçon, sans jamais y parvenir.

A trois reprises, il avait fraudé le planning familial,et eu tout faux: 3 filles ! A l’automne 2004, sa femme retomba enceinte. Pas question cette fois de prendre une bouche féminine de plus à nourrir : il n’en avait pas les moyens ! Aussi, pour être sûr, il soumit le fruit de ses oeuvres à triple échographie par M. Chang, l’occulte médecin qui tomba 3 fois sur la réponse invariable: «indésirable»! Rassurés, ils allèrent chez le faiseur d’ange : mais alors, résultat horrifique !

Non seulement le foetus s’avéra porteur d’un sexe mâle, mais la mère faillit mourir:à l’hôpital, pour la sauver, les urgentistes n’eurent d’autre choix que de la rendre stérile ! Alors, sous la colère, l’affaire prit un pli insolite. Zhang confia sa vengeance au beau-frère Hong, qui parvint par chantage à délester de 40.000¥ le faux disciple d’Esculape. Mais, l’échographiste les dénonça, et tout ce beau monde (Chang et l’avorteur inclus) finit en prison.

Le borgne docteur aurait dû réfléchir à 2 fois, avant d’appeler la police: la loi punit de mort les avorteurs sélectifs, et le juge lui imputera sûrement d’avoir porté Zhang au«dernier degré de la poisse », 凄风苦雨 qi feng ku yu (littéralement, «vent perçant et drache interminable»)!